Après avoir rappelé les entreprises moralisatrices, culpabilisantes et les normes qu’ont tenté d’imposer les autorités ecclésiastiques et politiques en s’appuyant sur les textes évangéliques et chrétiens, Scarlet Beauvalet interroge les sources afin de comprendre la représentation que les français se font de la sexualité ainsi que l’évolution des pratiques conjugales ou extra-conjugales. Scarlet Beauvalet, professeur d’histoire moderne à l’Université de Picardie, avait, dans sa thèse publiée en 2001, apporté des éléments neufs à l’histoire du veuvage féminin. Spécialiste de démographie historique en France du nord, elle s’était concentré sur la place des femmes dans la société. Là, elle choisit d’éclairer les formes de sexualité à travers des sources théologiques, judiciaires mais aussi des écrits intimes.

« Rien n’est plus infâme que d’aimer une épouse comme une femme »

Depuis le début du premier millénaire de notre ère, les autorités ont eu tendance à brider la sexualité. En raison de la chute d’Adam et Eve, les hommes seraient incapables de subordonner les passions à leur volonté. Donc ils ne maîtrisent plus la volupté. Les discours ecclésiastiques évoluent selon les époques d’un rigorisme extrême où même le mariage est un état dangereux car l’épouse même est corruptrice, à une relative tolérance de l’acte conjugal pour la procréation mais surtout comme remède à la fornication « en rendant son du à son conjoint », une dette conjugale. La chasteté et la virginité lui sont cependant préférées comme un sacrifice fait à Dieu et une anticipation de la vie céleste.
La plupart des descriptions et préventions concernant le sexe sont également des héritages de l’Antiquité. Le discours médical sur les humeurs, décrit la femme comme froide et humide, comme une terre à féconder. Le femme ne participe donc en rien à la procréation. La misogynie millénaire place la femme dans une position de subordination, dont le corps constitue un obstacle à l’exercice de la raison. L’épouse peut seulement empêcher son mari de tomber dans la luxure mais il ne lui faut pas empêcher la procréation, finalité de l’union. Cependant l’impératif charnel s’impose pour légitimer le mariage qui serait annulé pour fait d’impuissance. La morale répressive poursuit autant les attouchements trop poussés que la continence dans le cadre du mariage.
Du coté des écrits privés, peu expriment d’opinion sur l’intime tant ils ont intériorisé les préceptes moraux. La plupart n’apprécient pas le mariage d’amour, auquel ils préfèrent une amitié entre époux. Les Précieuses sont d’un avis contraire donnant plus de valeur à l’inclinaison d’un galant, qu’à un mari plein d’habitudes. Rares sont les textes comme cette extraordinaire correspondance de Gaspar de Saillans avec son épouse ou celle de la princesse de Conti, une Mazarine à son époux, tous parlent simplement du plaisir qu’ils ont d’être ensemble. La littérature érotique, originaire d’Italie avec les Courtisanes de l’Arètin, occupe tout au long de la période une place limitée mais constante dans laquelle les traces de la parole féminine est rare. Certes la censure veille, critique mais elle laisse circuler les livres sous le manteau de même que le domaine artistique ne se lasse pas de produire des Vénus dénudées, des amours de Zeus ou des femmes lascives à la toilette.

La callipèdie ou l’art de faire de beaux enfants

A la suite du Concile de Trente, la position de l’Eglise s’infléchit si les époux vivent chrétiennement leur union. La sexualité devient un lien supplémentaire entre les époux qui s’épaulent et se conduisent « honnêtement » dans le lit conjugal. Les préconisations face à l’impureté périodique de la femme deviennent obsolètes. A partir de la fin du XVIIe siècle, certains pensent pouvoir influencer sur le choix du sexe de l’enfant en suivant certains positions, certaines pratiques et la consommation de poudres diverses. La pratique de contraception reste assimilée à un meurtre sauf pour quelques auteurs qui admettent la continence en cas de grossesse et d’allaitement. La restriction des naissances est cependant envisagée, restant rudimentaire et aléatoire jusqu’à la mise au point du coecum d’agneau vers la fin du XVIIe siècle comme préservatif utilisé par la haute société. Choisissant de dépasser les foudres du clergé, les habitants de villes optent pour une contraception d’arrêt après un certain nombre de maternités tandis que les ruraux choisissent un espacement des naissances.
La tendance au rigorisme reprend au XVIIIe siècle, avec des discours sur la tempérance, la mortification de la concupiscence. Le mariage est un pis-aller très inférieur à l’état de célibat. Le veuvage est donc une chance. Les médecins ne mettent l’accent sur la notion de plaisir et de volupté que vers le milieu du XVIIIe siècle. La dénonciation des « funestes secrets » par les clercs se trouve alors renforcée par l’inquiétude des politiques confrontés à la crainte d’un dépeuplement du royaume. Les maris « se rendent trop sensibles aux plaintes que leurs épouses leur adressent de tout ce qui leur coûte de mettre des enfants au monde ». Encore la faute des femmes !
Mais l’iconographie révèle les tentations de toute l’époque. A partir du milieu du XVIIIe siècle, elle donne ses lettres de noblesse à un genre littéraire courant depuis la Renaissance. Le libertinage est valorisé, associé à l’orientalisme et aux plaisirs de la table. Certains tiennent même salon afin de révéler les anecdotes parisiennes, comme dans « ce club du bout du banc ». Le passage de l’érotisme à la pornographie se fait vers 1770 en proposant une description précise des plaisirs charnels et de toutes les formes de sexualité, éclairés par le succès des gravures. Les autorités paraissent plus tolérantes si l’on en croit la diminution des percussions contre les diffuseurs de livres interdits. La mise en scène érotique du politique commence avec Marie-Antoinette et se poursuit jusqu’au delà du Consulat.

Savoyards, avez vous alberger avant le mariage ? Poitevins, maraîchinez vous?

L’éveil à la sexualité paraît homogène selon les époques en s’adaptant à l’âge de l’enfant. Pendant toute la période, les enfants de toutes catégories sociales avant sept ans, font état de leurs organes sexuels en public et leur nourrice et d’autres en jouent avec eux. Ces jeux puérils cessent lorsque la petite enfance est passée puis la puberté est jugée comme une période dangereuse. C’est l’âge des mesures parentales ou ecclésiastiques pour éviter toute sexualité non contrôlée mais aussi des premières expériences. Les corps jugés dangereux doivent être neutralisés, les lits et les dortoirs surveillés, comme les lectures. Les manuels de civilité précisent les notions élémentaires de savoir vivre et donc, de contrôle de sens, d’hygiène et de pudeur. A l’âge du mariage, les groupes de jeunes sont organisés sans doute par les paroisses et certains débordements, des expéditions nocturnes sont tolérés par les adultes. Le rituel de l’échange amoureux peut durer deux à trois ans pendant lesquels quelques libertés pré-conjugales sont tolérées comme par exemple l’albergement, l’autorisation pour les jeunes filles savoyardes de partager leur lit le samedi de fête avec leur promis. L’accord parental peut être contourné par l’enlèvement, le rapt même si l’on ne peut en estimer le nombre. Le statut des conceptions prénuptiales est difficile à définir, résultat des fréquentations assidues du futur couple ou moyen de forcer les parents à accepter une union ? C’est pourtant un risque énorme pour la jeune puisque la législation lui est de moins en moins favorable, la loi empêchant de contraindre le jeune homme, ou d’obtenir réparation. Cette dégradation juridique s’accompagne d’une forte réprobation sociale à l’encontre de la fille-mère en même temps que se durcit la législation sur l’infanticide.
Scarlett Beauvalet fait ensuite le point sur l’adultère, crime terrible, le concubinage relativement toléré mais minoritaire, la masturbation poursuivie, l’homosexualité, crime passible du feu, le sabbat des sorcières, la bestialité et la prostitution.
Cet ouvrage se veut une synthèse d’accès facile sur les toutes formes de sexualité à l’époque moderne. Il regroupe les avancées des recherches depuis les travaux de Chaunu ou de Flandrin sans prendre parti ni exposer une nouvelle vision du sujet. Sa particularité repose sur la confrontation de textes normatifs avec les pratiques concrètes étudiés par d’autres historiens et des écrits intimes. Même si les textes utilisés sont originaux, on est étonné de l’absence de référence aux travaux récents sur la sexualité, sur l’histoire du corps, sur l’intime et l’absence tout court d’une bibliographie complète sur le sujet à la fin de l’ouvrage pour aller plus loin.

Pascale Mormiche