Un CR de Guillaume Séré


Sylvie Daubresse, ingénieure de recherche au CNRS, est une fine connaisseuse du Parlement de Paris au XVI
e. Après une thèse sur Les relations entre le Parlement de Paris et le pouvoir royal (1559-1589), elle précise la focale d’étude, tant au niveau temporel que thématique, dans le cadre de son Habilitation à Diriger les Recherches  dont est issue ce livre. Cette « micro-histoire temporelle »p11 débute en 1555, année où la paix d’Augsbourg réglemente le coexistence religieuse au sein de l’Empire, mais aussi où en France émergent les premières Églises dressées, à Paris et Poitiers par exemple. La communauté réformée apparaît alors dans l’espace public, notamment à travers l’affaire de la rue Saint-Jacquesp48-60 ou les rassemblements du Pré-aux-Clercsp64-70, cristallisant les tensions. La fin de l’étude se place avec l’édit d’Amboise clôturant la première guerre civile. Après trois parties chronologiques, une quatrième, plus thématique, évoque le « bilan de l’activité judiciaire »p301 sur la période. Quelques annexes bienvenues proposent des textes d’édits ou arrêts, ainsi que quelques statistiques et tableaux synthétisant des cas d’accusation.

Avec cette plongée dans les registres d’arrêts et minutes des affaires criminelles, ou les registres du conseil du Parlement de Paris, l’étude de Sylvie Daubresse tente d’interroger la capacité du droit et de la justice à apaiser une violence d’origine eschatologiquep12, en éclairant la réalité de l’application des édits, les tâtonnements du pouvoir face à l’essor du calvinisme, ou encore les relations entre le Parlement, cour souveraine exerçant la justice déléguée et le souverain. L’historienne nous plonge au cœur de la machine judiciaire parlementaire, à travers l’évocation d’une multitude de cas parmi les plus de 1300 dossiers étudiés, autant d’occasions d’entrapercevoir des moments de vies de l’époque que d’analyser le fonctionnement de la justice, de ses tensions.

Dans son combat contre l’hérésie, l’institution se retrouve en premier lieu face au roi et à sa politique tâtonnante, multipliant les édits ou les lettres patentes, prenant parfois le contrepied d’une mesure précédente, ou entraînant la confusion jusque chez les magistrats qui ne savent plus très bien quelles cours, entre les juridictions civiles ou ecclésiastiques, doivent traiter telle affaire. Mais la volonté royale irrite aussi les parlementaires. Face à un Henri II répondant par plus de fermeté à la diffusion de l’hérésie, les magistrats masquent parfois mal leur mécontentement, se voyant touchés dans leur fonctionnement. Le roi veut ainsi une justice expéditive, en rapport avec le développement rapide du protestantisme sur le territoire, mais qui s’oppose alors au rythme lent naturel d’une justice soucieuse de règles de procédures et d’enquêtes. A l’inverse, lorsque la politique de tolérance se met en place à partir de mars 1560 face au constat d’inefficacité de la punition, certains parlementaires sont décontenancés par ce revirement. 

L’incompréhension règne aussi parmi les populations qui répondent à ce flou par un moindre respect des lois alors que les protestants se voient confortés dans leur combat, tant par la politique de conciliation que par les nobles rejoignant peu à peu leurs rangsp209. Les mesures, qu’elles soient édictées par le roi ou qu’elles proviennent de règlements de police du Parlement, se heurtent aussi aux difficultés d’application par manque de moyens humains, ou parfois un peu de mauvaise volonté ou négligence. Comment ficher en effet tous les propriétaires et locataires de Paris comme le demande le Parlement à diverses reprises ? Comment interdire tout colportage dans une ville aussi grouillante ?

D’une manière générale, Sylvie Daubresse nous invite à nuancer la vision du traitement judiciaire que l’on peut avoir de l’époque. Loin d’une intense répression aveugle et brutale, on découvre un réel souci de justice, entre débats techniques et théologiques comme l’arrêt Séguierp71 interrogeant la définition d’un sacramentaire, le respect des droits de l’accusé, un emploi de la question strictement limité, une réelle interrogation sur les dénonciations qui ne sont pas prises comme argent comptant mais qui masquent souvent des conflits privés ayant peu à voir avec la religion… Juridiquement, le Parlement se heurte à la définition complexe de l’ « hérésie » et privilégie l’appellation de « fait de religion », plus vague. Plutôt que des peines afflictives, toute une gradation cherchait à obtenir la repentance et le retour de l’accusé dans le giron du catholicisme bien plus que le châtiment La condamnation à mort est très minoritaire, avec 3% des 1317 cas examinésp408. Outre des bannissements ou condamnations aux galères, la plupart des condamnés se voient libérés, moyennant un régime de liberté partielle, une période de réclusion en monastère, une pénitence publique, une profession de foi face à l’évêque… Le Parlement, moins soumis en appel à la pression de la population, peut se montrer plus objectif que des juridictions inférieures et adoucit très régulièrement des condamnations précédentes. Mais cela alimente le sentiment de méfiance à l’égard du laxisme des magistrats, de la part de populations voyant revenir chez elles un ancien condamné à mort, finalement simplement soumis à une pénitence. Même au plus haut de la répression, en 1559, celle-ci doit être tempérée. A titre d’illustration, le fameux édit d’Ecouen, souvent donné en exemple du durcissement de la politique du roi, serait peut-être resté lettre morte. L’autrice n’a en effet pas trouvé de traces de son enregistrement au Parlement ou de l’action des commissaires extraordinairesp90.

De manière plus anecdotique, quelques cas de rescousses, ou d’évasions entravent la bonne exécution des peines et forcent le Parlement à plus de vigilance.

Mais le Parlement n’est pas un lieu hors du temps et de l’espace. Comme tout le royaume, il connaît aussi des tensions internes entre une minorité prônant une répression sévère, comme les figures importantes que sont François de Saint-André, Pierre Minard, Louis Gayant ou Gilles Bourdin, et une majorité plus modérée menée par Christophe de Thou, Pierre Séguier ou Christophe de Harlay. L’affaire Anne du Bourg, longuement traitée, est un révélateur de ces dissensions.

 Conjurer la dissension religieuse se révèle ainsi être un livre éclairant, complet et au plus près des rouages internes de la justice avec pour seul bémol un sentiment, au fil de la lecture, d’être quelque peu « noyé » sous les multiples dossiers évoqués.