A travers la parole de neuf scientifiques, cette bande dessinée documentaire offre une synthèse des derniers rapports du GIEC. Il s’agit d’un livre de vulgarisation qui souhaite mettre en avant les constats mais aussi les solutions possibles. Chaque scientifique est associé à un mot, un peu comme une étape pour chacun de la prise de conscience. Chaque chercheur rencontré est présenté également à la fin du livre sous forme d’une biographie d’une dizaine de lignes. Les auteurs sont Iris-Amata Dion, docteure en Sciences de l’atmosphère et du climat, et Xavier Henrion qui explore différents genres de la bande dessinée avec des séries comme « Root » ou « Toxic Boy ».
Quand une scientifique rencontre un sceptique
L’ouvrage commence avec Iris, chercheuse en science de l’atmosphère. En 2019, elle finissait sa thèse et beaucoup de ses collègues travaillaient déjà avec le GIEC. Elle se rend compte que beaucoup de gens autour d’elle ne savent pas ce que c’est. Elle rencontre Xavier, dessinateur, qui va l’accompagner dans tout l’ouvrage, qui n’y connait rien. C’est un peu le novice qui va recevoir frontalement les informations avec donc, parfois, quelques moments de découragement.
Rencontre avec Valérie Masson-Delmotte
Il y a chaque année 40 000 nouvelles publications scientifiques sur le sujet du réchauffement climatique. Le GIEC est composé de 800 scientifiques et son but est de réaliser une synthèse des connaissances. Ses travaux sont utilisés par les COP. Un groupe se concentre sur la compréhension du changement climatique, un autre sur les risques et comment s’y adapter et un dernier sur les solutions pour atténuer. Il existe plusieurs formats puisque de 4000 pages, on passe à une synthèse en 100 pages, puis en 15 pages avec un résumé pour les décideurs. Les scientifiques sont mis à disposition du GIEC et cet organisme réalise aussi des synthèses sur des thèmes précis.
Christophe Cassou
Il est climatologue et il définit d’abord la différence entre météo et climat. Il y a toujours eu des cycles et la dernière fois qu’on a atteint la température actuelle c’était il y a 100 000 ans. La bande dessinée se veut très informative et entre dans les détails comme avec l’explication des cycles de Milankovitch. Christophe Cassou montre bien qu’il y a toujours eu des variations mais, la nouveauté, c’est le forçage anthropique. Les activités humaines ont ajouté une nouvelle couche de gaz à effet de serre. Le scientifique insiste aussi sur la nécessité de partager les découvertes. Il montre aussi que l’augmentation de température de la planète n’a rien à voir avec les variations saisonnières. Les scientifiques travaillent sur cinq scénarios pour le futur. La question de la médiatisation est abordée.
Roland Séférian
Il est climatologue et rend d’abord hommage aux travaux pionniers de Claude Lorius. Roland Séférian explique que ses travaux portent sur le cycle du carbone. Il montre le poids de la combustion des énergies fossiles, de l’électricité, de la déforestation et de l’agriculture. A l’échelle mondiale, un quart du CO2 est capté par la végétation et un autre quart par les océans. Cependant, ces puits risquent de devenir moins efficaces. Mais il est possible d’agir : il faut « gérer l’inévitable et éviter l’ingérable » selon les mots d’un autre scientifique, Filippo Giorgi. Il faut bien mesurer que les émissions de CO2 par personne n’ont rien à voir selon les pays. Si on regarde les émissions par pays en revanche, la Chine est loin devant. La bande dessinée propose des documents visuels très parlants pour montrer les secteurs dans lesquels on peut agir et avec quel espoir de résultat. Cependant, même être végétarien, par exemple, ne suffit pas car la consommation de fromage a presque le même impact que la consommation de viande de mouton ou d’agneau. On soulignera également la présence d’un document très clair sur les six faisabilités pour limiter le réchauffement à deux degrés. On peut retenir plusieurs points comme le fait de ne pas jouer aux apprentis sorciers et aussi de considérer que les solutions doivent se suffire à elles mêmes et ne pas présupposer une continuité dans les connaissances techniques. Les deux protagonistes sont un peu sonnés par tout ce qu’ils ont appris. Une citation de Jean-Pierre Dupuy, philosophe, décrit à sa façon leur état d’esprit. « Il y a une différence entre savoir et croire. Et on préfère renoncer aux faits que renoncer à nos croyances ».
Hervé Douville
Il s’intéresse à la question de l’eau. La bande dessinée prend le temps de clarifier les choses sur le cycle de l’eau. Même si on arrêtait aujourd’hui définitivement nos émissions de GES, on ne pourrait pas échapper à une élévation du niveau de la mer. Parmi les problèmes qui touchent les océans, il y a leur acidification. On ne peut se permettre de parier uniquement sur des progrès techniques pour régler nos problèmes.
Wolfgang Cramer
Il souligne qu’environ 20 millions de personnes sont déplacées chaque année par des catastrophes climatiques causées par des évènements extrêmes, ce qui est deux à trois fois plus que les réfugiés déplacés par des conflits et des violences. Des travaux ont mis en évidence neuf limites planétaires qu’il ne faudrait pas dépasser. Or, six d’entre elles le sont déjà. Le scientifique explique ensuite la notion d’écosystème et ses implications multiples dont le risque d’extinction de masse. Les coraux et la banquise sont deux écosystèmes très vulnérables. On a perdu 20 % des espèces en cent ans. Plusieurs cause existent pour expliquer les extinctions actuelles dont la surexploitation et le développement des espèces invasives. Face à de telles nouvelles, le scientifique met en avant, pour espérer, la notion de résilience. Parmi les pistes, il faut changer de modèle agricole. Il s’agit donc d’augmenter la matière organique du sol ou encore de régionaliser le commerce agricole et de réduire le gaspillage alimentaire. Il est nécessaire également de réduire la consommation de viande.
Virginie Duvat
Elle étudie des solutions d’adaptation sur les régions côtières. Certaines de ces régions sont très attractives. Elle évoque aussi la salinisation des terres et des nappes d’eau souterraines. Les petites îles sont comme des sentinelles d’un problème plus global à venir. Elle développe ensuite les réponses possibles d’adaptation. Il faut d’abord restaurer les écosystèmes pour qu’ils puissent nous protéger en retour. On peut aller vers la protection lourde avec des digues de protection. La scientifique insiste surtout sur l’idée d’anticipation. Cependant cela se heurte souvent au temps court du politique.
Céline Guivarch
Elle travaille sur les questions d’inégalités face au changement climatique. Après un temps de déprime, Xavier accepte d’aller la rencontrer. Céline Guivarch montre d’abord que, parmi les inégalités économiques, on retrouve quatre catégories. Les populations les plus pauvres sont à la fois plus exposées et plus vulnérables aux impacts du changement climatique. 10 % de la population mondiale sont responsables de 34 à 45 % des émissions de GES. Elle travaille avec d’autres sur des scénarios possibles d’évolution. Pour réduire les GES, il faut des changements dans nos infrastructures, des changements socioculturels et des avancées technologiques. La scientifique souligne que le PIB est une mauvaise boussole. Son message est aussi clair lorsqu’elle dit « nous sommes 100 % de la solution ».
Henri Waisman
Le GIEC a regardé les secteurs dans lesquels on peut agir à court terme pour avoir un impact sur le long terme. Il y en a quatre dont l’énergie ou encore l’agriculture et l’utilisation des sols. En France, depuis les années 1970, la part relative du pétrole a baissé de 30 à 50 % mais son volume de consommation absolu a doublé. Les ENR ne peuvent pas être la seule source d’électricité. En France, le secteur du bâtiment représente 47 % de la consommation d’énergie. Malgré une amélioration de la performance moyenne, la consommation finale a augmenté de 24 % entre 1973 et 2004. Le scientifique invite à déconstruire les discours d’inaction portés par les plus grands pollueurs. Il note aussi que les pays riches ont été capables de sortir 5 000 milliards pour faire face à la crise économique lors du Covid et qu’ils ne sont pas capables de mobiliser plus de 100 milliards pour une question aussi importante que le climat. Xavier et Iris réalisent alors qu’il faut transmettre tout ce qu’ils ont appris et qu’il est nécessaire de construire un récit positif. Quoi de mieux alors pour le faire qu’une bande dessinée ?
Jean Jouzel
Celui-ci retrace son parcours en soulignant la difficulté qu’il a parfois rencontrée à faire passer son message et les résultats des scientifiques. Le terme de décroissance n’est plus tabou et fait l’objet d’études de plus en plus nombreuses. On voit aussi que des étudiants diplômés refusent d’aller travailler pour certaines entreprises. Une enquête auprès de jeunes de 18 à 25 ans montre qu’ils placent le réchauffement climatique en tête de leurs préoccupations mais qu’en même temps ils ne savent pas vraiment de quoi ils parlent. L’avenir ne dépend pas du GIEC mais de ce que nous faisons collectivement des résultats mis en évidence.
Cet ouvrage très conséquent et très informatif permet un vaste tour d’horizon. Il essaye aussi, dès que c’est possible, de parler des solutions possibles et insiste souvent sur l’idée du choix qui se pose aux humains.
Une interview des auteurs à découvrir ici.