Ce livre donc tombe à point, et tout professeur soucieux d’avoir une approche actualisée du sujet pourra s’y référer avec profit. Le livre comprend un appareil de notes assez fourni (plus de cinquante pages), une chronologie, une bibliographie sélective et un index. Signalons également un cahier central avec une vingtaine d’images, toutes rapidement commentées. Alternent ici des photographies, des tableaux ou des affiches qui éclairent des facettes du sujet.
Davantage d’Europe et moins de contemporain
Il faut signaler dès à présent, comme le fait d’ailleurs l’auteur dans son prologue, le choix qu’il revendique dans le traitement de son sujet. On peut le résumer autour de trois idées. Tout d’abord, il ne s’étend pas sur la période après 1945 qu’il considère comme souvent traitée. Aussi ne fait-elle l’objet que d’un épilogue d’une vingtaine de pages. Plus globalement, il faut dire que la période après 1860 occupe environ 100 pages sur un total de 350 pages. Cela n’affaiblit en rien l’intérêt de l’ouvrage tant la contextualisation sur un temps long est nécessaire pour bien comprendre.
Deuxième parti pris qu’il faut connaître : il s’agit d’une histoire européenne de l’Amérique, c’est-à-dire qu’il insiste sur l’importance des échanges avec l’Europe. C’est dans ce contexte qu’il faut lire par exemple le chapitre 1 intitulé «Au commencement était la Réforme » car Lauric Henneton explique combien il est fondamental de comprendre le protestantisme anglais pour aborder la religion aux Etats-Unis. Dernière mise en garde ; le terme de religieux ne doit pas être pris dans un sens théologique.
Que penser du puritanisme ?
Dans ce rapport entre religion et société aux Etats-Unis, voilà bien un terme qui conduit souvent à des approximations et des idées reçues. Il ne faut jamais oublier combien la nouvelle Angleterre avait une dimension eschatologique. De même on ne peut réduire les colonies européennes d’Amérique du nord aux puritains car en Virginie par exemple ils n’étaient pas dominants. Le projet puritain cherche à rapprocher les élus de l’Eglise sur la Terre. Il entraîne donc, par essence, l’exclusion. Chez les puritains aussi, « l’intolérance n’est pas une fin mais un moyen ». L’auteur met aussi en évidence la vigueur religieuse, souvent déconcertante vue de France. Il faut également se débarrasser d’images sur la violence en Amérique, surtout si on compare à la situation en Europe à la même époque. Enfin, il faut retenir que la » réalité des colonies était celle d’un pluralisme source de concurrence ».
Les grands réveils : entre traditions et réalités
Il y eut plusieurs réveils religieux tout au long de l’histoire américaine : au XVIIIème siècle, vers 1830 ou encore vers 1870-1900. Ces moments de développement religieux ont donné lieu parfois à plusieurs interprétations. Très difficile à estimer, il faut aussi savoir garder la part d' »énigme » qu’il recèle selon l’auteur. Si l’on cherche à quantifier ces réveils, on peut relever par exemple qu’en Nouvelle Angleterre 177 églises furent fondées entre 1720 et 1740.
Cette effervescence religieuse aide à comprendre qu’à un moment donné, la seule façon de vivre ensemble fut d’accepter la liberté religieuse car personne ne pouvait revendiquer une majorité, et encore moins avec la diversité des territoires américains.
Produire pour convaincre
L’ouvrage se révèle particulièrement intéressant quand il montre comment la productivité a été mise au service de la religion. Le but était de mettre en ce début de XIX ème siècle une Bible dans chaque foyer. Grâce aux progrès technologiques, la production de l’ouvrage s’élevait déjà à un million par an vers 1830 ! Cette force de frappe de la religion se retrouve également dans des personnalités qui jalonnent cette histoire des Etats-Unis.
Des personnalités d’exception
Avec Whitefield et Moody, pour ne prendre que deux exemples, on se trouve face à des personnages d’une telle ampleur qu’il faut aligner là aussi quelques références chiffrées pour rendre compte de leur importance. Whitefield vécut aux alentours des années 1740 et se définit lui même comme « un pasteur amphibie ». Il a peut-être prêché plus de 18 000 sermons devant des foules rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes à une époque où les médias de masse n’existaient pas. C’était on le comprend un orateur hors pair qui alla jusqu’à enthousiasmer Benjamin Franklin. Par son style, il entraînait véritablement son auditoire. Un peu plus d’un siècle plus tard, on découvre la figure de Dwight Moody. Après avoir été vendeur de chaussures, il se lança dans l’évangélisme de masse et on estime qu’il s’est adressé à pas moins de 100 millions de personnes au cours de sa carrière ! Il était accompagné de chorales de 600 voix et eut même recours à des spécialistes de l’acoustique afin d’être plus efficace.
Des concepts à appréhender
Comme toujours en histoire, il est indispensable de connaître les cadres de raisonnement des acteurs de l’époque, sous peine de se livrer à un comparatisme maladroit. Pour les Etats Unis, il faut en maîtriser plusieurs comme l’idée de « destinée manifeste », de « cause perdue » ou encore de « common sense ». Il ne s’agit pas simplement de connaître ces expressions mais de bien comprendre quelles réalités elles recèlent. Cette dernière expression souligne par exemple la capacité à entendre directement Dieu. L’idée de destinée manifeste est également fondamentale et sans tracer forcément de grandes continuités, il est important de la comprendre : les Etats Unis ont une mission. Elle est liée à la fois à la religion et à la construction progressive d’une nation.
Voici donc un livre qui permet de faire le point sur un sujet pollué parfois d’idées reçues. Il propose une véritable mise en perspective, exigeante mais indispensable, redonnant toute sa place à une approche où les deux côtés de l’Atlantique doivent se penser en regard l’un de l’autre.
Jean-Pierre Costillle © Clionautes
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