Comme le montre les succès de magazines comme Détective ou des romans et films policiers, les affaires criminelles sont, depuis le XIXème siècle, une « passion française ». Sachant que le métier d’historien s’apparente souvent à celui d’un enquêteur, Jean-Marc Berlière s’interroge légitimement dans l’introduction sur le regard spécifique que l’histoire peut poser sur certaines affaires criminelles. C’est dans cette optique que ce dernier a réuni dans cet ouvrage collectif 18 historiens pour analyser 18 affaires, grandes comme petites, célèbres comme inconnues, et qui s’étendent sur 7 siècles de l’histoire de France.
Jean-Marc Belière est professeur d’histoire émérite, spécialiste des questions de police aux XIXe et XXe siècles. Il a publié une Histoire des polices en France. De l’Ancien Régime à nos jours ainsi Naissance de la police moderne et Polices des temps noirs. France, 1939-1945.
Contenu du livre
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Gilles de Rais en procès (Claude Gauvard) : l’historien confronte les rumeurs qui circulent autour de Gilles de Rais (enlèvements et meurtres d’enfants, de femmes enceintes…) après son exécution le 26 octobre 1940 aux archives judiciaires de l’époque.
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Le procès de Damiens (1757) : un procès unique en son genre (Nicolas Vidoni) : l’historien s’intéresse au dispositif judiciaire exceptionnel mis en place pour juger Damiens après sa tentative de régicide sur Louis XV, un crime à la fois rare et politique.
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L’affreuse aventure de Calas : crime ou suicide ? Antoine Louis mène l’enquête médico-légale (Michel Porret) : l’historien revient sur la célèbre affaire Calas (1761) par le prisme du rôle d’Antoine Louis, « inventeur » de la médecine légale. Ce dernier va prouver que Marc Antoine Calas s’est suicidé et non a été tué par son père Jean Calas comme la justice l’accusait
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La Beauce à feu et à sang ? Les « chauffeurs » d’Orgères, autopsie d’un mythe (David Feutry): Entre 1791 et 1798, une bande terrorise la Beauce : on raconte qu’ils brûleraient les pieds des fermiers pour découvrir leur argent. L’historien, grâce à un regard critique sur les archives du procès, tente de comprendre pourquoi un simple phénomène de brigandage s’est transformé en mythe du crime et de l’horreur tout au long du XIXème siècle.
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Les « sauvages » du Palais-Royal : une affaire de moeurs en 1791 (Vincent Denis): En 1791, le commissaire Toublanc intervient suite à une dénonciation dans une boutique du Palais-Royal pour un « spectacle scandaleux ». Il y découvre un couple de « sauvages » (ce sont en fait un homme et une jeune fille françaises se faisant passer pour des « sauvages ») qui se produit nu devant des spectateurs payants. Pour l’historien, cette affaire est révélatrice de phénomènes de la période révolutionnaire : l’afflux de nombreuses jeunes femmes pauvres dans la capitale, la commercialisation du sexe et une police à qui on abandonne la régulation des mœurs et auxquelles elle n’est pas préparée.
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L’affaire Dautun : crimes et rumeurs sous la première Restauration (novembre 1814) (Bruno Bertherat) : En novembre 1814, on découvre un corps dépecé à Paris (il s’agit en fait de celui d’Auguste Dautun tué par son frère Charles) : il est alors exposé en public à la Morgue pour être reconnu. C’est aux rumeurs autour de cet inconnu que l’historien s’intéresse : ces rumeurs révèlent un contexte politique particulièrement troublé, à la fois sortie de guerre et changement de régime.
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Le braconnier assassin : l’affaire Montcharmont (1850-1851) (Anne-Dominique Houte) : Dans le village de Saint-Prix (Saône-et-Loire), le 9 novembre 1850 le garde-champêtre Gauthey est abattu chez lui par Claude Montcharmont, un braconnier. Derrière ce banal fait divers, l’historien s’intéresse à l’atmosphère des années 1849-1851 dans le Morvan : un contexte fait de forts contrastes sociaux (notables contre paysans) et de divisions politiques entre conservateurs et socialistes.
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Luigi Richetto dans les limbes de l’histoire judiciaire (Lyon, 1897) (Amos Frappa) : Dans les années 1890, Luigi Richetto commet plusieurs meurtres dans sa loge : l’affaire découverte en 1900 passionne alors les Lyonnais puis disparait de l’histoire judiciaire (même locale) jusqu’à la fin des années 1990. L’historien s’attache alors à expliquer ce hiatus mémoriel autour de cette affaire.
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L’affaire Durand : un crime judiciaire, une histoire havraise (1910) : En septembre 1910, dans le contexte d’une grève des docker-charbonniers du Havre, une bagarre éclate entre un non-gréviste et des grévistes : le premier est retrouvé mort. Le syndicaliste Jules Durand est alors arrêté suite à des témoignages l’accusant d’avoir incité à tuer les « jaunes » et est condamné à mort (qui ne sera pas exécuté mais Jules Durand sombrera dans la folie). L’historien s’intéresse ici au déroulement de l’affaire mais surtout aux mémoires autour de Jules Durand : mémoire locale et mémoire corporative d’abord, puis depuis le début du XXIème siècle, une mémoire universitaire.
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L’énigme des servantes aux mains sanglantes. L’affaire des soeurs Papin (Le Mans, 1933) (Frédéric Chauvaud) : L’affaire des soeurs Papin (deux domestiques accusées d’avoir tué et énucléé leur patronne et sa fille) est une des plus célèbres de l’entre-deux-guerres tenant aussi bien au crime qu’à la personnalité des « criminelles ». L’historien revient sur les nombreuses zones d’ombre dans cette affaire et sur sa postérité jusqu’à nos jours.
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L’attentat de l’Etoile : la Cagoule entre en scène (11 septembre 1937) (Eric Panthou) : L’historien revient sur les attentats du 11 septembre 1937 contre deux organisations patronales détruisant deux immeubles et tuant deux gardiens de la paix. Ces attentats perpétrés par la Cagoule s’inscrivent dans une « stratégie de la tension » visant à accuser les communistes de mettre en péril la France afin d’instaurer un pouvoir autoritaire. Il s’intéresse aussi au parcours (avant et après l’attentat) d’un des poseurs de bombe, Locuty.
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Le tueur en série et les commissaires : l’affaire Weidmann (1937) (René Lévy) : En 1937, Weidmann et 3 de ses complices tuent 6 personnes. Cette affaire est une des nombreuses affaires criminelles qui ont marqué les esprits avant la seconde guerre mondiale. Mais, plus que le déroulement de l’affaire, ce qui intéresse ici l’historien c’est en quoi elle est révélatrice des rivalités policières sous la IIIème République.
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L’assassinat de Max Dormoy : questions autour d’un attentat politique (Montélimar, juillet 1941) (Jean-Marc Berlière) : Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1941, dans un hôtel de Montélimar, l’ex-ministre de l’Intérieur est tué dans une explosion par une bombe placée dans son matelas. L’historien revient sur l’enquête de cette affaire politique ainsi que sur les points obscurs qui demeurent mais aussi sur le devenir et le destin des assassins.
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Meutre en Françafrique : l’assassinat d’Outel Bono (Paris, 26 août 1973) (Jean-Pierre Bat) : Outel Bono, l’opposant au président tchadien de l’époque, Tombalbaye, est assassiné dans sa voiture en plein Paris le 26 août 1973. L’historien revient sur cette affaire qui dévoile les dessous criminels de la Françafrique.
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La tuerie d’Auriol : un crime politique au coeur de l’été 1981 (François Audigier) : Le 19 juillet 1981à Auriol un inspecteur de police et cinq membres de sa famille sont sauvagement assassinés. Derrière ce fait divers, se cache l’œuvre de militants du SAC (Service d’Action Civique, un service d’ordre gaulliste). Après être revenu sur le scénario du crime, l’historien met en perspective ce crime sur le temps long (tradition de violence et de criminalisation de la vie politique marseillaise) et un temps plus court (tensions au sein du SAC marseillais).
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Jacques Roseau, la dernière victime de l’Algèrie française (Montpellier, 5 mars 1993) (Olivier Dard) : Le 5 mars 1993, Jacques Roseau, le porte-parole de la Confédération des rapatriés Recours-France, est assassiné à Montpellier. L’historien s’interroge sur la portée de cet assassinat, à la fois politique dans une communauté pied-noir où Jacques Roseau était moins représentatif qu’il ne le disait mais aussi révélateur du traumatisme chez certains « rapatriés » de la guerre d’Algérie et de leur difficulté d’intégration.
Mon avis
A noter tout d’abord que je n’ai pu faire la recension que de 16 des affaires sur les 18 présentes dans le livre car un problème d’impression a tronqué une vingtaine de pages : il manque donc deux affaires (« Retour sur le crime de Hautefaye, Dordogne, 16 août 1870 » de Fabien Gaveau et « Joseph Vacher, un « Jack l’éventreur français » ? » de Marc Renneville).
Cet ouvrage offre un panorama de l’évolution des affaires criminelles sur 7 siècles (même si le Moyen-Age et la période moderne sont assez peu représentés et qu’une large part est consacrée aux affaires du XIXe et XXe siècles). Il repose aussi sur une vision d’affaires criminelles au sens large : les historiens reviennent sur des affaires aussi bien avec des meurtres gratuits ou crapuleux que sur des affaires politiques, sociales ou de mœurs.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de laisser la parole à des historiens : ces différents chapitres ne se lisent pas comme des nouvelles policières mais comme des analyses de faits divers à l’aune de la contextualisation historique. En effet, ces affaires sont tout autant révélatrices d’une évolution du système judiciaire que des enquêtes policières. Elles sont aussi le miroir des angoisses et des tensions d’une société à un moment donné.