Après un premier tome paru en 2004 qui concernait les XIII°-XVIII° siècles, Emmanuel Le Roy Ladurie poursuit son exploration des sources et de l’historiographie du climat avec la période 1740-1860. Elle se poursuivra en 2008 par un troisième et dernier tome sur la période contemporaine.
Hugo Billard est professeur au lycée Pierre-de-Coubertin de Meaux

Connu comme l’un des historiens qui ont défriché dès les années 1960 le champ de l’histoire du climat – son Histoire du climat depuis l’an Mil date de 1967 – Emmanuel Le Roy Ladurie, professeur émérite au Collège de France, ancien administrateur de la Bibliothèque nationale de France, présente ici une description de sources et une compilation d’études sur l’histoire du climat et des réactions aux catastrophes climatiques, en l’insérant dans leur contexte historique et historiographique.

Autant le dire tout de suite, l’ouvrage n’est pas d’une lecture aisée. Non que le style en soit complexe, mais bien souvent répétitif, comme une succession de fiches entre lesquelles des incises parfois longues et des considérations historiographiques perturbent le lecteur. Sans compter l’usage, moins fréquent que dans certains de ses ouvrages précédents, d’une novlangue mâtinée de termes anglo-saxons ou de néologismes.
Mais on peut aussi considérer ce livre comme une chronologie de l’histoire climato-sociale de la France (du Nord, surtout), parfois européenne, plus rarement extra-européenne. Pris ainsi, l’ouvrage est destiné à être consulté plus de lu intégralement, et il servira, n’en doutons pas, à de nombreux chercheurs qui s’échinent aujourd’hui à construire une histoire du climat et de l’environnement. Une bonne partie des informations viennent d’ailleurs des données qui continuent d’être collectées par le réseau de recherche du projet OPHELIE, promis à devenir une mine d’or des recherches dans le domaine (CNRS-CEA-LCSE, à Gif-sur-Yvette).

A consulter fréquemment

Plan chronologique, disions-nous. Entre 1740 et 1859, 18 chapitres chronologiques ou thématiques qui présentent et revisitent les sources, n’oublient pas l’anecdote lorsqu’elle révèle une tendance lourde, remettent en cause parfois certains socles historiographiques qui ont la vie dure, comme celui de la crise des 10 ans précédant la Révolution française. L’auteur a l’intelligence d’annoncer les choses clairement lorsque certaines périodes sont mal connues : des « friches historiographiques » sont recensées et qui attendent leurs historiens, comme les années des débuts de la Révolution (1790-1793), qui posent des problèmes d’analyse des sources. Chapitres inégaux, d’autres historiographiques, d’autres encore truffés de sources et de documents : ce livre se lit décidément mieux comme un dictionnaire.

Depuis son livre pionnier de 1967, Le Roy Ladurie étudie la période de refroidissement général, qui s’étend en Europe du XIII° à la première moitié du XIX° siècle, nommée « Petit Âge Glaciaire ». Glaciaire parce qu’issue de l’évolution de la taille des glaciers, étudiée notamment par Christian Pfister et Jürg Luterbacher en Suisse. Après avoir dans son premier tome décrit les étapes de ce PAG, l’auteur nous compte ses soubresauts : stagnation jusqu’en 1772, puis légère hausse de la température qui provoque une alternance d’étés pourris ou humides, moins froids mais plus néfastes pour les récoltes. D’ici à y voir une cause sérieuse de la Révolution, Le Roy Ladurie remet en cause les présupposés de son maître Labrousse, notamment en pointant les inégalités territoriales de ces évolutions.

Les accidents climatiques

Si l’époque impériale est relativement épargnée, en France du moins, les années 1812-1816 font l’objet d’un chapitre intéressant. Mais pour ceux qui veulent des informations sur les conditions climatiques et militaires de la retraite de Russie, mieux vaut lire le chapitre 6 du livre d’Erik Durschmied, Le facteur climat. Quand les forces de la nature ont changé le cours de l’histoire (Jean-Claude Lattès, 2004, pp. 121-142). Les années 1815-1816 ont signé le renouveau du PAG jusqu’en 1859, par un événement singulier, l’éruption/explosion du Tambora (Indonésie) : 86000 morts sur place et un assombrissement de l’atmosphère dans toute l’Eurasie pour quelques longs mois (l’éclipse de lune de juin 1816 est impossible à observer, écrivent des Londoniens). Evénement atmosphérique majeur parce qu’il coïncide avec un léger refroidissement général, un retour du PAG. L’auteur a de belles pages sur Mary Shelley inventant son Frankenstein sous l’inspiration d’une pluie intense et déprimante.

De la Révolution de 1848 à la canicule

L’étape suivante est également dramatique. La crise climatique des années 1845-1848 a des effets désastreux : mauvaise récolte de pommes de terre en Irlande en 1845, forte chaleur continentale en 1846, qui se mue en forte humidité dans les îles britanniques, et fait pourrir les tubercules qui ont survécu l’année précédente : près d’un million de morts irlandais et 1.5 millions d’émigrants qui viennent grossir la jeune nation américaine. Sur le continent, deux récoltes de blé pourris successives. De là à y voir une cause majeure des révolutions de 1848… l’auteur s’en défend.

Dans ses conclusions, Emmanuel Le Roy Ladurie fait le parallèle entre nos températures de 2000/2006 et la décennie 1840, infirmant les titres de notre presse alléchée de scoops climatiques, comme si nous avions l’exclusivité du réchauffement. Les températures de notre XXI° siècles ne sont pas plus élevées. Mais les épisodes de fortes chaleurs sont plus répétés. Et leur description se trouvera dans un tome 3 attendu pour l’an prochain.

Quelle utilité pour nos cours du secondaire ? D’abord une remise en cause d’un trop facile déterminisme climatique labroussien que nous avons parfois tendance à répéter lors du cours sur les causes de la Révolution française. Ensuite un ensemble de cas concrets, le plus souvent chronologiquement organisés (l’hiver 1740, l’hiver 1788, l’été 1815, l’année 1848) qui peut servir à expliquer certains aspects des documents que nous utilisons lors des cours sur les révolutions industrielles ou ceux sur les évolutions politiques de cette époque majeure. Enfin des explications concrètes, servies par une table des matières précise, sur ces notions entendues mais rarement comprises : le minimum de Maunder, le Petit Âge glaciaire, les cycles de récolte, les dates de vendanges.
Sans oublier que la contextualisation permanente fait aussi de ce livre le récit d’une histoire politique différente parce que sans cesse dans le souci de révéler le quotidien de populations dont nous ne voyons souvent que « l’écume », comme disait Braudel pour maudire l’événement.

Bref, à consulter, à compulser, en tout cas s’en servir.

LE ROY LADURIE (Emmanuel), Histoire humaine et comparée du climat, tome II, Disettes et révolutions (1740-1860), Paris, Fayard, 2006, 616 pages.

Hugo Billard © Clionautes 2007.