Les éditions La Découverte rééditent un ouvrage de Serge Bosc, sociologue, enseignant à Paris VIII-Saint-Denis, paru en 2008 dans la collection Repères. Rappelons tout le bien de cette collection qui en une centaine de pages permet de faire le tour (rapide certes mais toujours clair et éclairant) d’une question. Les livres d’Érik Neveu sur le journalisme et celui sur les mouvements sociaux en sont une parfaite illustration.

Pour une histoire des classes moyennes

               Les chapitres un et deux présentent l’évolution des classes moyennes du 19ème siècle aux années 1970. Dans un premier temps, les contemporains parlent de la classe moyenne, composée pour l’essentiel de l’atelier et de la boutique. À ceux que Marx (mais d’autres aussi) appelle la petite bourgeoisie, Gambetta adjoint « une couche sociale nouvelle », les professions libérales diplômées rejointes plus tard par les petits fonctionnaires. La fin du 19ème siècle, est marquée par le développement d’un salariat non manuel dont la croissance se poursuit tout au long du siècle suivant donnant naissance à l’expression « cols blancs » utilisée par Charles Wright Mills, en 1951, ainsi qu’à un large débat sur la position de ces couches sociales dans la société. La diversité des professions et des positions de ces travailleurs impose de fait le recours au pluriel pour les évoquer. Le chapitre deux, porte sur l’essor mais aussi sur les mutations des classes moyennes contemporaines. Est ainsi présentée l’évolution des diverses catégories qui compose la population active en France. Dans la nouvelle classification de l’INSEE (1982), ces classes moyennes sont composées des cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS), des professions intermédiaires (PI), des agriculteurs, commerçants et chefs d’entreprise (ACCE). Reste que comme le signale l’auteur, les délimitations ne sont pas si simples et l’hétérogénéité de ces groupes est parfois forte (revenus, liens familiaux, trajectoire, attitudes culturelles, positions politiques, différences public/privé). Alors, comment classer les diverses catégories d’employés ou ceux appartenant aux ACCE ? La souplesse semble de mise.

A la recherche des classes moyennes

Les chapitre trois et quatre portent sur les grands groupes qui constituent ces classes moyennes. Les catégories indépendantes ont connu des transformations importantes : l’effondrement du nombre d’agriculteurs, la diminution puis les changements parmi les commerçants (essor des franchisés, des autoentrepreneurs, des prestataires de service). Les artisans se distinguent par une origine populaire plus fréquente. Ces groupes, ainsi que les chefs d’entreprise (entre deux pôles), ont en commun un positionnement politique marqué à droite voire à l’extrême-droite pour une part importante d’entre eux. La grande diversité des salariés qui appartiennent aux classes moyennes est ensuite analysée : cadres, dont certains sont proches des classes supérieures, employés, entre classes populaires et classes moyennes et enfin salariat intermédiaire, nombreux et éclaté, (enseignants du secondaire, infirmières, techniciens, administratifs, commerciaux…). L’auteur ne se contente pas de noter les différences de revenu mais s’intéresse aux différences de genre, d’origine sociale, de trajectoire, de statut mais aussi aux références culturelles et à leur rapport au travail (à leur mission pour certains).

Quand les sociologues se penchent sur les classes moyennes

L’intérêt du chapitre cinq repose sur une présentation des analyses et des débats qui ont traversé et partagé les sociologues des années 1960 aux années 1990. Bien que le titre du chapitre évoque les années 1970-1990, Serge Bosc rappelle tout d’abord les analyses de Serge Mallet et d’autres auteurs des années 1960, consacrés à la « nouvelle classe ouvrière » avec l’émergence d’ingénieurs et de techniciens, porteurs selon ces auteurs de nouvelles aspirations. Puis, l’auteur fait une présentation critique des réflexions des grands noms de la sociologie : Alain Touraine, Henri Mendras, Baudelot et Establet, Pierre Bourdieu et d‘autres sont tour à tour évoqués de manière claire et nuancée. L’auteur critique la thèse de la moyennisation de la société puisque dit-il, il y a de nos jours une aggravation des inégalités socio-économiques et qu’il n’y pas eu d’homogénéisation culturelle de ces classes moyennes.

Des nouvelles classes moyennes dans les villes ?

Le dernier chapitre présente la situation des classes moyennes aujourd’hui : nombre, nouvelles professions apparues et s’y rattachant, déclassement subie par certaines catégories… Une partie, très stimulante et éclairante de ce chapitre est consacrée à « l’inscription dans l’espace urbain » de ces classes moyennes. Le processus de gentrification est décrit mais différencié de « l’entre soi upper class » pratiqué par les classes supérieures dans des espaces séparés et réservés. Entre soi, notons-le, rarement évoqué et critiqué. Enfin, la baudruche « bobos », « étiquette baladeuse » diffusée par des médias en peine de raccourcis, est dégonflée.

Un ouvrage qui vaut par la manière claire et concise de présenter les évolutions historiques des classes moyennes sur un siècle et demi. Mais aussi par la façon dont sont présentés les débats qui ont partagé les sociologues ainsi que par les nombreux tableaux socio-économiques qui accompagnent une argumentation qui donne toute sa place à la présentation des modes de vie et aux différences culturelles.