L’indépendance congolaise, proclamée le 30 juin 1960, est d’emblée marquée par la sécession de la plus riche région du pays : le Katanga. L’exécutif katangais, financé par l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK), fait appel à l’armée belge, puis à des mercenaires -dont de nombreux français aux trajectoires singulières-.
L’ouvrage propose, à partir d’archives déclassifiées et de témoignages multiples, une étude minutieuse du recrutement de ces mercenaires, qui met en lumière la complexité de la politique africaine de la France dans les années 1960 dans un contexte de concurrence des réseaux et des objectifs de l’exécutif, à rebours d’analyses trop souvent centrée sur la seule figure de Jacques Foccart. Cette enquête journalistique minutieuse et au rythme entrainant permet aussi de lever le voile sur un pan méconnu du devenir de certains acteurs de la Résistance française, à l’heure des décolonisations.
La sécession kantagaise assez unique dans les décolonisations d’Afrique francophone
L’intérêt du livre repose d’abord sur l’éclairage qu’il propose sur le conflit du KatangaVoir aussi la BD : Katanga, Fabien Nury (Scénario) Sylvain Vallée (Dessin), Dargaud, 2023. Etat africain à l’histoire très particulière depuis la colonisation orchestrée par Léopold II en amont de la conférence de Berlin, le Congo se singularise également par le contexte trouble de son accession à l’indépendance en juin 1960. La plus riche région du pays, la province orientale du Kantaga (64% du Revenu national brut national) -productrice de cobalt, zinc, cuivre, étain, manganèse et nombreux métaux (dont l’uranium de la bombe d’Hiroshima)- proclame alors sa sécession. Ses autorités font appel à l’ancienne puissance coloniale belge, qui intervient en violation des récents traités passés avec le gouvernement du charismatique Patrice Lumumba afin de « sécuriser la région » où vivent des ressortissants européens.
Si les anciennes puissances coloniales, et quelques puissances régionales racistes comme l’Afrique du Sud ségrgationniste, voient d’un bon œil ce morcellement orchestré par l’UMHK, Lumumba trouve lui une oreille attentive auprès des Nations-Unies qui votent plusieurs résolutions (la 143, la 145) qui enjoignent à la Belgique de retirer ses troupes et décide de l’envoi de troupes de maintien de la paix dans la région. La pression de l’URSS, que Lumumba menace d’appeler à l’aide, et le désir des Etats-Unis de sécuriser à travers l’ONU (donc dans un cadre légaliste, internationaliste et anticolonial) leur approvisionnement en minerai explique en partie cette réaction rapide de l’ONU.
Si le 2 septembre, la Belgique rappelle ses troupes, Lumumba est lui chassé du pouvoir le 4 par le président Kasa-Vubu et le colonel Mobutu, qui le feront plus tard assassiner, et qui choisissent le camp occidental. La France fait preuve d’une sorte de neutralité bienveillante à l’égard du Katanga, en s’abstenant de voter l’une des résolutions de l’ONU et en mesurant son soutien logistique aux troupes de l’ONU.
Le moment 1961 en France et au Congo: une approche transnationale de la sécession katangaise
L’analyse de ce conflit par Maurin Picard est l’occasion de mettre en évidence les contradictions de la politique africaine de la France dans le contexte si particulier des années 1960 et la pluralité des acteurs impliqués dans l’élaboration de celle-ci.
En effet, le retrait des troupes belges induit un changement de stratégie pour l’exécutif katangais dirigé par Moïse Tshombé, qui tourne son regard vers la France. Une ligne aérienne Paris-Elisabethville est ouverte en Janvier 1961 et des agents katangais (Suzanne Labin, Dominique Diur, le colon belge George Thyssens) sont envoyés à Paris pour servir de relais d’influence.
La méthode choisie va s’orienter à partir de ce moment vers le recrutement de mercenaires français, appelés à encadrer et diriger les troupes katangaises dans le cas d’un éventuel affrontement avec les armées de l’Onu et du Congo. La principale cible des recruteurs est le colonel Roger Trinquier, 52 ans, vétéran de toutes les guerres de la France et placardisé en garnison à Nice en raison de ses convictions pro-Algérie française. C’est aussi lui qui attire l’attention des autorités françaises.
C’est que la sécession katangaise, et c’est là l’une des questions les mieux traitées de l’ouvrage, prend place dans un moment particulier de l’histoire de la France, marqué par plus de 20 années de conflits en métropole et dans les colonies, et ponctuées d’une décennie de défaites. Surtout, elle intervient dans le contexte troublé d’un conflit algérien où la loyauté d’une partie officiers français vis à vis de l’exécutif gaullien est de plus en questionnée.
La division politique française se reflète dans l’ambigüité de la politique de la France vis à vis du Katanga : si le Quai d’Orsay de Couve de Murville s’oppose d’emblée à ces recrutements, qui ne peuvent être perçu que comme une acte d’hostilité vis à vis de l’ONU, le secrétaire général aux affaires africaines et malgaches à l’Elysée Jacques Foccart voit un intérêt certain à l’extension de l’influence française dans une région aux riches ressources naturelles. Un jeu de dupes se met en place, où nombre de diplomates du Quai d’Orsay, ignorent largement les efforts entrepris par les réseaux Foccart et le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, farouchement anti-communiste, pour empêcher l’échec de la sécession katangaise.
D’abord laissé dans une forme d’obscurité, le général de Gaulle se saisit de plus en plus de l’affaire à mesure que celle-ci gagne en importance (confrontations directes avec les casques bleus, mort suspecte du Secrétaire général de l’ONU Dag Hammarskjöld) et tranche en faveur du respect du droit international.
Que sont nos héros devenus ? Une contribution intéressante à l’étude des trajectoires d’anciens Résistants, à l’heure des décolonisations
Au delà de l’éclairage précieux sur une partie des origines d’un conflit contemporain majeurs de notre époque au Congo, ce livre contribue une également à éclairer une page de l’histoire de France par le biais d’une approche transnationale du devenir d’une partie des héros de la Résistance.
En effet, à travers une série de portraits détaillés de la vingtaine d’« Affreux » français au service de la rébellion katangaise, Maurin Picard éclaire un pan de l’histoire méconnu depuis la France, voire occulté, de ces anciens jeunes hommes de la Résistance – passé autour de la quarantaine dans le mercenariat pour des motifs divers (goût de l’action, volonté de revanche colonialiste, fidélité amicale, appât du gain). L’auteur analyse également l’organisation du recrutement de ces agents et la logique de filière qui se met en place.
Un exemple intéressant d’incarnation de ces dynamiques est celui d’Edgard Tüpet. Né en 1920, engagé volontaire en 1939 et capturé à Dunkerque il s’évade en 1941 et parvient à rejoindre Londres. Affecté à l’état-major particulier du général de Gaulle, formé aux techniques de sabotage et breveté parachutiste il prend le nom de guerre de « Thomé » et effectue plusieurs missions en France occupée, où il se distingue par son appétence pour les explosifs. Compagnon de la Libération et et décoré de la Légion d’honneur, il démissionne pourtant de l’armée à la fin de la guerre et se lance dans différentes activités successives (administrateur en Tunisie, entrepreneur au Québec, ingénieur dans les machines à coudre puis dans un laboratoire pharmaceutique, enfin dans un l’automobile) : la vie civile lui pesant il frappe en 1961 à la porte de la représentation du Kantanga à Paris. De lui un officiel katangais dit « L’intéressé semble réfléchi pour ce genre de mission (…) étant donné son expérience dans les questions militaires. Il est en outre bien introduit dans l’entourage du général de Gaulle et pourra de ce fait nous rendre service. »
Espoirs vite déçus : comme jadis pour Trinquier, c’est justement cette visibilité du prestigieux mercenaire Tüpet-Thomé qui poussera la France à réclamer et obtenir son expulsion moins d’un an plus tard. L’ancien French SAS retourne en France rompt avec le gaullisme par refus de la décolonisation de l’Algérie et meurt âgé de 100 ans en 2020 : dans l’hommage qu’il prononce pour ce grand officier de la légion d’honneur, le premier ministre Jean Castex ne mentionne pas l’épisode katangais.