« L’un des plus petits objets de la vie quotidienne …, la pilule contraceptive, est un grand objet d’histoire ». L’introduction donne le ton de ce livre à la fois informé et stimulant de Myriam Chopin, enseignante-chercheuse et d’Olivier Faron, professeur d’histoire contemporaine. 

Un objet d’histoire

La pilule représente un tournant dans l’histoire puisque avec elle, les femmes peuvent maîtriser leur fécondité. Prendre la pilule entre 17 et 50 ans revient à ingérer 8 000 comprimés. La pilule est un objet d’histoire car elle est, entre autres, un formidable capteur du rapport à notre corps. 

Pour une histoire longue de la contraception

Pendant longtemps, la parole des femmes est absente des sources. Les moyens utilisés sont souvent peu efficaces, voire dangereux. L’obsession est que la femme soit féconde et c’est pour cela que les maladies de l’appareil reproducteur féminin sont une préoccupation d’Hippocrate. On sait peu de choses sur les pratiques si ce n’est qu’existait le coïtus interruptus. L’Eglise condamna rapidement la contraception. 

Mariage, sexualité et contraception, XVI-XIXe siècle

On trouve trace d’autres méthodes comme les éponges contraceptives. On a également un peu plus de voix de femmes, comme celle de Madame de Sévigné qui met en garde sa fille contre des enfantements trop fréquents qui pourraient nuire à sa santé. Au passage, on apprendra aussi que le siècle des Lumières ne signifie rien de nouveau pour les femmes. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaître un véritable contrôle des naissances. Il faut comprendre qu’il s’agit là d’un changement de modèle. 

De la loi de 1920 à l’évidence de la contraception, 1920-1960

La loi de 1920 a constitué la référence jusqu’en 1975. Le contexte est fondamental car elle a pour objet de repeupler la France après la Première Guerre mondiale. En 1923, l’avortement devient un délit. Du côté des grandes dates, on peut retenir que, si le Front populaire nomme trois femmes sous-secrétaires d’Etat, cette période n’apporte dans le domaine qui nous concerne aucune inflexion majeure. Sous le régime de Vichy, l’avortement ou la contraception sont des « crimes contre l’Etat » mais aussi « contre la race ». Les choses changent après 1950 à la faveur des contacts plus fréquents avec d’autres pays. Il ne faut pas négliger non plus l’importance du livre de Simone de Beauvoir de 1949. Les auteurs évoquent ensuite les différentes personnalités et étapes des années 50. Un chiffre interpelle : en 1961, une enquête révèle que sur 1020 femmes ayant accouché dans trois hôpitaux parisiens, un tiers ne souhaite pas cette grossesse.

La pilule au cœur du débat années, 1950-1960

Les choses changent en peu de temps car, onze ans après sa découverte scientifique aux Etats-Unis, la pilule est inscrite dans la politique française de régulation des naissances. Le livre parle de Gregory Pincus, son inventeur. Sans être techniques, les auteurs nous font comprendre son travail. En France, il faut mentionner l’action de Pierre Simon et de Lucien Neuwirth entre autres. Le monde médical est alors très divisé. On mesure bien sur un tel sujet l’importance d’une volonté politique forte sans laquelle rien n’aurait été possible. 

Lulu la pilule, années 1960

On suit le chemin personnel de Lucien Neuwirth puis le parcours du combattant de sa loi déposée en 1966. Il fit l’objet de violentes attaques. Les auteurs restituent l’ambiance et les affrontements de l’époque. Cette loi marque en tout cas une «  rupture dans une société française clivée, restée largement conservatrice ».

La reconnaissance institutionnelle de la pilule Années 1960-1970

L’application pleine et entière de la loi va prendre des années. Les textes d’application sont promulgués entre 1969 et 1972. Là encore, on constate qu’un événement phare comme mai 68 a peu compté dans l’affirmation de la pilule en France. Il faut attendre 1976 pour que l’indication « contraceptif » figure dans le Vidal. Le livre se poursuit autour de l’action de Simone Veil. Avec la pilule, comme le dit un député, on demande à la Sécurité sociale de rembourser un acte de prévention et non curatif. La rupture est décisive et annonciatrice d’une inflexion des politiques de santé. La loi Veil de 1974 apporte une reconnaissance légale et institutionnelle définitive à la pilule. 

La France, pays du tout-pilule, années 1960 jusqu’à nos jours

Les auteurs replacent ensuite le cas français dans le contexte international. En 2015, 69 % des femmes européennes utilisent un moyen de contraception contre 33 % des Africaines. La France a fait un choix clairement orienté vers la pilule alors qu’au niveau mondial elle représente seulement 15 % de la contraception. En France, le schéma classique c’est 5 ans de préservatif, 15 de pilule et 10 de stérilet. 

La pilule, déjà obsolète ? années 1970 jusqu’à nos jours

Ce chapitre évoque notamment la pilule pour hommes et explique pourquoi elle ne s’est pas développée. Il parle aussi de la pilule du lendemain vendue à 166 000 exemplaires en 1999 et 1,270 million en 2010. La pilule n’a plus fait l’objet de recherches et donc de nouveautés pendant longtemps. 

Une pilule dure à avaler, années 1970-2012

Cette partie aborde ce qu’on appelle la « pill scare », c’est-à-dire les peurs autour de la pilule. Dès 1980, des livres pamphlets paraissent. Il faut aussi remarquer que ce n’est qu’en 1980 qu’un enseignement devient obligatoire dans la formation des médecins sur la pilule. Du côté de l’Education nationale, il n’y a pendant longtemps que trois heures de cours en fin de collège. On voit aussi l’effet du Sida qui a remis sur le devant de la scène le préservatif.  

La génération de trop ? 2013-2020

La pilule est aussi un produit commercial. Celle de troisième génération offre une efficacité maximale avec un minimum d’hormones. Les auteurs évoquent la Diane 35 qui marque une étape car ce sont des anti-acnéiques qui sont prescrits pour leur effet contraceptif. Les pilules de troisième génération ne sont pas remboursées, ce qui brouille le message. A partir des années 2000, des témoignages de femmes victimes d’effets de la pilule sont médiatisés. En 2013, on s’aperçoit que certains leaders d’opinion ont poussé pour la prescription de cette génération de pilules en minimisant les risques.

 La pilule demain

En fin d’ouvrage, la parole est donnée à un échantillon de femmes. 40 % des femmes de 14-15 ans prennent la pilule pour des objectifs non contraceptifs. Ce qui demeure en tout cas c’est que la femme devient actrice de son destin. On voit se développer une «  marche vers une contraception saine et non médicalisée ». La pilule est devenue le « symbole de la fameuse charge mentale dont ont toujours été accablées les femmes ». 

Cet ouvrage montre qu’à travers un objet, on peut écrire une histoire passionnante, porteuse de sens, avec une mise en perspective des enjeux qu’il porte. Une réussite.

Jean-Pierre Costille