Stéphane Cordobes est philosophe, géographe et photographe. Après avoir dirigé l’activité prospective de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), puis du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), il est aujourd’hui conseiller à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et chercheur associé à l’École urbaine de Lyon. Ses enquêtes dans les territoires interrogent les modes de cohabitation modernes et urbains ainsi que nos capacités à les faire évoluer pour relever le défi du changement global et de l’édification écologique du monde anthropocène.
« Si le temps le permet » est une expression qui ponctue un grand nombre de conversations à Saint-Pierre-et-Miquelon, rappelant que le climat et la météo sont éprouvantes sur cet archipel de l’Atlantique. Envoyé à Saint-Pierre-et Miquelon pour une enquête prospective expérimentale à la demande du préfet qui s’inquiète de la situation locale, de la décroissance démographique, des difficultés économiques et de l’exposition de l’archipel aux aléas climatiques, Stéphane Cordobes en profite pour découvrir ce département ultramarin. « C’est donc une aventure ordinaire de la première fois », écrit Michel Lussault dans sa préface ; celle qui « consiste à conférer par une visite une signification personnelle inédite à un espace déjà bien balisé par d’autres » (p.147).
L’ouvrage est composé de photographies magnifiques qui font d’ailleurs l’objet d’une exposition itinérante, accessible depuis le site personnel de Stéphane Cordobes. Chaque suite d’images est précédée de quelques notes de l’auteur issues de sa réflexion d’observateur « novice » en ce territoire. « De cette manière, la pensée par les mots est mise en tension avec la pensée par les images et une telle tension de la narration et de la figuration crée de la valeur ajoutée de connaissance en épaississant les faits et phénomènes, en ne les simplifiant pas mais en les augmentant, en acceptant par ce faire la complexité, car il n’y a pas forcément congruence entre les images et le texte mais une correspondance, non homologique, fait de décalages, de décadrages, de distorsions significatives » (Lussault, postface, p.150). Cordobes a articulé son livre en quatre temps : un prologue qui resitue son aventure, l’enquête à proprement parler, qui constitue l’essentiel du travail et un épilogue qui prolonge les réflexions amorcées dans l’enquête.
Cordobes arrive sur un archipel qui ne produit plus ce dont il a besoin pour vivre, qui ne créé plus la richesse qui permettrait de financer son acquisition sur les marchés mondiaux. L’essentiel des revenus locaux provient des dotations, des subventions et des emplois publics. De plus, l’archipel est agité par un plan de prévention des risques littoraux : il faut contrer la montée des eaux et leur débordement, le franchissement de paquets de mer lors des tempêtes les plus violentes qui submergent le territoire.
L’enquête de Cordobes sur cet archipel ultramarine invite à entrer de manière responsable dans le monde de l’anthropocène, comme invitait à le faire Bruno Latour dans Où atterrir ? Comment s’orienter en politique (2017). Elle remet en cause la poursuite de la logique néolibérale, productiviste et globalisante, des activités d’extraction, de transformation et de consommation qui ruinent la planète. Elle questionne le repli identitaire et populiste, nationaliste et localiste, réactionnaire et protectionniste. Dans cet ouvrage, c’est par l’approche sensible, esthétique au sens étymologique du terme, que Cordobes tente d’activer le questionnement prospectif et politique. Il écrit, p.139 : « Pour relever le défi anthropocène, consentir à notre vulnérabilité, inventer de nouvelles formes de cohabitation résilientes, commencer à prendre soin de la Terre, il faut conjuguer tous les savoirs, tant scientifiques, traditionnels et d’usages que sensibles, artistiques et esthétiques. C’est la condition pour changer notre rapport au monde et procéder aux réagencements de rigueur ».