La revue Parlement[s] n° 37 a pour thème: La construction de l’État monarchique en France (1380-1715) (Spécial concours Études de documents). Ce dossier est coordonné par Cedric Michon, Gauthier Aubert et Vincent Corriol. le dossier se compose de 17 commentaires de documents (avec la contribution d’autant de chercheurs différents, jeunes ou confirmés). La période est découpée en trois parties marquant les césures importantes de la thématique : 1380-1515, 1515-1610 et 1660-1715. 

Ce dossier s’ouvre avec une introduction rédigée par Gauthier Aubert, Vincent Corriol et Cedric Michon ; Suivant une tradition désormais bien établie, la revue Parlement[s] choisit de publier des commentaires de sources dans l’espoir qu’ils soient utiles aux candidats qui préparent les concours du CAPES et de l’agrégation comme à l’ensemble de ses lecteurs. Une variété de documents (correspondance, pétitions, enquêtes, discours parlementaires, documents comptables, articles de presse, iconographies, etc.) émanant d’acteurs ou d’instances divers (le Roi, grands du royaume, membres des parlements) est ici proposée. L’ensemble permet donc de croiser les discours émanant des différentes composantes de la société de l’époque et de leur vision sur les grandes étapes de la construction de l’état royal. Sa diversité est représentative des crises, des inquiétudes mais aussi des espoirs que suscite cette construction.

Cet ouvrage aborde un grand nombre des problématiques incluses dans la question aux concours et fait le point sur l’historiographie et l’ensemble des renouvellements thématiques et méthodologiques qui marquent la question. On voit ainsi combien toutes les composantes du royaume prennent part à cette construction sous des formes diverses. L’accent est aussi mis sur les éléments de crispation tels que les finances, l’armée, les impôts que les institutions ont su dépasser pour éviter la « déconstruction ».

1380-1515

Les femmes dans la construction de l’État monarchique : l’entrée d’Isabelle de Bavière dans Paris (22 août 1389)

Murielle Gaude-Ferragu

Cet extrait des chroniques de Jean Froissard met en avant la mise en scène orchestrée par le pouvoir royal lors des grandes cérémonies. Le roi comme la reine jouent un rôle dans la construction de l’État royal. Les femmes sont écartées de la succession, mais elles incarnent aussi la royauté et participent au double corps de la monarchie. La reine cérémonielle est incarnée lors des entrées de villes et du sacre. Le roi occupe trois fonctions régaliennes ; il est roi de justice, roi de guerre et roi nourricier. La reine, elle, est présentée comme une dame de paix assurant la médiation entre son époux et le peuple. Elle est en ce sens un outil au service de la communication royale et participe à la construction de l’État monarchique en France.

La royauté et la transmission de la couronne. Charles VI définit les règles de succession royale et organise le gouvernement du royaume en cas de minorité du toi. Ordonnance du 26 avril 1403 

Vincent Corriol

Dans un contexte d’incertitude concernant la capacité du roi à gouverner, ce document cherche à organiser la succession de Charles VI victime de crises de folie depuis 1392 et des rivalités princières. Il est primordial d’assurer la continuité du pouvoir. Il est prévu dans cette ordonnance qu’à la mort du roi, l’héritier gouvernera immédiatement sous l’autorité de la reine et de ses oncles, les ducs. Cette loi permet aussi de palier à la fragilité du politique, elle affirme le principe d’instantanéité de la succession « le roi mort saisi le vif », et ce, même sans sacre. L’ordonnance enfin distingue la fonction royale de l’exercice du gouvernement, ce dernier pouvant se faire de façon collégiale en cas d’empêchement.

Légiférer sur l’Église du royaume. La pragmatique sanction de Bourges (7 juillet 1438)

Émilie Rosenblieh

La pragmatique sanction de Bourges promulguée par Charles VII régit les relations entre l’Église gallicane et le Pape. Le royaume de France est alors fragilisé par la guerre de cent ans, les rivalités entre Armagnacs et Bourguignons et l’expansion anglaise. Cette pragmatique sanction participe à la construction législative du royaume et pose le cadre de la nouvelle Église de France. L’assemblée élargie réunie à Bourges est chargée de lutter contre l’hérésie, pacifier la chrétienté et « reformer l’état ecclésiastique ». Le roi préside cette assemblée et reprend la main sur les questions ecclésiastiques, du moins jusqu’à sa révocation au concile de Latrans V en 1512.

L’itinéraire de Charles VI : se déplacer pour gouverner ?

Boris Bove

Le corpus documentaire étudié permets de mieux connaître les déplacements des rois et du sens politique à donner à la mobilité de ces derniers. Il s’agit ici des voyages de Charles VI de 1380 à 1400. Sous l’autorité de ses oncles ducs de Bourgogne, Charles VI débute un règne prometteur jusqu’à ce que la folie le sédentarise vers 1400. Les motifs de déplacement sont souvent politiques, pour fixer des objectifs militaires ou mater des villes en rébellion. Le roi en profite pour rencontrer sa future épouse et soigne ainsi sa diplomatie. En 1389 il entame un grand tour du royaume de six mois, sa volonté est alors de montrer sa présence physique et se faire apprécier de ses sujets. Malgré cette mobilité, le monarque reste attaché à ses régions de résidences, lui seul choisi de se déplacer ou non ; l’autorité des rois repose finalement davantage sue le prestige que sur l’hyper mobilité.

Le pouvoir d’État devant l’éternité. Lit de justice contre le duc d’Alençon (1458)

Franck Mercier

L’enluminure présentée ici du « lit de justice de Vendôme », illustre la puissance retrouvée de l’état monarchique sous Charles VII. Cette image interroge sur le lien entre la représentation et l’autorité et sur la manière dont la soumission se transforme en obéissance. Diffusé auprès des élites cultivées, elle fait référence au procès de crime de lèse-majesté du duc Jean D’Alençon en 1458. Le spectacle de la déchéance d’un prince permet l’affirmation du roi et la théâtralisation de son pouvoir. Sa force s’est transformée en loi et lui a permis de gagner en puissance ; le roi s’affirme comme s’affirme l’état monarchique.

Louis XI présidant le chapitre de l’ordre de Saint-Michel (1470) : Jean Fouquet ou l’art de l’image en trompe-l’œil

Vincent Challet

La miniature présentée a été réalisée par Jean Fouquet et montre le monarque présidant l’ordre de saint Michel. Dans un contexte de relations tendues avec le duché de Bourgogne, le roi affirme ici sa supériorité et sa volonté de « domestication » de la noblesse. L’union se fait autour de la personne du roi qui souhaite qu’on lui soit fidèle mais cette fidélité n’est peut-être qu’apparente. La méfiance étant de mise face aux grands du royaume, des officiers sont représentés à l’arrière-plan. De condition plus modeste, ils sont dévoués au roi et feront preuve, eux, d’une loyauté indéfectible. C’est ainsi que cette miniature participe de la construction de l’état monarchique, dans sa quête de stabilité, le roi s’appuie sur un personnel renouvelé et garde ainsi un œil sur la noblesse turbulente.

Le « roi-berger » dans le Livre des trois ages : métaphore de l’impôt permanent dans le royaume de France à la fin du XVe siècle

Lydwine Scordia

L’enluminure présentée est extraite d’un manuscrit offert à Louis XI et est une métaphore du pouvoir fiscal du roi. Louis XI a consacré son règne à « augmenter la chose publique du royaume de France » comme s’emparer de l’héritage bourguignon. Sa politique a été très coûteuse, les impôts ont été quadruplés et les documents mettent en garde contre ces prélèvements excessifs. La métaphore pastorale est très fréquente, le roi est un berger veillant sur son troupeau. Le berger tond ses bêtes comme le roi prélève les impôts. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, le roi vivait « du sien » mais avec la guerre de cent ans, les impôts deviennent permanents. Les finances participent à la construction de l’état monarchique par l’entretien des armées ou du personnel de perception fiscal mais cette pression entraîne aussi de nombreux mécontentement allant parfois jusqu’à la révolte.

1515 – 1610

Dépenses publiques et politique financière au prisme d’un document comptable. Extraits de l’État général des finances pour 1518

Philippe Hamon

Ce document est un état général des finances prévisionnel, un certain nombre de dépenses sont prévues ainsi que quelques recettes. Le domaine le plus représenté est celui de la maison royale et la vie de cour, le service direct du prince est au cœur des dépenses. Une place importante est occupée par les pensions et le maintien de l’ordre à l’intérieur du royaume. Dès le règne de François Ier, l’argent devient « le nerf de la guerre » mais aussi un élément décisif pour mettre en œuvre des choix politiques.

La révolte des Pitauds de 1548 : une résistance à l’État monarchique ?

Brice Evain

A la fin du printemps 1548, les habitants de l’Angoumois prennent les armes contre un projet d’extension de la gabelle de Henri II, c’est la naissance du mouvement de la révolte des Pitauds. Cette révolte modèle pour Yves-Marie Bercé a su se constituer en phénomène de résistance à la construction de l’état monarchique. Le mécontentement porte sur la hausse des impôts et taxes directs comme indirects. Parmi eux, la gabelle est sans doute le plus détesté. En plus de la fiscalité, le texte dénonce la présence grandissante des agents du gouvernement et leurs abus ; en réaction les Pitauds refusent l’état moderne et résistent. Le roi est épargné et s’il n’est pas le problème, il peut être la solution. Fin août 1548, Henri II envoie ses troupes pour une répression féroce mais dès 1549 la reforme de la gabelle est annulée, les Pitauds ont eu gain de cause.

Convaincre les « bien-aisez » de financer la guerre : mémoire d’Henri II pour Guillaume de Dinteville (11 juillet 1555)

Laurent Bourquin

Le mémoire proposé ici s’ancre dans un contexte troublé, le roi Henri II missionne Guillaume de Dinteville auprès du duc de Bourgogne des « bonnes villes » pour lui demander de financer les potentielles hostilités contre les Habsbourg. Le texte insiste sur l’impossible paix, sur la duplicité de l’adversaire. Charles Quint est jugé responsable par ses conditions déraisonnables; Henri II a besoin de « deniers promptz » mais le système fiscal n’est pas adapté aux urgences : on lance alors le recours aux « bien aisez ». Guillaume de Dinteville est un homme de confiance, fin connaisseur des élites il manie la persuasion et la menace pour parvenir à ses fins.

« Tout s’et perdu pour aystre seu ». La forge de l’écrit politique dans les arcanes du pouvoir au second XVIe siècle

Jérémie Ferrer-Bartomeu

La source ici présentée est extraite du mémoire de Catherine de Médicis pour son fils Henri III. La tradition de ce genre d’écrits s’ancre à cette époque, ils sont des instruments au service de la guerre, la paix, la diplomatie ou la gestion des troubles intérieurs. Les bourgeoisies urbaines en sont en charge et conseillent les souverains. Le document présente la bonne conduite des affaires politiques, c’est une sorte de manuel de gouvernement de la part de cette reine qui veut garder la main. Pour créer et faire circuler des écrits, il faut la présence conjointe des rois et de leurs secrétaires et la reine est là pour réguler l’entourage du roi. Elle cherche à araser certains anciens réseaux pour en mobiliser de nouveaux. Les administrateurs ont de nouvelles positions.

Discours adressé par le duc de Nevers à Charles IX (septembre 1572). Une interprétation providentielle des massacres de la Saint-Barthélemy

Ariane Boltanski

Louis de Gonzague, duc de Nevers présente un discours au roi Charles IX dans lequel il explique le sens à donner aux massacres s’étendant du 24 août 1572 à début octobre de la même année. Le duc appartient à la très haute noblesse et développe l’intransigeance catholique, le roi lui souhaite la concorde et la paix. La Saint-Barthélémy marque un basculement, on assiste à un déchaînement de violence hors du champ de bataille. Pour Louis de Gonzague, il s’agit d’un miracle ou d’une révélation divine, les massacres sont les fruits des actions de dieu pour éradiquer l’hérésie ; le roi doit alors emprunter ce chemin providentiel et il tente de l’influencer. Pour le duc de Nevers, la restauration de la puissance du roipasse par l’armement et l’élimination des protestants. Il exalte la puissance du roi, lieutenant de dieu.

1610- 1715

Le temps de l’obéissance absolue est venu !
Louis XIII, les États de Languedoc et l’édit de Béziers(1632)

Jérôme Loiseau

Ce document est consacré à la séance d’ouverture des états du Languedoc. Habituellement convoquée chaque année, cette séance est particulière et destinée à la réception de nouveaux règlements. Ces états sont l’emblème de la conception républicaine classique de la monarchie. Ils se tiennent sur convocation du roi et existent depuis le XIVe siècle. Le roi est le maître du temps et de l’espace, car il décide du calendrier et des villes d’accueil, ici Béziers. La mise en scène est parfaitement réglée : le roi au centre, l’Église à droite et à gauche la noblesse , l’ensemble respecte l’ordre monarchique

En 1632, cette institution change de statut, elle n’est plus une simple réunion mais un dispositif d’échange grâce auquel le roi « s’absolutise », tout ou presque dépend de sa volonté. Les états ont des prérogatives qui limitent aux opérations comptables et les trésoriers sont remplacés par des officiers royaux : l’édit de Béziers entérine l’abaissement des états.

Ceci est une belle démonstration de l’absolutisme et les états ne deviennent que de simples chambres d’enregistrement mais pour une courte durée ; cet édit ne survivra pas à la Fronde et Anne D’Autriche le révoquera le 9 novembre 1649.

Les Registres secrets, un révélateur du rôle des parlements au XVIIe siècle

Caroline Le Mao

Dans la France d’ancien régime, les registres secrets sont des sources importantes, ce sont des sortes de livres de bords où l’on note toute agitation politique ou toute activité du quotidien. Ici les extraits émanent des registres secrets du parlement de Bordeaux. Après le détail des différents parlements, de leur composition et domaines d’activité, l’accent est mis sur les relations qu’ils entretiennent avec le souverain. La plupart du temps, le roi s’adresse par écrit au parlement qui enregistre et applique les décisions, mais les rapports ne sont pas toujours des rapports de subordination/obéissance et le roi peine parfois à être obéi.

Louis XIV et la procédure d’enregistrement. La déclaration du 24 février 1673

Olivier Chaline 

Ce document émanant de Louis XIV rappelle certains grands principes de l’ordonnance d’avril 1667 et marque l’interdiction des remontrances au roi avant l’enregistrement des lois. Dans le contexte de la guerre de Hollande, les besoins financiers se font important et le roi ne souhaite pas que les cours « souveraines » puissent contrer ou retarder la mise en œuvre de ses projets. Il semblait nécessaire de redéfinir les procédures d’enregistrement par lettres patentes (scellées de cire verte) et qui valent commandement du roi. Les assemblées ont dès réception, trois jours pour se réunir et procéder au vote ; les cours ont donc l’interdiction de retirer les lois royales et les remontrances ne pourront se faire qu’une fois l’enregistrement réalisé : l’ennemi est le délai. Louis XIV a réaménagé l’existant à son avantage : il faut avoir enregistré pour faire une remontrance et celle-ci n’est pas réitérable.

L’étouffement des communautés reformées par l’État royal. L’exemple du synode provincial d’Anjou-Touraine-Maine de 1683

Didier Boisson

Le texte ici présenté dresse un compte-rendu du déroulement du synode provincial des Églises reformées d’Anjou-Touraine-Maine. Ces institutions provinciales, dans un contexte encore troublé et dont l’objectif d’unité de foi du royaume est affirmé, restent les seules autorisées. Les commissaires royaux sont des acteurs centraux du contrôle des églises reformées et par leur intermédiaire l’état royal rythme et entrave les réunions des synodes en les espaçant.

Les églises reformées seront progressivement interdites et la pression s’accentuera sur les communautés en faisant appliquer une législation de plus en plus contraignante.

L’appel du 12 juin 1709 : crise ou apogée de la monarchie absolue ?

Gauthier Aubert

Cette lettre à destination des Français est écrite par Louis XIV alors que la guerre de sécession d’Espagne gronde. La France semble à l’apogée de ses déboires, en plus des difficultés militaires, des problèmes financiers et frumentaires voient le jour. Des contestations enflent jusqu’à des rumeurs de régicide. Les coalisés face à la France sont réunis dans « la grande alliance de la Haye » avec l’Angleterre, les Provinces-unies et l’empereur qui veut défendre les droits des Habsbourg . L’orgueilleux » Louis XIV a réussi à faire l’unanimité contre lui. Les espoirs de paix sont néanmoins présents, le champ lexical est fourni et il est urgent de régler le conflit. Dans cette lettre aux Français, le roi se pose en père de ses sujets et rappelle à son peuple sa fidélité et son besoin de soutien. Cet appel est autant un signe de crise que le témoin d’un système qui a tenu, voici l’art de gouverner de Louis XIV.