Jean-Michel Frodon s’attaque à un défi : raconter un peu plus d’un siècle de cinéma en 200 pages en mettant en évidence les grands moments, les grands cinéastes et les grands films. Précisons que chaque chapitre est introduit par, à gauche, un montage d’images de films en rapport avec le chapitre et, à droite, le titre accompagné lui aussi d’une image de référence. Chacun est donc assez court et commence par quelques mots repères, comme une sorte de thésaurus.

Ce livre est publié dans la série Gallimard Jeunesse Giboulées et est conseillé à partir de 11 ans. La mise en pages aurait peut-être gagnée parfois à être plus aérée dans les chapitres ou du moins proposer l’intégration des sous-titres dans le cours du texte.

Davantage qu’un simple loisir

Le préambule cherche à cerner son sujet et usant d’allitération, l’auteur définit son espace de travail : des hommes, des machines, des pays, des spectateurs, sans oublier les autres dimensions du cinéma comme la politique ou l’histoire. Jean-Michel Frodon ose une introduction originale sur ce qu’il y avait avant le cinéma. Dans un texte qui enjambe les époques, il cherche des ancêtres du cinéma, allant de l’homme préhistorique jusqu’à Niepce en évoquant, dès ce moment-là, des espaces géographiques variés. L’auteur nous convie donc à une approche très complète, très vivante du 7ème art, portée par une plume alerte.

Des pionniers

Jean-Michel Frodon passe en revue quelques figures incontournables et tutélaires. On peut se plonger d’abord dans le chapitre 2 consacré aux frères Lumière. Dès le début du livre, on trouve la patte de l’auteur qui, plutôt que de livrer un texte convenu sur eux, cherchent à les éclairer différemment. En effet, il les compare à Christophe Colomb, en insistant sur le fait qu’ils ont découvert, et non inventé le cinéma. Ils avaient aussi proclamé nouveau ce qui ne l’était pas en terme technique. La vraie nouveauté, c’est la rencontre entre un film et un public. Parmi les autres glorieux ancêtres, Jean Michel Frodon exécute en quelques lignes Thomas Edison traité de « salopard » pour s’être approprié des inventions, et avoir bloqué celles qui risquaient de nuire à ses intérêts. Méliès, l’homme aux plus de 500 films, a droit à un chapitre entier, tant sa contribution à l’histoire du cinéma est importante. Moins connue peut-être et pourtant tout aussi important, c’est la personne de David Wark Griffith. Il fut un pionnier dans l’utilisation de nombreuses techniques et on peut lui attribuer la réalisation du premier blockbuster de l’histoire.

Histoire du cinéma

Le cinéma, c’est avant tout l’histoire d’un média qui, de 1898 à 1905, est devenu « un loisir de masse, une technique, une industrie et un commerce, un moyen d’étude scientifique et de découverte du monde et pour certains une menace pour l’éducation des enfants et des bonnes mœurs ». Jean-Michel Frodon évoque également le temps des studios hollywoodiens. Il s’interroge sur le succès de certains genres comme le western alors qu’il s’agit d’histoires très américaines. Il a choisi une approche chronologique en 27 chapitres, et à mi-parcours, (au chapitre 14 exactement), il propose un état des lieux de la planète cinéma vers 1950. Dans un texte très efficace, il dresse un panorama dans plusieurs pays.

Cinéma dans l’histoire

Jean-Michel Frodon ne se contente pas de raconter l’histoire du médium cinéma, mais l’insère en permanence dans la société et le contexte de l’époque. Il parle par exemple de la création de l’UFA en pleine première guerre mondiale. Il évoque pour la France la genèse du CNC et le rôle d’André Malraux. Il montre cette volonté de réunir l’art et le commerce. Le résultat est impressionnant : 160 premiers films sont réalisés en France entre 1959 et 1962.
Il montre comment la Nouvelle vague s’est diffusée et ce qu’elle a pu représenter dans certains pays. Au Japon, certains cinéastes voulaient combattre le système des studios et la « dépendance de leur pays par rapport aux Etats-Unis ». Oshima fait partie de ces figures de la contestation et ses « Contes cruels de la jeunesse » sonnent comme un message à la fois artistique et politique pour montrer une jeunesse japonaise sans espoir. Les chapitres consacrés aux années 60 et 70 par exemple témoignent bien de cette imbrication entre société et cinéma.

Cinéma de tous les pays

C’est sans doute un des aspects les plus passionnants traité ici, car Jean Michel Frodon livre par petites touches de nombreuses remarques qui nous font voir, derrière l’unicité du mot cinéma, la diversité des histoires nationales. Au départ, les Chinois utilisent le cinéma pour enregistrer les plus célèbres chanteurs de l’opéra de Pékin alors qu’il est muet. En Iran, le cinéma était d’abord réservé au Shah et à sa cour. Jean-Michel Frodon consacre un chapitre distinct au cinéma italien de la grande époque en insistant donc sur les néo-réalistes.
Plusieurs chapitres permettent donc d’aborder le cinéma d’autres pays. Selon son degré de connaissances sur le sujet, on aura ainsi à disposition une sorte d’introduction et de mise au point sur le cinéma chinois, japonais ou soviétique.

Des acteurs et des cinéastes

Il s’arrête sur les figures incontournables comme celle de Charlie Chaplin. On voit aussi la figure d’Orson Welles et il rappelle quelques éléments du choc que représenta »Citizen Kane ». Orson Welles joue le personnage principal de son film de l’adolescence à sa mort, alors que lui même n’a que 25 ans à l’époque ! On sera peut être décontenancé par la place réservée à tel ou tel cinéaste. Difficile en un chapitre de dire beaucoup du moment qu’on évoque des figures comme celles de Pedro Almodovar, de Lars Von Trier ou encore d’Amos Gitai !

Cinéma et techniques

Jean-Michel Frodon présente aussi le cinéma sous l’angle de ses techniques. Il rappelle la création du fondu enchainé par Méliès et il aborde la question du passage du muet au parlant. Il s’arrête sur cette question apparemment simple : pourquoi le cinéma ne parlait pas avant ? Tout en nuances, il souligne que le cinéma a été sonore avant d’être parlant. Il revient aussi par exemple sur l’utilisation d’objectifs à courte focale dans « Citizen Kane » et sur ce que cela change. Le tour d’horizon se poursuit avec le technicolor. Il faut attendre les années 60 pour que les grands studios abandonnent tout à fait le noir et blanc et une dizaine d’années pour que cela se généralise dans le monde. Avec le chapitre sur « le nouvel Hollywood », l’auteur montre la réaction américaine à l’émergence d’autres industries cinématographiques. On invente d’autres manières de fabriquer des films de genre , on découvre le filon des suites, sans oublier l’apparition plus récente de la 3 D.

On peut quand même préciser que la mise en page est un peu austère pour le public auquel il se destine. Mais si le lecteur est passionné, il passera par dessus cela. En effet, en un peu plus de 200 pages, Jean-Michel Frodon réussit un véritable tour de force, car il brosse l’histoire d’un siècle de cinéma. Il ne s’arrête pas là, car il envisage le cinéma à la fois sous un angle technique, en soulignant plusieurs évolutions majeures, et il l’inclut aussi dans la société de son époque. Le style de l’auteur concourt également au plaisir du lecteur adulte. Un ouvrage qui donne envie de voir, ou revoir, certains films et qui constitue une encyclopédie très pratique du 7ème art (rendez-vous page 42 pour connaître la genèse de cette expression ! ).

© Jean-Pierre Costille, avec l’aide de Clara, pour les Clionautes.