Bernadette Menu, directeur de recherche honoraire au CNRS, égyptologue, docteur d’État en droit, spécialiste en économie, en histoire, et en anthropologie du droit, a publié de nombreux ouvrages et études sur le droit, l’économie et la société de l’Égypte ancienne. Sa thèse, soutenue à Lille en 1970 porte sur le régime juridique des terres et du personnel attaché à la terre dans le Papyrus Wilbour.

Cet ouvrage est le premier volet, le tome 1 du volume 1, d’un travail conséquent qui revisitera l’histoire économique et sociale de l’Égypte ancienne à partir de documents variés livrés par la civilisation pharaonique. Il s’agit de comprendre la remarquable permanence d’un système politique mis en place dès l’origine assis sur des systèmes socio-économiques à la fois souples et très solides, inscrits dans la longue durée, du roi Narmer (3100 BC) jusqu’à la victoire d’Octave (31 BC)

Les deux premiers chapitres du livre sont consacrés à l’émergence de l’État et à l’idéologie forte et prégnante du pouvoir pharaonique. Elle est basée sur la maât, une figure de vie immarcescible (selon le Larousse : qui ne peut se flétrir) qui a engendré un système économique et une texture sociale propre à l’Égypte ancienne. Proclamée inlassablement, elle s’assigne le but d’unifier le pays, de lui procurer richesse et abondance et de lui offrir la stabilité, la paix et la prospérité. Dès le IVe millénaire, la maât exprime le droit, la justice, l’équité, la vérité, la bienveillance et le partage des biens et des charges. Hermopolis devient un centre important de la doctrine juridique où s’élabore le dogme royal présent dès la palette de Narmer. « Maât est la juste clé qui fait fonctionner tout le système dans l’intérêt de tous. » Religion et politique sont étroitement liées.

Le corps central de cette recherche s’attache à la description du système économique spécifique de l’Égypte pharaonique. Assises principales du système tout entier, la détention, la gestion, et l’exploitation des terres agricoles sont présentées par un grand nombre de documents reproduits, décrits et finement analysés. Bernadette Menu les explore, période par période, afin d’avancer ses conclusions. Seul le pharaon détient le droit de propriété du sol égyptien du fait de sa filiation divine. Il en délègue l’exercice aux grands dignitaires, aux collectivités locales et aux directeurs des temples, représentants des dieux sur Terre. Suivant les époques, chacun des trois groupes dominent. Au roi revient la propriété éminente ou directe universelle tandis que ses délégués exercent la propriété utile. Une cascade de démembrement de la propriété permet le fractionnement des droits fonciers susceptibles d’être aliénés moyennant finance. Du temple au paysan laboureur, les situations juridiques sont variées : tenures en censives, bail à long terme, fermage, métayage…L’immortalité de la personne humaine, permet d’envisager l’attribution à perpétuité, de génération en génération, de revenus agricoles aliénables, stipulées par des contrats à durée illimitée, relevant du bon vouloir royal, créant de nouvelles fondations funéraires qui participent à l’économie. Ainsi les fondations et les concessions royales ont marqué la vie économique du pays en contrepoint de l’idéologie politique dégagée dès les premiers temps de la monarchie.  Si le pharaon délègue ses pouvoirs, sa capacité de contrôle le met dans une situation unique vis-à-vis du pays et en face des dieux qui lui ont confié le territoire. Le système foncier égyptien repose sur des principes subtils et solides issus d’une réflexion idéologique très efficace conçue dès les premiers temps de la domination des deux terres.

Un deuxième volet économique sur le travail et les échanges de ce premier volume constituera le tome 2 à paraître.

Une abondante bibliographie est présentée en bas de chaque page référencée par l’auteur, ce qui facilite grandement la lecture et permet de confronter les sources. Des tableaux récapitulatifs synthétisent certaines notions comme l’évolution chronologique de la « divinité du pharaon », p.145-146. Ils peuvent être des références utiles pour nos cours. Une chronologie sommaire, une carte, un répertoire des figures et une table des matières terminent l’ouvrage.

Quel plaisir pour les étudiants en histoire de l’art ou les anciens élèves de l’école du Louvre de lire des descriptions aussi précises d’objets emblématiques de cette civilisation égyptienne qui prend si peu de place dans nos programmes du secondaire. Nous avons l’occasion avec ce livre de suivre des analyses circonstanciées de la palette de Narmer conservée au musée du Caire, de la palette au taureau, du couteau Gebel El-arak, objets du Louvre, ou de scènes iconiques si célèbres tirées du Livre des morts (traduit par le livre pour sortir le jour) comme la pesée du cœur qui met en exergue les deux Maât, deux formes de la justice, universelle et individuelle (p. 212-213)

Œuvre d’une grande spécialiste, ce premier tome revisite tout en finesse des documents textuels et iconographiques célèbres ou confidentiels pour un public averti ou tout simplement passionné par cette civilisation hors du commun. A consommer sans modération…