Aux heures sombres de la France occupée par les nazis, les groupes de combat des FTP-MOI (francs-tireurs partisans et main-d’œuvre immigrée) subissent une répression féroce, comme tous les groupes de résistants. Le poète Missak Manouchian, communiste arménien se voit proposer de devenir chef militaire du groupe d’Ile-de France. Mais, alors qu’il multiplie les opérations audacieuses et forme de nouveaux membres, il se sent observé et en danger.

Une interrogation et un récit aux choix personnels

La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian ont suscité de manière bien légitime la publication de très nombreux ouvrages consacrés à ces derniers et plus largement à l’affiche rouge et aux étrangers durant la Résistance.

C’est dans ce contexte que Jean-Pierre Pécau, connu notamment pour son excellent album Les cent derniers jours d’Hitler, nous propose une bande dessinée intitulée Missak Manoukian mort pour la France, accompagnée d’un bandeau sur fond rouge avec sa question : « qui l’a trahi ? ». Il nous raconte les derniers mois de Missak Manouchian et de son réseau, questionnant avec finesse les causes de leur arrestation et révélant des zones d’ombres. Ces interrogations avaient déjà été émises par sa femme, Mélinée, qui était allée jusqu’à accuser le PCF d’avoir permis la capture de ce groupe. Ont-ils été trahis ? Ont-ils été sacrifiés ? C’est cette question qui justement, est au cœur des interrogations de l’ouvrage.

Jean-Pierre Pécau est un auteur pour qui l’affaire Manouchian n’est pas seulement l’affaire d’un album. Originaire de Saint-Ouen, ayant baigné depuis sa jeunesse dans un milieu communiste, Jean-Pierre Pécau a lu à peu près tous les ouvrages consacrés à Manouchian et à l’Affiche rouge, sujet qui demeure encore particulièrement radioactif dans certains milieux. La bibliographie proposée en fin d’ouvrage n’est d’ailleurs qu’une sélection partielle de tous les ouvrages que l’auteur a lus depuis sa jeunesse sur la question. Par conséquent, le lecteur ne s’étonnera pas de trouver à la fois des études récentes mais aussi plus anciennes, preuve que la question a suscité une abondante bibliographie depuis les années 50.

Par conséquent, il nous livre ici sa version de l’histoire, différente par ses choix des autres albums publiés par d’autres auteurs (Morvan et Daeninckx, ce dernier étant d’ailleurs cité au détour d’une case pour une raison que je ne vous dévoilerai pas ici). Car en effet ici, l’idée n’est pas de faire une biographie de Manoukian mais d’en rappeler les éléments centraux et surtout de soulever les angles morts et les interrogations qui persistent encore de nos jours. La structure choisie pour le récit reflète d’ailleurs cette volonté de soulever de nombreuses interrogations.

Remplacer le dossier pédagogique par une scène évoquant des mémoires conflictuelles

L’histoire se concentre entre la période comprise entre l’été 1943 et février 1944 au moment où l’Affiche rouge a été conçue. Elle est entrecoupée de plusieurs scènes de couleur sépia mettant en scène un débat inspiré de la mise en scène des dossiers l’écran et proposant un échange actuel entre trois historiens fictifs qui remettent en perspective l’affaire Manouchian. Certaines interrogations liées aux personnalités comme Jacques Duclos sont abordées mais aussi, après une période d’oubli volontaire de la part du PCF, l’émergence de la mémoire liée au groupe Manouchian dans les années 70-80, son oubli, son évolution ainsi que les questionnements qui l’ont accompagné. Pécau mentionne ainsi l’émergence d’une mémoire particulièrement conflictuelle avec le rappel d’un documentaire diffusé en juillet 1985 sur Antenne 2 et intitulé Des terroristes à la retraite au cours duquel le réalisateur Mosco Boucault, avait évoqué la possibilité que la direction du parti communiste ait volontairement sacrifié le groupe Manouchian ce qui, à l’époque, provoqua un immense scandale dans un contexte de déclin du PCF. Cette partie remplace ici un éventuel dossier pédagogique qui aurait pu accompagner l’album et qui a été envisagé durant un temps par l’auteur.

Notons aussi l’auteur a fait des choix personnels. En effet, il ne nous rapporte pas par exemple l’assassinat de Julius Ritter, mais d’une autre personnalité, le général Von Apt, le 7 juin 1943 et met à cette occasion en relief l’un des héros de l’Affiche rouge, un footballeur d’origine italienne Rino Della Negra, recruté par le Red Star de Saint Ouen au début de la saison 1943 – 1944.

L’auteur s’intéresse en particulier à la personnalité de Jacques Duclos et sa secrétaire et agent de liaison Mathilde Dardant dont l’assassinat par le groupe Valmy en octobre 1942 n’a d’ailleurs n’a jamais trouvé d’explication. Jacques Duclos, mais aussi Louis Aragon, le jeune Charles Aznavour, Charles Tillon ou encore le peintre Krikor Bedikian jalonnent l’histoire du poète et communiste arménien à la tête d’un réseau de résistants émigrés, aux antipodes de l’image véhiculée par l’Affiche rouge conçue et placardée par les services de propagande français et allemands.

Enfin, Pécau ne tranche pas totalement à la fin. Le groupe de Manouchian a-t-il été réellement trahi par le Parti communiste, comme l’ont affirmé par la suite certains comme Mélinée Manouchian par exemple ? L’arrestation du groupe n’est-elle due qu’à la seule efficacité de la police ou bien s’est-elle trouvée renforcée par des renseignements obtenus par la torture à la suite de l’arrestation de Dawidowicz ? Le lecteur se fera aisément son idée mais la porte laissée ouverte témoigne encore de certaines zones d’ombre qui persistent encore de nos jours.

Un album à exploiter en classe

Et le professeur ? L’album peut se prêter à un travail pluridisciplinaire avec le Français et l’étude de l’Affiche rouge, ou alors à une utilisation en complément du cours comme lecture pour aller plus loin en Troisième et en Terminale. On peut également envisager d’étudier cet ouvrage dans le cadre d’un travail sur la Mémoire, en parallèle avec l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon. Une autre piste de travail consistera à comparer le récit proposé par Jean-Pierre Pécau et les autres auteurs qui se sont intéressés au destin tragique du groupe de l’Affiche rouge : Didier Daeninckx (mentionné dans le récit pour une raison que nous ne vous dévoilerons pas ici ! Attention lisez bien les petites lignes !) et J.D. Morvan.