Habiter les campagnes franc-comtoises aux XIVe et XVe siècles
L’étude que nous présente Sylvie Bépoix, médiéviste, enseignante à l’université de Franche-Comté et membre du Laboratoire Chrono-Environnement est une immersion au coeur du monde des campagnes de Franche-Comté à la fin du Moyen Âge.
En effet, comprendre comment l’humain s’ancre dans le territoire constitue l’angle original de sa recherche. De plus, en spécialiste des espaces ruraux au Moyen-Âge, l’autrice choisit une chronologie restreinte, les XIVe s et XVe s, non encore fouillée dans cette région alors que cela a été réalisé ailleurs. Elle vient ainsi pallier un manque.
Les sources
À travers les nombreux exemples extraits des archives, le lecteur découvre non seulement les aspects les plus concrets de l’occupation des territoires par les hommes, seigneurs et paysans, mais est plongé également au coeur des espaces moins habités. L’analyse proposée ici se fonde sur des sources archivistique tels les dénombrements, les terriers, et les comptes. Ils révèlent en détails la composition des fiefs.
L’autrice élargit son panel des sources habituelles grâce à l’archéologie, elle présente, notamment en forêt, l’apport de du LiDAR. Cette technologie, capable de détecter les vestiges archéologiques en bosses et en creux, ouvre de nouvelles perspectives de compréhension du territoire.
Les seigneurs
En cette fin du Moyen Âge, la place de l’écrit, visible via la réalisation des dénombrements, s’impose peu à peu aux seigneurs car ils souhaitent connaître de manière, plus précise qu’auparavant, leurs terres et leurs droits. Apparaît ipso facto un vocabulaire très varié pour évoquer la parcellisation, le travail de la terre, les bâtiments et les hommes.
D’après cette documentation et à l’inverse de ce qui s’observe dans d’autres contrées, les biens des possédants sont morcelés et répartis sur de vastes ensembles sans cohérence visible.
Quelques tableaux comparatifs éclairent la narration mais celle-ci aurait gagné en lisibilité par l’ajout de quelques schémas et graphiques.
Les paysans
À la suite du point de vue des seigneurs, pour exprimer celui des paysans qui exploitent, entretiennent la terre et produisent la nourriture, les sources sont moins nombreuses mais plus variées. Elles permettent d’accéder aux contrats établis entre seigneurs et paysans telles les censives et montrent qu’il s’agit de revenus essentiellement en argent et non en nature. La volonté affichée de la chercheuse de rendre les campagnes de cette période les plus concrètes possibles oblige à s’attarder sur les données humaines : entrer dans les villages, percevoir les différences de détentions des hommes et des femmes y habitant et se confronter aux difficultés de mesures des parcelles.
Dès lors, nous comprenons que malgré une diversité des terres labourables, des prés, des vignes et des statuts des hommes, les paysans profitent de toutes les situations pour améliorer leurs possessions. En Franche-Comté, la terre, en raison d’une démographie perturbée, ne manque pas, cela permet aux hommes de s’en emparer. De cette situation originale, une petite élite paysanne semble émerger.
Les espaces communautaires
Au-delà, des propriétés définies, les hommes et les femmes utilisent les espaces communautaires : les forêts, les vaines pâtures (espaces interdits à la pâture) sont nécessaires aux animaux quand les routes et les chemins favorisent la circulation d’une parcelle parfois éloignée à l’autre. L’archéologie forestière et les sciences paléo-environnementales mettent à jour des spécificités franc-comtoises dans une forêt qui occupe un très grand espace : la fabrication de la chaux indispensable aux constructions en pierre, la production de la poix blanche et noire, tout cela nous donne des connaissances sur une véritable économie forestière franc-comtoise.
Les limites
La dernière partie de l’étude se concentre sur le concept de limite : pourquoi et comment la frontière se matérialise-elle au sein des campagnes ? Le besoin de limite, souvent, apparaît dans les situations conflictuelles. Les cartes, bien qu’encore peu nombreuses, se développent pourtant en lien avec les différends de voisinage entre les hommes. Plusieurs éléments d’une carte sont d’aillerus « zoomés » afin de nous faciliter la lecture. Le lecteur se rend compte, de ce fait, de la multiplicité des signes visuels (gibets, panonceaux, penons, étendards) marqueurs de plusieurs autorités qui se superposent dans les campagnes.
Pour conclure, la recherche de Sylvie Bépoix, à partir des archives et de l’archéologie, offre un panorama large et extrêmement précis de la manière dont des espaces ruraux sont habités par des Franc-Comtois et Franc-Comtoises en cette fin du Moyen-Âge. Ce travail impressionnant comble une lacune dans la recherche et sera, sans nul doute, une référence pour la Franche-Comté.