Tome I : Des Mérovingiens au Second Empire

Tome II : De 1870 à nos jours

 

Une somme !

N’attendons pas pour le dire. Près de 1600 pages découpées en deux tomes. Et pourtant, on se surprend à en regretter parfois la brièveté…

L’ouvrage est dirigé par Hervé Drévillon, professeur d’histoire à l’université Paris-I, directeur de l’ « Institut des Études sur la Guerre et la Paix » et Directeur de la recherche au Service Historique de la Défense (c’est lui qui supervise le tome I), et Olivier Wieviorka, professeur à l’École normale supérieure de Cachan et spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale (qui supervise le tome II).

Parmi les dernières parutions des deux directeurs de l’ouvrage, on ne manquera pas de rappeler pour Hervé Drévillon l’excellent tome de la nouvelle Histoire de France chez Belin, Les rois absolus, 1629-1715, ainsi que ses travaux sur Louis XIV. Quant à Olivier Wieviorka, parmi une œuvre prolifique, on rappellera à l’attention de nos collègues sa remarquable Histoire de la Résistance, chez Perrin en 2013.

Les directeurs sont également auteurs : ils prennent en charge une ou deux parties, les autres étant confiées à une solide équipe.

Pour le tome I (par ordre d’intervention dans l’ouvrage) :

  • Xavier Hélary, ancien élève de l’ENS, est agrégé d’histoire et professeur d’histoire médiévale à l’université Jean-Moulin Lyon III. Il est l’auteur de Courtrai, ainsi que de L’Armée du roi de France et, avec Philippe Contamine, de Jeanne d’Arc. Histoire et dictionnaire.
  • Benjamin Deruelle est Maître de Conférences en histoire moderne, membre du conseil du laboratoire IRHiS, et l’auteur de De papier, de fer et de sang : chevaliers et chevalerie à l’épreuve du XVIe siècle (ca. 1460 – ca. 1620).
  • Ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, Bernard Gainot est Maître de conférences en histoire moderne à l’Université PARIS 1, docteur de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et l’auteur de Les officiers de couleur dans les armées de la République et de l’Empire (1792 – 1815), et d’un Dictionnaire des membres du Comité de Salut public.
  • Annie Crépin est maître de conférences en Histoire contemporaine au Centre de recherche et d’études Histoire et sociétés Université d’Artois. Elle est l’auteur d’une Histoire de la conscription.

Pour le tome II (par ordre d’intervention dans l’ouvrage) :

  • Agrégé et docteur en histoire, Xavier Boniface est professeur d’histoire contemporaine à l’université Littoral Côte d’Opale. Il a notamment publié L’Armée, l’Église et la République (1879-1914), L’Aumônerie militaire française (1914-1962) et Histoire religieuse de la Grande Guerre.
  • Agrégé et docteur en histoire, François Cochet est professeur émérite d’histoire contemporaine. Spécialiste de la Première Guerre mondiale et de l’expérience combattante du XIXe siècle à nos jours, il est l’auteur de La Grande Guerre. Fin d’un monde, début d’un siècle, Les Français en guerres. De 1870 à nos jours et Armes en guerre (XIXe-XXIe siècle).
  • Docteur, Pierre Journoud est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry Montpellier. De 2010 à 2015, il fut chercheur à l’institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Il est l’auteur de De Gaulle et le Vietnam (1945-1969) et Dien Bien Phu. Le basculement d’un monde.
  • Professeur de sciences politiques au centre d’études sur la guerre de l’université du Sud-Danemark, Olivier Schmitt a codirigé, avec Joseph Henrotin et Stéphane Taillat, Guerre et Stratégie. Approches, concepts. Il est également secrétaire général de l’association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES).

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Voici les quatrièmes de couverture :

 

Tome I

Que la guerre ait contribué à la construction institutionnelle et sociale de la France relève de l’évidence, d’autant que l’armée représente un élément fondateur de l’État-nation. Pour mieux comprendre la nature des liens unissant les Français à leur armée comme la guerre à l’État, il fallait rendre compte de 1 500 ans d’histoire. Dans sa globalité. Car le fait militaire dépasse les grands cadres d’organisation, le matériel ou les structures de l’armée ainsi que sa composition… Il oblige à penser le rapport au politique ainsi qu’à la société dans son ensemble et incite à revenir sur les engagements, en réfléchissant sur la stratégie et la tactique, en décrivant les grands conflits, en s’attardant, enfin, sur la réalité du combat, l’armement, la violence de guerre et son imposition aux civils.

Ce premier tome s’ouvre avec les Mérovingiens pour se conclure sur la guerre franco-prussienne de 1870. Non que l’on puisse dès le Ve siècle parler de la France en tant que telle, mais il est nécessaire d’insister sur une forte continuité, matérialisée par le titre de Rex Francorum,  » roi des Francs « , porté par les souverains de trois dynasties sur plus de mille ans. À l’époque moderne, la figure du roi puise dans la guerre le fondement même de sa souveraineté, à l’image de François Ier recevant à Marignan son sacre militaire ou de Louis XIV, « roi de guerre » par excellence. La gloire du souverain mobilisa alors, avec une ampleur et une intensité inédites, les ressources du royaume et contribua ainsi à l’affirmation de la nation, qui se constitua en corps politique souverain avec la Révolution française.

La formation d’une armée véritablement nationale se combina alors avec d’autres innovations, telles que le système divisionnaire, qui conférèrent aux armées une efficacité et une mobilité inédites, dont Napoléon sut exploiter tous les avantages, au point de se laisser griser par cette faculté de porter le danger au cœur des territoires ennemis. La défaite de Waterloo ne mit pas fin à l’ambition d’étendre la domination française à des territoires lointains, mais cette stratégie impériale quitta l’horizon européen pour investir les espaces coloniaux. Ainsi, des champs catalauniques aux contreforts des Aurès, l’histoire militaire de la France raconte la genèse d’une riche et passionnante relation entre la nation, l’État et le territoire.

Tome II

Que la guerre ait contribué à la construction institutionnelle et sociale de la France relève de l’évidence, d’autant que l’armée représente un élément fondateur de l’État-nation. Pour mieux comprendre la nature des liens unissant les Français à leur armée comme la guerre à l’État, il fallait rendre compte de 1 500 ans d’histoire. Dans sa globalité. Car le fait militaire dépasse les grands cadres d’organisation, le matériel ou les structures de l’armée ainsi que sa composition… Il oblige à penser le rapport au politique ainsi qu’à la société dans son ensemble et incite à revenir sur les engagements, en réfléchissant sur la stratégie et la doctrine d’emploi, en décrivant les grands conflits, en s’attardant, enfin, sur la réalité du combat, l’armement, la violence de guerre et son imposition aux civils.

Ce second volume explore les années 1870 à nos jours. La guerre devient alors totale et globale. Elle engage des millions de soldats, en 1914 comme en 1939 ; elle implique les civils, désormais amenés à fournir au front les montagnes d’obus et les milliers de chars que les conflits réclament ; elle les frappe tout autant lors de bombardements. L’armée, par ailleurs, joue un rôle politique éminent. Une partie de ses cadres a soutenu, pendant la Seconde Guerre mondiale, les idéaux pétainistes. Plus tard, des généraux tentèrent de renverser Charles de Gaulle pour contrer sa politique algérienne. Ces positions, toutefois, ne firent pas l’unanimité et un insigne conflit opposa le Maréchal au Général.

C’est dire si l’histoire militaire de la France de 1870 à nos jours ne saurait s’écrire dans les teintes monochromes du noir et du blanc. Alternant victoires et défaites, aveuglement et lucidité, grandeur et servitude, elle impose, durant ce très long siècle, de récuser simplisme et manichéisme.

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 Presque un quart de siècle après sa parution chez les P.U.F. dans les années 1990, l’Histoire militaire de la France dirigée par les monstres sacrés de l’histoire militaire à la française, André CORVISIER, Philippe CONTAMINE, Jean DELMAS, Guy PEDRONCINI et André MARTEL, faisait toujours référence.

Pourquoi donc une nouvelle Histoire militaire de la France ?

Les directeurs de l’ouvrage en donnent dès l’introduction une raison cardinale : à l’heure où « les controverses nées de récents développements de l’historiographie ont fini par construire l’illusion d’une incompatibilité radicale entre les approches globales et nationales de l’Histoire », « l’histoire militaire de la France permet de dépasser cette stérile opposition : elle envisage la Nation dans un environnement qui la dépasse. La guerre, en effet, est une relation à l’Autre ».  Mais cette nouvelle Histoire militaire de la France se veut aussi le prolongement de celle d’André Corvisier et consorts, explorée et prolongée pour « présenter une histoire globale » et ainsi « décloisonner l’histoire militaire ». L’ambition est élevée. Mais le pari est tenu. Ô combien !

La recherche historique ne cesse d’avancer : il faut donc régulièrement la prendre en compte dans des synthèses d’ampleur. Ici, l’ouvrage se nourrit des « diverses traditions historiographiques nationales » développées dans d’autres pays. Olivier Wieviorka donne ainsi l’exemple, au travers d’une interview, de l’histoire militaire du XVIIe siècle, longtemps négligée par les historiens français, mais relancée par l’historien américain John A. Lynn au tournant du siècle (voir par exemple le compte-rendu de son opus maxima, Giant of the Grand Siecle, The French Army, 1910-1715, sur Persée), un historien qui relativise « l’approche strictement sociale » de Corvisier… mais à partir duquel l’histoire militaire de la période est devenue un champ de recherche particulièrement dynamique.

Les développements récents de l’histoire militaire, notamment pris en compte dans cette somme, tels que le système de motivation des soldats ou la violence de guerre, ne doivent pas faire oublier, selon les auteurs, « la spécificité du fait militaire en le diluant dans une perspective globale ». Comment, en effet, étudier la guerre sans évoquer ses aspects tactiques, stratégiques, « opératiques » ? Sans nécessairement retomber dans l’histoire-batailles, les grandes batailles doivent être passées en revue. Loin de cette histoire militaire que je qualifierai d’histoire « hors-sol », l’Histoire militaire de la France nous fait comprendre « comment la guerre et le fait militaire, avec leurs logiques propres, deviennent des faits sociaux ». Olivier Wieviorka explique ainsi comment la hiérarchie militaire reproduit les hiérarchies sociales sans toutefois en être « la reproduction totale ».

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Les deux tomes s’organisent de façon chronologique :

Tome I

1re partie – Du royaume des Francs au royaume de France : Ve – XVe siècle (X. Hélary)

2e partie – Le temps des expériences. 1450-1650 (B. Deruelle)

3e partie – Raison militaire, raisons d’État. 1660-1789 (H. Drévillon)

4e partie – Une révolution militaire. 1789-1795 (H. Drévillon)

5e partie – Honneurs et malheurs. Héritages et mutations de l’armée « napoléonienne ». 1795-1815 (B. Gainot)

6e partie – Défendre la France aux commencements de l’ère contemporaine. 1915-1870 (A. Crépin)

Tome II

1re partie – De la défaite militaire de 1870-1871 à la nation armée de 1914 (X. Boniface)

2e partie – La Grande Guerre : quatre années d’une révolution militaire. 1914-1918 (F. Cochet)

3e partie – Démobilisation, effondrement, renaissance. 1918-1945 (O. Wieviorka)

4e partie – Les guerres coloniales des « soldats perdus ». 1945-1962 (P. Journoud)

5e partie – Accompagner les mutations de la puissance française de 1962 à nos jours (O. Schmitt)

Pourquoi deux tomes ? Pourquoi la césure de 1870 ? Parce que 1870 « marque l’entrée dans un nouvel âge de la guerre où l’universalisation de la conscription, dans un nouvel environnement technologique, crée les conditions d’une massification des conflits et de leurs dommages ». Bref, le tome II est celui de la « guerre systématiquement inhumaine » de Durkheim.

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L’ouvrage est monumental. Et pourtant, on pourra lui reprocher de n’avoir pas assez développé certains aspects contemporains : il manque peut-être 100 pages au tome II. Les parties 4 et 5, « les guerres coloniales des « soldats perdus », 1945-1962 » et « accompagner les mutations de la puissance française de 1962 à nos jours», en particulier, auraient gagné à approfondir leur propos. Qu’on ne se méprenne pas : les auteurs en sont parfaitement capables. Ont-ils hésité devant des sujets parfois polémiques (sans jeu de mots) ? On ne peut que le regretter. Mais sans doute est-ce là faire preuve d’un certain péché de gourmandise.

Des images et encarts iconographiques parsèment l’ouvrage, trop chichement à notre goût. De même, la partie cartographique est bien négligée : l’histoire militaire de la France aurait mérité son Atlas dédié. Peut-être sera-ce l’objet d’une future publication ?

Pour ce qui est du paratexte, signalons le rejet des notes en fin de volume : cela facilite la lecture et le contenu essentiellement technique le justifie. Un index conséquent permet d’accéder rapidement aux personnages recherchés. Nous regretterons toutefois l’absence d’un index des noms de lieux ou d’un index thématique. La bibliographie est conséquente : 16 et 13 pages. Elle permettra d’aller plus loin, même si le lecteur sourcilleux y relèvera quelques manques – à notre sens inexplicables : pour la Grande Guerre par exemple, et pourtant dans la rubrique « histoire générale », on aurait sans doute pu retrouver l’Encyclopédie dirigée par Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker. Manquent de même les ouvrages de John Keegan, au moins ceux sur les guerres mondiales. J’avoue ne pas bien comprendre comment on peut se passer de ces références. Mais peut-être suis-je moi-même en retard d’une guerre ?

Je recommande en tout cas vivement aux collègues l’acquisition et la lecture de ces deux tomes, qui permettent d’éclairer 1500 ans de notre Histoire. Peut-être même, toujours par esprit de pure gourmandise, pourrait-on envisager de commencer par relire l’Histoire militaire de Corvisier ?

A l’heure où l’appauvrissement des programmes scolaires et des exigences nous éloigne parfois de la science historique, chacun d’entre nous en fera son miel. Bien qu’ayant déjà beaucoup lu sur l’histoire militaire, je ne peux que confesser, après ces semaines passionnantes en compagnies de ces deux tomes, avoir énormément appris. Et nous sommes tous ainsi faits : la curiosité intellectuelle est le cœur de ce que nous sommes. Elle sera amplement satisfaite par l’Histoire militaire de la France.

Christophe CLAVEL

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