Quel rapport le cinéma américain entretient-il avec le pouvoir politique incarné par le Pentagone ou Washington ? Qui influence qui ? De quelles façons ? Peut-on distinguer des périodes particulières depuis 1945 ? Des films de la guerre froide jusqu’ à « Green zone », voilà bien un thème qui semble inépuisable. Voici globalement quelques-unes des questions auxquelles se confronte Jean-Michel Valantin. Docteur en études stratégiques et sociologie de la défense, il travaille au CIRPES et est expert en sécurité environnementale. L’avantage c’est que son livre prend appui sur des films que l’on peut connaître pour les avoir vus au cinéma ce qui facilite la lecture de l’ensemble. Paru en 2003, l’ouvrage a connu une actualisation comme en témoignent les films analysés. Il s’est donc étoffé de 46 pages et de 6 euros au passage.

Le cinéma de sécurité nationale est un prolongement de la production américaine de stratégie.

Au centre du livre, il s’agit donc d’étudier l’idée d’un dialogue permanent entre Hollywood, le Pentagone et Washington. Cependant, une fois que l’on a dit cela, il reste à savoir qui influence qui. En tout cas, « la production de cinéma de sécurité nationale est un prolongement de la production américaine de stratégie ». Mais avant tout, pour que cela fonctionne, les films doivent prendre appui sur des éléments forts qui structurent la société. Dans un premier chapitre, l’auteur s’emploie donc à en cerner quelques-uns de façon très efficace. Parmi les mythes fondateurs, il y a particulièrement celui de la « Frontière » ou encore de « la cité sur la colline ». Le danger serait de croire que tout est résumé là . En s’emparant des thèmes propres à la sécurité nationale, les films « font surgir dans l’imaginaire collectif de la nation ce qui est virtuel dans les thèmes et qui imprègnent l’actualité du débat stratégique américain ». Autrement dit, le cinéma donne forme aux inquiétudes du gouvernement américain et en popularise en quelque sorte les thématiques. Il s’agit là d’axes majeurs du livre de Jean-Michel Valantin qui seront ensuite développés. S’il ne fallait citer qu’un exemple pour prouver les liens entre les trois organismes, on pourrait évoquer Top Gun. Le succès fut si important que la Navy installa des bureaux de recrutement à la sortie des salles. Tout le monde y trouvait son intérêt, car le film apparaissait d’autant plus crédible qu’il bénéficiait de prêt de matériel.

Il n’y a pas de complot !

Ces liens datent de plus de soixante ans. La seconde Guerre mondiale puis la guerre froide, aboutissent à la création d’un bureau de liaison entre Washington et Hollywood. L’auteur souligne également le rôle d’écrivains comme Tom Clancy. Cet auteur très populaire est devenu « l’adaptateur officiel des scénarios catastrophes que lui transmettent la CIA et le Pentagone avec lesquels il entretient des rapports privilégiés ». Il appartient à un clan politique très identifié. Quant à l’impact de ces productions que peut-on en dire ? Des millions de spectateurs voient ces images et grâce à ce spectacle, les Américains peuvent « se vivre en tant que nation ». Il y a eu aussi une réunion post 11 septembre entre Hollywood et Washington, mais l’éminence grise du président Bush, Karl Rove, insista alors pour qu’il n’y ait pas de films sur la guerre contre le terrorisme qui reprennent des théories à la Huntington qui risqueraient donc de tourner à la désignation univoque du monde musulman. Il existe donc bien des liaisons, mais on est loin d’une relation simpliste et dans un seul sens. Ne croyons donc pas à un complot souterrain. Il s’exerce des jeux d’influence entre ces organismes et cela est bien montré.


Lire la stratégie des Etats-Unis par les blockbusters.

On peut donc envisager la stratégie des Etats-Unis en étudiant leur production cinématographique. Dit ainsi, cela peut sembler un peu réducteur, mais ce n’est pas faux. Rambo, par exemple, met en scène finalement la doctrine Weinberger de l’ « escalade horizontale » qui instaure l’idée de représailles partout où les Soviétiques seront. Un chapitre est consacré au terrorisme et traite plus particulièrement de la période 1994-2000. On voit alors se multiplier les films qui présentent la ville comme le lieu du danger. Entre ascenseurs fous, bus ou métros, la ville devient dangereuse. On a en parallèle un processus de militarisation des forces de sécurité. La menace terroriste pose également le problème de la subversion et de la cohésion de la société. Au cœur de la ville, au cœur du peuple américain, elle sème la mort et le désordre.
Le chapitre 10 aborde des aspects chronologiques et thématiques et prend le risque d’aborder une période très récente, à savoir 2003-2007. Avec l’invasion de l’Irak, c’est toute une stratégie qu’il faut repenser et de nouvelles questions comme celle de la légitimité et le cinéma expose ces tensions. Ce n’est sans doute pas un hasard que la veine antique retrouve à ce moment-là une nouvelle jeunesse. S’interroger sur l’empire des Grecs est une façon de se questionner sur son propre empire.

Quelques questions qui demeurent.

On pourrait donc déterminer l’ambiance des relations internationales à partir de certains films américains. Cette clé est très séduisante, très efficace, mais on aurait presque aimé des contre- exemples, une sorte d’ouverture vers la contradiction. Lorsque l’auteur isole la période reaganienne, il montre bien qu‘il n’existe pas de commande mais un accompagnement des masses. On aurait aimé que cette idée soit précisée. On pourrait aussi reprocher à l’auteur de ne pas livrer de chiffres précis sur les résultats des films en salles. Il serait tout de même intéressant d’introduire ce paramètre. Enfin, mêler des chapitres proprement chronologiques à d’autres plus analytiques aboutit parfois à superposer des dates, ce qui n’est pas toujours très lisible.

Jason Bourne : un allié pour nos cours.

On peut tout à fait imaginer de s’emparer d’un cas lorsque l’on parle de la superpuissance des Etats-Unis et s’appuyer donc sur un film connu des élèves. On pourrait choisir l’exemple de la trilogie autour du personnage de Jason Bourne. Certes, le premier date déjà de 2002, mais il a connu des suites ce qui est intéressant pour souligner un des aspects du cinéma américain. Ce film témoigne des luttes intestines aux différents services de la CIA. C’est donc une dénonciation de « l’appareil sécuritaire » avec une sorte de structure parallèle qui se développe au sein même de l’administration américaine, ce qui rejoint les angoisses de cette époque.

Au total, il s’agit d’un ouvrage de réflexion stimulant, intéressant, qui propose des clés de lecture en évitant absolument l’obstacle du manichéisme ou du complot. Son actualisation et sa republication permettent de valider certaines de ses hypothèses car ses remarques demeurent valables. Enfin, en prenant appui sur des blockbusters sans doute bien connus d’un large public, il permet des entrées sans doute efficaces pour les cours si l’on a bien soin d’insister, comme l’auteur, sur le fait que l’échange d’influences est un jeu aux paramètres multiples.

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