CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

Le Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) propose, avec la publication du quatrième tome de l’ Histoire de la pensée géographique de Clarence Glacken, de redécouvrir une œuvre fondamentale de l’histoire de la géographie. Traces on the Rhodian Share paraît en 1967. Derrière ce titre énigmatique (qui fait référence à une scène racontée par Vitruve dans la préface de De Architectura) se cache une somme de plus de 700 pages qui embrasse quatre millénaires de l’histoire des idées à travers des centaines d’auteurs et des milliers d’œuvres. Le CTHS publie ici la dernière partie de l’œuvre : celle consacrée au XVIII° siècle.

Le CTHS est une institution ancienne. Fondé par Guizot en 1834, il a, depuis son origine, publié des textes de recherche et universitaires. Il est rattaché à l’Ecole Nationale des Chartes et organise des colloques à caractère scientifique régulièrement. C’est dans le cadre de la section Sciences géographiques et environnement que ce volume est publié.

Clarence Glacken (1909-1989) est un géographe américain, peu connu en France. Après avoir réalisé une enquête ethnographique au Japon, il enseigne à l’université de Berkeley et entame une histoire des relations de l’humanité avec son environnement terrestre. A l’ouvrage publié en 1967, il prévoit une suite couvrant les XIX° et XX° siècles. Des raisons de santé l’empêchent de mener à bien ce projet.

C’est au XVIII° siècle que les penseurs commencent à discuter les questions de culture et d’environnement. Par cette réflexion, des naturalistes (Buffon), des philosophes (Kant) prennent leur distance avec la conception religieuse du monde, allant à contre-courant de la tendance générale. Ils accordent une place majeure aux données rapportées de voyages d’exploration. Ils remettent en cause la théorie des causes finales (argument du dessein divin de la Terre et de son humanité). Buffon, Hume, Goethe, Kant ont une position complètement novatrice pour leur temps alors qu’à l’époque dominent les écrits théologiques.

Buffon développe l’idée que l’Homme est un acteur des changements de l’environnement aussi puissant que l’eau et le vent. Dès le XVIII° siècle, apparaît, au risque de faire un anachronisme, le Développement Durable. Herder envisage, dès lors, les conséquences de l’activité humaine sur son environnement : déforestation, modification du climat. Humboldt reprend la théorie environnementale, c’est-à-dire l’idée que le degré d’une civilisation est inversement proportionnel à la fertilité de son sol et à la richesse de la nature qui l’entoure. Toutefois, la théorie questionne quand on envisage la répartition des Hommes dans les Andes. L’explication par le milieu naturel trouve alors ses limites. L’action des Hommes apparaît comme évidente.

Parallèlement à ces idées novatrices, demeurent des théories fantaisistes, comme celles qui mettent en avant les influences de l’air sur les corps et la qualité du sang pour expliquer les différences entre les peuples. Ainsi, l’Abbé Du Bos explique les changements physionomiques (cheveux crépus, forme du nez et des lèvres) des colons portugais installés en Afrique par le climat et non par les unions sexuelles entre colons et autochtones ! Montesquieu fait aussi de la géographie sans bouger de chez lui. Il utilise pour se faire les récits de voyage et réalise des expériences scientifiques d’amateur. Ainsi, la théorie climatique de L’esprit des Lois trouve son origine dans l’observation d’une langue de mouton ! Montesquieu a remarqué que ce qui rend compte du goût (des sortes de houppettes présentes sur la langue) disparaît lorsque la langue est gelée. Il en conclue que dans les pays froids les sensibilités sont moins vives alors qu’elles sont extrêmes dans les pays tropicaux. Voltaire fait partie des nombreux détracteurs de Montesquieu. Il s’interroge, par exemple, sur le fait que si la théorie des climats était exacte comment explique-t-on le déclin de la Grèce du XVIII° siècle par rapport à celle de Périclès. Le climat n’ayant pas changé entre les deux époques, la théorie ne tient pas.

C’est aussi au XVIII° siècle qu’apparaît la théorie des populations. On désigne par là l’idée que la Terre impose ses limites, y compris à la capacité de reproduction des Hommes. (cf. Malthus). Cette idée va à l’encontre de la religion qui encourage les Hommes à croître et à se multiplier. Godwin oppose à la théorie des populations l’idée que la productivité de la terre peut être améliorée grâce à l’Homme.

L’idée qui prévaut, à la fin du XVIII° siècle, chez Buffon, est celle que l’Homme est un agent géographique. Buffon a la conviction que la planète a vécu une histoire plus complexe que celle racontée dans la Bible (création, déluge). L’Homme en est l’acteur principal. En domestiquant des animaux, l’Homme dispose d’agents secondaires, qui vont eux aussi avoir un impact sur l’environnement.

Si le XVIII° siècle a porté de nombreux penseurs qui se sont interrogés sur les rapports de l’Homme et de la nature, c’est grâce à une meilleure connaissance des peuples du monde et des environnements terrestres. Les voyages d’exploration ont beaucoup joué. Cette réflexion sur la nature s’inscrit dans le cadre d’un monde pré-industriel.

L’édition française de Traces on the Rhodian Share permet de découvrir l’élaboration des idées qui fonderont la géographie. La lecture de cet ouvrage prend toute sa place dans le débat qui a donné naissance à la notion de Développement Durable.
Clarence Glacken a l’art de rendre limpide des thèses compliquées. Malgré tout, son ouvrage reste une somme.

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