Un manuel devenu classique

En 2012 paraissait la première édition avec une couverture entièrement rouge et publiée par SEDES. Pour l’analyse de la première édition, on se reportera avec profit au compte-rendu de Xavier Leroux publié en juin 2012. Sept ans plus tard, Armand Colin intègre dans l’excellente Collection U la seconde édition de ce manuel d’épistémologie réalisé sous la direction de Pascal Clerc.

Professeur de géographie à l’Université de Cergy-Pontoise, Pascal Clerc a rédigé 14 des 48 chapitres de l’ouvrage. Pour mener à bien l’écriture de ce livre, il est assisté de trois géographes : Florence Deprest (professeur à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne), Guilhem Labinal (maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise) et de Didier Mendibil (ancien maître de conférence à l’Université Paris-Est-Créteil).

Géographie vs savoirs géographiques ?

« Si toute activité humaine s’inscrit nécessairement dans une dimension spatiale, alors chaque acteur, à chaque instant, consciemment ou non, mobilise des savoirs sur l’espace et des savoir-faire avec l’espace, dans ses rapports de proximité et d’éloignement avec toute autre ou toute chose situées. Ces savoirs géographiques-là, dans leur extrême diversité culturelle, nous servent à tous, et tout le temps, et c’est cela même que la science géographique contemporaine interroge à travers le concept de spatialité ».

Florence Deprest, Géographies, 2019, Page 16

Les nombreux renvois entre les chapitres permettent une lecture discontinue de l’ouvrage. Les chapitres sont courts, ce qui donne du rythme à la lecture. Le ton est particulièrement reconnaissable et s’approche de celui d’ouvrages de didactique de la géographie.

Dès les premières pages, le débat porte sur le caractère scientifique de la science géographique, puis de la construction d’un discours sur le réel. Cette nouvelle édition s’enrichit des apports de la recherche des années 2010. Par exemple, cette nouvelle édition reprend les travaux de Sarah Mekdjian et d’Anne-Laure Amilhat-Szary sur la cartographie des émotions (joie, peur) pour les demandeurs d’asile (2013). Dans le chapitre 2, les apports du dernier livre de Christian Grataloup, « Vision(s) du monde » permettent de s’éloigner de la naturalisation du découpage du monde. Les travaux d’Isabelle Surun (2018) sur les savoirs géographiques coloniaux sont mis en avant dans le chapitre 11 dont le titre est « la géographie, ça sert à coloniser ? ». Du point de vue éditorial, la présentation de la Documentation Photographique décrit bien le basculement de la Documentation française aux éditions du CNRS datant de janvier 2019.

A la page 222, dans le chapitre dédié à la didactique de la discipline, on retrouve une mention à propos d’un Clionaute : « longtemps délaissée, la didactique de la géographie à l’école primaire a bénéficié de travaux sur les représentations (Xavier Leroux) ». Une belle reconnaissance !

Certains rappels sont salutaires, notamment pour aller à contresens d’idées reçues : la géographie scolaire n’a pas été « mise en place à la suite de la défaite de 1870, il s’agit tout au plus d’une réforme » (page 37). Le chapitre 6 permet de définir clairement les expressions « d’espace géographique » et de territoire mais aussi la différence entre un acteur, un actant et un agent géographique.

Pour la parution d’une troisième édition, quelques coquilles seront à corriger (le toponyme de Minneapolis par exemple). De façon étonnante, les auteurs se limitent à la première édition du livre de Mark Monmonnier sur l’usage des cartes (« comment mentir avec les cartes ? » de 1993). Les éditions Autrement ont pourtant édité une nouvelle édition en février 2019.

Pour rebondir à propos d’un court paragraphe de Guilhem Labinal à la page 27, le voyage d’un groupe de viking mené par Leif Eriksson du Groenland vers la côte orientale de l’actuelle Canada n’est plus guère discuté avec les fouilles archéologiques de l’Anse aux Meadows (Canada). Notons aussi que dans certains chapitres, les auteurs ont parfois tendance à multiplier les citations entre eux, ce qui peut avoir tendance à agacer le lecteur. On y décèle également les proximités entre les auteurs et certains chercheurs dont les travaux sont abondamment cités au détriment de nombreux collègues : c’est notamment le cas d’Olivier Orain que l’on retrouve dans la plupart des chapitres ! Ceci n’empêche pas de disposer d’un véritable manuel, à la fois synthétique (300 pages environ), clair et actualisé.

Richement illustré en noir et blanc (carte, chorème, tableau, schéma, photographie), ce manuel d’épistémologie s’avérera très utile aux candidats du CAPES, du CAFEP et de l’agrégation afin d’être au point pour les oraux. A ce titre, on retrouve à la page 267, un petit encart engagé traite du choix politique et épistémologique de la question du Capes et de l’agrégation consacrée aux « espaces ruraux en France ».

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes

L’auteur de ce compte-rendu tient à remercier Guilhem Labinal pour les précisions apportées à la suite de la publication de la première version de ce compte-rendu. Qu’il en soit remercié.