Compte-rendu réalisé par Thomas Hervouet, étudiant en hypokhâgne (année 2022-2023) au lycée Claude Monet de Paris, dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.
Présentation
Bernard Vincent est un historien français spécialiste de l’histoire et de la civilisation américaine. Professeur émérite à l’Université d’Orléans, il enseigna également à l’université Cá Foscari de Venise. Également directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et du Centre de recherches historiques de l’EHESS-CNRS, il a occupé de nombreuses fonctions dans le monde universitaire et académique. Il a publié plusieurs ouvrages qui ont contribué à la compréhension de l’histoire des États-Unis, en particulier celle du XVIIIe siècle. Ses travaux se concentrent sur les questions de liberté, de religion et de justice sociale. Il est notamment l’auteur de Thomas Paine ou la religion de la liberté, un livre sur la vie et les idées politiques du célèbre révolutionnaire américain. Il a également écrit Dans le sentier des larmes : le grand exil des Indiens cherokees dans lequel il raconte l’histoire tragique de l’exil forcé des Cherokees de leur terre ancestrale au XIXe siècle. Grâce à ses recherches, Bernard Vincent a contribué à approfondir notre compréhension de l’histoire et de la culture des États-Unis.
L’ouvrage dont il est question ici est publié en 2014 par Gallimard et compte 192 pages. Il s’agit d’une biographie de Lafayette, personnage intriguant au vu des controverses qui lui sont faites, notamment celle de son engagement politique. Ces controverses ont mené à plusieurs questions d’actualité telles que son possible transfert au Panthéon. L’auteur cherche, à l’aide d’études approfondies et de nombreuses lettres auxquelles il se réfère, à y voir plus clair au sujet du marquis de Lafayette. Il revoit le personnage sous toutes les couleurs, tant dans sa vie politique que privée. Il permet de comprendre pourquoi ce personnage est tant controversé et en quoi il est considéré pour certains comme un véritable héros et un pionnier de la liberté alors que, pour d’autres, il ne serait qu’un traître. L’ouvrage compte une introduction permettant de revenir avant tout sur le personnage et sur ses représentations, puis six chapitres inégalement répartis. On retrouve aussi une iconographie, des repères chronologiques, des références bibliographiques et des notes.
Résumé
Le premier chapitre explore l’enfance de Lafayette et sa volonté de soutenir les États-Unis. Né le 6 septembre 1757 à Chavaniac (actuelle Haute-Loire), Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, signe ses lettres « Lafayette ». Issu d’une famille aisée, il perd son père très jeune et grandit à Paris avec sa mère, imprégné des devises familiales : Vis sat contra fatum (la vigueur suffit face au destin) et Cur non ? (Pourquoi pas ?). Après des études au collège du Plessis, il rejoint l’armée où il monte en grade, devenant mousquetaire noir, lieutenant aux dragons de Noailles et capitaine. En 1774, il épouse Adrienne de Noailles, issue d’une des familles les plus influentes de France. Grâce aux lettres de Lafayette, B. Vincent retrace son évolution, montrant un personnage maladroit mais passionné par ses idées. Une rencontre avec le comte de Broglie en 1775 oriente son intérêt vers l’Amérique, alors en lutte pour son indépendance. Le comte, méfié par Louis XVI et détestant les Britanniques, transmet son obsession à Lafayette qui décide de rejoindre l’aventure américaine. En dépit de la réticence du gouvernement français à cause des tensions avec l’Angleterre, Lafayette part secrètement le 26 avril 1777 pour Georgetown. Il découvre rapidement les valeurs de liberté et d’égalité qui animent les Américains. Bien que les Français soient mal vus en Amérique en raison de la guerre de Sept Ans, Lafayette se distingue en montrant qu’il est venu sans arrière-pensée, gagnant ainsi la confiance des Américains et de George Washington, qui le considère comme son fils et le promeut major-général à 19 ans. Lafayette obtient finalement le commandement de l’armée du Nord grâce à la confiance mutuelle entre lui et Washington.
Le deuxième chapitre couvre l’année 1778 et illustre la détermination de Lafayette à accomplir son devoir en Amérique malgré son amour pour la France. Alors que l’Amérique est en guerre continue, Lafayette et l’armée continentale ne sont pas aussi glorieux que prévu. Une campagne vers le Canada est envisagée par un rival de Washington pour tester Lafayette sans son mentor. Des divergences au sein du camp américain poussent Lafayette à refuser cette campagne. En parallèle, la France déclare la guerre à l’Angleterre le 10 juillet 1778, ce qui enthousiasme Lafayette. Il hésite entre rester fidèle à ses engagements envers l’Amérique ou se battre sous le drapeau français. Il décide de rester quelques mois en Amérique mais tombe gravement malade à la fin de l’année, ce qui l’oblige à s’aliter pendant plus d’un mois. Épuisé par son séjour en Amérique, il quitte finalement le pays le 11 janvier 1779, emportant avec lui les amitiés de Washington et une chaleureuse lettre de recommandation d’Henry Laurens, président du Congrès américain.
De retour en France, Lafayette est chaleureusement accueilli et a perdu la maladresse qui le caractérisait dans les soirées mondaines. Désormais plus vif d’esprit, il attire les intellectuels et renforce les relations franco-américaines, notamment par l’envoi de troupes en Amérique. Le gouvernement français lui confie plusieurs missions outre-Atlantique. Lafayette repart pour le Nouveau Monde le 9 mars 1780 et participe à de nombreuses batailles, dont la victoire de Yorktown aux côtés de George Washington et Rochambeau, marquant la défaite britannique. Après la guerre, la paix est négociée durant deux années mais Lafayette est écarté des pourparlers pour éviter son impulsivité. La paix de Paris est signée le 2 septembre 1783, séparée en deux traités : l’un à Paris entre Britanniques et Américains, l’autre à Versailles entre la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne.
Le marquis retourne en France après la bataille de Yorktown en 1781. Il passe du temps en Auvergne et à Paris où il élabore des plans pour affaiblir les Britanniques, empêchés par le traité de Paris. Il participe à des organisations d’aristocrates et de riches bourgeois. En 1784, il entreprend son troisième voyage en Amérique pour faire ses adieux à Washington et recevoir des honneurs. De retour en Europe, il rencontre des monarques comme Frédéric le Grand et se bat contre les inégalités en France. Il demande la convocation des États Généraux, non réunis depuis 1614, et s’engage pour l’abolitionnisme en Guyane. Élu député de la noblesse de Riom en 1789, il propose la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, inspirée de la Déclaration d’Indépendance américaine. Après la prise de la Bastille, il est proclamé commandant général de la milice parisienne et envoie la clé de la Bastille à Washington. Lafayette joue un rôle considérable dans la Révolution française mais sa volonté de maintenir une monarchie constitutionnelle l’oppose aux Jacobins. Il dirige une armée pour réprimer la révolte royaliste de Vendée et combat les forces prussiennes et autrichiennes aux frontières de la France. Son influence diminue avec la radicalisation de la Révolution et il est contraint de fuir la France en 1792 après avoir critiqué la Terreur. Déclaré traître à la nation, il est emprisonné par les Autrichiens et transféré entre 1792 et 1795 dans des forteresses prussiennes et autrichiennes, où il est rejoint par son épouse. Libéré mais interdit de retour en France, il s’installe à Utrecht en République Batave. En 1800, il retourne en France, ce qui irrite Napoléon Bonaparte. Réintégré dans la société française grâce à son amitié avec Joseph Bonaparte, il reçoit une pension de retraite et son fils devient officier. En 1815, il est élu député de la Seine-et-Marne et joue un rôle dans la seconde abdication de Napoléon. Il critique le gouvernement conservateur de Louis XVIII et lutte pour des réformes progressistes, notamment l’éducation, les droits de propriété et l’abolition de l’esclavage. La Terreur blanche de la Seconde Restauration le pousse à se retirer de la politique.
Le dernier voyage de Lafayette en Amérique en 1824-1825 est une tournée triomphale pour célébrer le 50e anniversaire de l’indépendance américaine et honorer son rôle dans la guerre révolutionnaire. Accueilli avec enthousiasme à New York en juillet 1824, il traverse les États-Unis, visitant des villes comme Boston, Philadelphie, Washington et Richmond. Lafayette participe à des bals, parades, banquets et discours, rencontrant des personnalités comme le président James Monroe et le général Andrew Jackson. Il visite des sites historiques tels que ceux de la bataille de Bunker Hill et du camp de Valley Forge, promouvant l’amitié franco-américaine et encourageant les idéaux de liberté et d’égalité. Après plus d’un an de voyage, il retourne en France en septembre 1825, laissant un héritage durable en tant qu’ami et héros de la nation américaine.
Après son retour, Lafayette exprime sa défiance envers Charles X et son cabinet, contribuant à la colère des élus et au soulèvement des Trois Glorieuses en juillet 1830. Il reprend le commandement de la garde nationale et conseille Louis-Philippe, soulignant que la constitution américaine ne fonctionnerait pas en France et prônant un trône populaire entouré d’institutions républicaines. Sa dernière lettre, adressée à John Murray, président de la Société d’émancipations des Noirs de Glasgow, félicite les mesures britanniques pour l’émancipation des esclaves, regrettant la situation en France. Lafayette décède le 20 mai 1834, recevant de grands hommages en Amérique mais aucun hommage officiel en France.
Appréciations
Cette biographie est remarquablement bien documentée. L’auteur s’appuie sur une multitude de sources primaires, notamment des lettres et des documents d’archive, pour retracer la vie de Lafayette avec une grande précision. De plus, de par ses connaissances approfondies, il offre une analyse historique rigoureuse de la période. Surtout, il parvient à donner vie à Lafayette en décrivant avec minutie ses relations avec les personnalités politiques et militaires de son temps, ainsi que sa vie privée. On ressent la passion de Bernard Vincent pour son sujet à travers sa plume, ce qui rend la lecture de cette biographie très agréable. Cependant, cette biographie présente également quelques défauts. Tout d’abord, le livre est dense à lire, ce qui peut rendre la lecture difficile pour les lecteurs non-initiés à l’histoire de l’époque ou qui simplement souhaitent se divertir sans connaissance particulière. En outre, l’auteur peut parfois se perdre dans des détails qui pourraient s’apparenter à de la digression, ce qui nuit à la clarté de l’ensemble. Enfin, bien que l’auteur parvienne à brosser un portrait complet de Lafayette, il peut parfois manquer d’objectivité dans son analyse. Bernard Vincent semble avoir une certaine admiration pour Lafayette, ce qui oriente son point de vue sur les actions du « héros des deux mondes ». Il manque peut-être une iconographie plus développée du marquis. Il est aussi dommage que la majeure partie de la documentation se rapportant au marquis de la Fayette soit américaine et si peu dans sa langue. En conclusion, la biographie de Bernard Vincent sur Lafayette est une lecture passionnante pour les amateurs d’histoire. Bien que certains aspects de la biographie puissent être difficiles à aborder pour les lecteurs novices, l’érudition et la passion de l’auteur pour son sujet en font une lecture captivante. Néanmoins, il convient de prendre en compte les biais possibles de l’auteur qui semblerait avoir tendance à « idéaliser » le marquis dans sa présentation.