Cet ouvrage à propos des Acadiens, Canadiens et Français est, comme l’indique son titre, une synthèse entre un travail universitaire de 1996 et sa reprise récente avec une relecture des archives.
Il est complété en annexe par un texte « The Deportation of the Acadiens » de l’historien, activiste et aîné micmac (Mi’kmaw elder) Daniel N. Paul.
L’Acadie est un objet géographique mouvant ; on considère, généralement, qu’il comprend l’Acadie anglaise (Nova Scotia), l’Acadie française (le Nouveau-Brunswick actuel), l’île Saint-Jean (île du Prince-Édouard) et l’île Royale (le Cap-Breton actuel). La population de cet espace en 1755 était d’environ 14 000 h.
En 1755, l’Acadie, sous domination anglaise depuis 1713 (traité d’Utrecht) = entre 6 000 et 7 000 Acadiens ; le Nouveau-Brunswick = 3 000 habitants
La « déportation », ou plutôt les déportations, puisqu’à celle de 1755, il faut ajouter les déplacements de population de 1758 et 1759, et même jusqu’au traité de Paris de 1763, le « Grand Dérangement » concernerait au total 17 026 habitants. Le récit de cet épisode de l’histoire canadienne a connu de multiples interprétations qui expliquent des décomptes divers selon que l’on considère les seuls Acadiens, nés en Acadie ou les femmes et les hommes qui ont été concernés par ce déplacement de population (Canadiens de Nouvelle-France, Français présents sur le territoire). Le « Grand Dérangement » est un événement incontournable de la mémoire acadienne, même si les témoignages de la fin du XVIIIe siècle sont rares malgré le journal du lieutenant-colonel Winslow qui fut chargé de l’expulsion des Acadiens de la région de Grand-Pré. Dans le prologue, Joseph Yvon Thériaul présente rapidement les récits du XIXe siècle, récit colonial dans un premier temps puis national (« Renaissance acadienne » 1860-1880)Le premier ouvrage écrit par un Acadien, Pascal Poirier, Les Acadiens de Philadelphie (1875), traite du retour des Acadiens et non de leur expulsion. Voir le roman d’Antonine Maillet, Pélagie-la-Charrette, Grasset, 1979, prix Goncourt 1979 et l’évolution au XXe siècle.
L’Acadie, un territoire contesté
Ce premier chapitre aborde l’histoire complexe du territoire de l’Acadie depuis les voyages de Jean Cabot et la présence des pêcheurs basques au XVIe siècle.
En 1603, Henri IV avait nommé Pierre Du Gua de Mons vice-roi et capitaine général de « la Cadie ». Dix ans plus tard, les Anglais venus de Virginie anéantissaient les établissements français. Les auteurs décrivent à la fois l’installation de colons français et les heurts avec les Anglais sur cette côte nord de l’Amérique. Les premières familles se sont rapidement métissées avec les peuples présents : des Micmacs, des Abénaquis et des MalécitesCarte de 1685 (p. 33) mise en perspective avec une carte actuelle de la baie du Saint-Laurent (p. 34).
Par le traité d’Utrecht, en 1713, la France cède définitivement l’Acadie à la Grande-Bretagne qui la renomme « Nouvelle-Écosse » non sans contestation des limites. Comme les Britanniques n’envoyaient pas de colons, seule une petite garnison à Annapolis Royal (l’ancien Port-Royal) marque leur autorité, les Acadiens, environ 2 000 francophones, continuent à y vivre.
La guerre de Succession d’Autriche, en Europe, permet une offensive française pour tenter de reprendre l’Acadie. Le traité d’Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748 reconnaît la possession par la France de l’île du Cap-Breton, l’Acadie reste anglaise.
État des populations de l’Acadie et des îles Royale et Saint-Jean en 1752
Ce second chapitre établit un bilan de la population pour l’année 1752 de l’Acadie anglaise (la Nouvelle-Écosse), de l’Acadie française (le Nouveau-Brunswick) et des îles Royale et Saint-Jean (île du Cap-Breton et île du Prince-Édouard).
Dès 1749, la pression anglaise (fondation d’Halifax pour concurrencer Louisbourg) entraîne des migrations vers les possessions restées françaises.
En 1752, la « Nouvelle-Écosse » abrite une population d’environ 4 000 personnes originaires d’Angleterre et d’Allemagne, 2 000 à 2 500 Amérindiens micmacs. Les Français représentent environ 6 300 personnes. Les auteurs détaillent leur mode de calcul et les sources utilisées. En Acadie française, la population était d’environ 3 000 Acadiens sur le continent auxquels il convient d’ajouter les îliens, soit 2 222 h recensés à l’île Saint-Jean dont 503 originaires d’Europe. L’île Royale (carte p. 47) abrite près de 4 000 habitants, dont 2584 dans la ville de Louisbourg.
Le total retenu pour l’ensemble de ces territoires est de 15 373 personnes, dont 11 318 nés en Acadie.
Les déportations de 1755 à 1762 : bilan démographique
Le chiffre exact de population en 1755 est difficile à établir du fait des mouvements entre les territoires contrôlés par les Anglais et ceux contrôlés par les Français et de l’accroissement naturel, estimé à 3,5 % par an. L’étude est minutieuse.
En juin 1755, les Britanniques s’emparent des forts français de Beauséjour et Gaspareau et de ceux du fleuve Saint-Jean. Le récit de la déportation proprement dite commence avec l’arrestation, le 4 août 1755, de l’abbé Claude Jean Baptiste Chauvreulx, curé de Grand-Pré et de Pisiguit, suivi de quelques autres les jours suivants. Ces curés, déportés depuis Halifax vers Portsmouth, sont ensuite conduits à Saint-Malo où ils arrivent le 8 décembre 1755. D’après les listes d’embarquements, 5 932 personnes ont été déportées d’Acadie entre l’automne 1755 et le printemps 1756. 18 sont d’origine européenne et 9 autres d’origine canadienne. Le nombre total de déportés représente 58,6 % de la population, un certain nombre d’habitants ont réussi à fuir vers le Canada ou l’île Royale et l’île Saint-Jean.
Les déportations de 1758 – 1759
En juillet 1758, la chute de Louisbourg a pour conséquence l’envoi en Angleterre des prisonniers de guerre (environ 3 000 militaires et 2 600 marins).
Les déportations de 1758-1759 concernent à la fois l’expulsion vers la France de la population des îles Royale et Saint-Jean, le rapatriement en France des pêcheurs de ces îles. On assiste aussi à la fuite de familles vers Miramichi et Québec.
Pour dresser un bilan des déplacements de population, les auteurs établissent un état de la population des îles Royale (1 688 h + 3 185 h de Louisbourg) et Saint-Jean (4 250h) en 1758.
Ils décrivent les étapes de ces déplacements : « entre les 15 août et 20 septembre, avec à bord environ 3 966 habitants déportés. Le premier est arrivé à La Rochelle en septembre-octobre, avec environ 3 122 personnes, un autre a atteint Brest le 26 octobre, avec 312 personnes, alors que le troisième convoi a fait débarquer 532 personnes, incluant des pêcheurs de la Gaspésie, en début de novembre, à Saint-Malo » (p. 60)
Le voyage est souvent très difficile, le taux de mortalité en mer est d’environ 29 %. Ceux qui parviennent en France ont tout perdu et sont redevables des secours du roi à raison de « 6 sols par jour pour leur subsistance » (cité p. 61).
Les familles demeurées sur l’île soit se cachent dans la forêt, soit rejoignent les communautés micmacsSur cette thématique voir : Pêcheur normand, famille métisse – Genèse de l’installation d’une famille de pêcheurs, les Mallet d’Acadie, à la baie des Chaleurs 1680-1763, Marc-André Comeau, Québec, Septentrion, 2021.
Certains des déportés de l’Île Saint-Jean, déportés une première fois en 1755 vers la Caroline, revenus, ils sont à nouveau déportés, vers la France comme le montre l’exemple de la famille de Félix Le Blanc du fort Beauséjour.
Là aussi, certains ont fui au Canada, environ un millier « en emportant une grande quantité de bétail au moyen de quatre goélettes qui naviguaient entre Malpèque et la terre ferme »D’après une lettre de Rollo à Boscawen, le 10 octobre 1758, citée p. 63.
Les auteurs, grâce aux archives britanniques, décrivent des traversées épouvantables : naufrages, passagers souffrant de faim, vols de leurs biens avant le débarquement en France.
« La déportation de la population de l’île Saint-Jean a été des plus désastreuse, douloureuse et meurtrière : sur 3 107 habitants déportés, plus de la moitié (53,1 %) n’ont pas survécu à la traversée ; ce chiffre revient à 1 649 décès à bord des navires, dont 970 par maladie et 679 par noyade » (p. 64)
Il convient de noter que dette déportation, si elle touche surtout les Acadiens, concerne aussi d’autres populations : commerçants, les marins, les soldats et les pêcheurs.
Conclusion
« C’est donc dire qu’une population totale d’environ 17 000 habitants peuplant la Nouvelle-Écosse, l’Acadie française ainsi que les îles Royale et Saint-Jean allait être confrontée aux déportations qui sévirent entre 1755 et 1763 ».(p.67)
Les habitants de ces territoires sont pour environ 16 % de la population venus de l’extérieur, principalement de France.
L’épilogue
Les auteurs dressent un état de la dispersion de la population acadienne en 1763 et de ses suites.
Le Canada a accueilli durant la période un peu moins de 2 000 réfugiés dans la région de Québec ou sur la Côte-du-SudC’est-à-dire la rive sud du Saint-Laurent.
Après le traité de Paris qui met fin à la présence française en Nouvelle-France, certains Acadiens déportés dans les colonies anglaises ont demandé à être rapatriés en France. Un tableau de la dispersion des Acadiens dans les colonies anglo-américaines au début de 1763 est proposé p. 75.
« Un groupe de 112 Acadiens devinrent les premiers à quitter le Massachusetts pour aborder aux îles françaises de Saint-Pierre et Miquelon, le 1er octobre 1763 » (p.74)
On en retrouve certains à Saint-Domingue et d’autres en Louisiane.
Un décret du 28 septembre 1764, autorise les Acadiens à revenir dans la colonie de Nouvelle-Écosse et à y obtenir des terres. On en dénombre 1265 en décembre 1767. Ceux qui ont été débarqués en France, ont souvent choisi de refaire la traversée de l’Atlantique vers les îles françaises des Caraïbes, La Guyane ou Saint-Pierre et Miquelon, et la LouisianeEntre mai et octobre 1785, environ 1 600 Acadiens se sont embarqués à Nantes en direction du Bayou Lafourche, de Bâton Rouge et du Bayou des Écores., faute d’avoir pu s’établir durablement sur le sol métropolitain.
Répertoire biographique des Canadiens
La seconde partie de l’ouvrage est ce répertoire biographique des Canadiens déportés entre 1755 et 1763, établi à partir des Registres d’état-civil de Louisbourg et autres postes de l’île Royale conservés aux Archives nationales d’outre-mer, les Papiers Amherst conservés au War Office. D’autres études ont permis de compléter le répertoire. Au total, ce sont 132 notices nominatives pour les Acadiens plus deux listes : Français et Canadiens, également déportés. On notera que certains sont renvoyés vers la France (La Rochelle, Saint-Malo, Cherbourg), d’autres sont déportés vers les colonies anglaises d’Amérique (Géorgie, Caroline du Sud, Maryland…)
Les annexes :
Un article concerne les Micmacs.
Le texte « The Deportation of the Acadiens » de l’historien, activiste et aîné micmac (Mi’kmaw elder) Daniel N. Paul.
Le texte d’un mémoire traçant le parcours de vie d’un Canadien émigré à l’île Royale en 1731, il a été adressé par Marie Geneviève Girardin, veuve de Joseph Brisson de Testu, au duc Étienne François de Choiseul.
Une abondante bibliographie (p. 209 à 220) complète l’ouvrage, quelques définitions et une carte aident à la compréhension (p.27-28).