CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens et au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien.

Ceci n’est pas un livre comme les autres. Ce n’est pas un énième livre sur le sida. Voilà un livre qui propose une démarche particulière. Il est le fait du Centre Sinomlando. Ce centre est dirigé par Philippe Denis, historien belge du christianisme, installé depuis 20 ans en Afrique du Sud, auteur de L’épidémie du sida en Afrique subsaharienne. Karthala, 2006. L’un des objectifs de ce centre est de recueillir les témoignages oraux des familles affectées par le VIH-Sida. Il s’agit, pour elles, de raconter leurs histoires de façon à développer la résilience chez les orphelins ou les futurs orphelins. Pour cela, le centre a mis en place la technique des boîtes de mémoire. Ce livre est donc un guide pratique à destination des ONG afin qu’elles puissent mettre en œuvre cette opération. Ce livre est paru en 2005 en Afrique du Sud sous le titre : Never too small to remember. Memory work and resilience in times of AIDS. Traduit et publié en français, grâce au soutien du Secours Catholique et aux éditions Karthala, il doit permettre la diffusion de cette méthode de deuil dans l’Afrique francophone.

Le livre comporte deux parties. Une première explique le projet, ses tenants et ses aboutissants. La seconde partie est un manuel à l’usage des équipes où est décrite, dans le détail, les méthodes à suivre, le matériel dont on doit disposer pour mettre en œuvre cette opération.

Objectif de l’opération :

Ce programme a été mis en place pour essayer de répondre à la multiplication des orphelins du sida. On compte un million d’orphelins du sida en Afrique du Sud. L’idée de départ qui prévaut à ce travail est celle que les enfants ont une histoire, même si plus personne n’est là pour la leur raconter. Il s’agit d’aller à l’encontre de la tradition zouloue qui veut que l’on ne se préoccupe pas de la souffrance des enfants, jugés trop jeunes pour ressentir quoi que se soit à la mort de leurs parents. En leur permettant de faire leur deuil, l’association les aide à réagir, à s’adapter à leur nouvelle situation. C’est ce que l’on appelle la résilience. Celle-ci est fondamentale pour que l’enfant puisse faire face aux traumatismes multiples qu’il subit à la mort de ses parents : abandon, pauvreté, violence, sévices sexuels, déscolarisation…

La méthode :

La méthode mise en œuvre doit permettre aux enfants dont les parents sont décédés ou vont bientôt mourir de conserver de ces derniers un souvenir qui leur permettra de « grandir malgré tout ». Le support de ce programme est une boîte en carton, en métal, en bois contenant des photos, des papiers d’identité, des cassettes sur lesquelles sont enregistrées la voix du défunt ou le récit de l’histoire des parents, voire même l’histoire racontée par l’enfant lui-même. Cette démarche trouve son origine en Grande Bretagne dans une opération menée auprès d’enfants placés en institution ou en famille d’accueil. La psychologie de l’enfant s’intéresse à la résilience depuis les années 1970.
Les membres de l’association proposent à des familles volontaires de faire ce travail de mémoire. Ils se rendent au domicile des familles et interviewent le ou les parents en la présence de leurs enfants. Il est demandé aux familles d’évoquer le défunt ou de raconter l’histoire de la famille. On ne demande pas aux parents d’avouer leur séropositivité à leurs enfants. Certains profitent de l’occasion pour le faire, d’autres pas. La conversation est enregistrée. Elle est ensuite transcrite sur du papier par les volontaires de l’association. Cette histoire sera placée dans une boîte qui renfermera les souvenirs de la famille. Cette démarche est loin d’être évidente. Toute famille a ses secrets. La limite entre ce que l’on peut dire et ne pas dire est tenue, y compris au niveau de la révélation de la maladie.
L’association organise aussi des camps pour les enfants qui n’ont plus de famille. Dans ce cas, les enfants racontent, eux-mêmes, ce qu’ils savent de leur famille et de leur histoire. Ils repartent du camp avec une boîte de mémoire, décorée par leurs soins, contenant leur récit, des dessins faits pendant le camp.

L’évaluation du programme :

Elle est difficile à chiffrer. Le centre porte, d’ailleurs, un regard critique sur ce point, reconnaissant que, dans le domaine du bien être individuel et psychologique de l’enfant, il est difficile de faire une évaluation de son travail. Au début et à l’issue des camps pour enfants, les volontaires distribuent des questionnaires aux participants pour évaluer les progrès qu’ils ont pu constater dans leur manière d’exprimer leurs difficultés. Le centre a conscience de la limite de ce moyen.

Ce livre permet d’envisager l’action d’ONG qui oeuvrent dans un autre domaine que celui de l’urgence. Au-delà des associations qui viennent en aide lors des famines, des guerres, le centre Sonomlando réalise un travail tout à faire particulier : il œuvre sur la mémoire. Cela peut paraître secondaire dans le cas de l’épidémie du sida qui sévit très fortement en Afrique sub-saharienne mais c’est un travail tout à fait essentiel. Comme les ONG qui travaillent dans le domaine de l’éducation, cette association construit l’avenir en permettant aux enfants de faire leur deuil. C’est une démarche intéressante qui peut être reprise dans les cours d’éducation civique ou de géographie, en cinquième, par exemple. Cet exemple permet de montrer aux élèves que l’action des ONG est très diverse. Au-delà du cliché du French Doctor, il me semble important de faire prendre conscience aux élèves qu’il ne suffit pas de soigner les plaies du corps. Faire prendre conscience des souffrances psychologiques subies par des enfants peut permettre d’aller plus loin dans l’enseignement de la notion de solidarité. On pourrait d’ailleurs associer la présentation de cette opération avec celle que met en œuvre UNIICEF auprès des orphelins du sida. Voir le dossier consacré aux orphelins du sida sur le site : http://www.unicef.fr

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