Les éditions des éléphants est une maison d’édition qui a moins de dix ans. Fondée en 2015 par deux éditrices, Ilona Meyer et Caroline Drouault, qui ont longtemps travaillé pour des grandes maisons d’éditions. Elles rêvaient alors d’une structure plus petite et indépendante dans laquelle elles laisseraient la place à une vraie ligne éditoriale défendant différentes valeurs dans la littérature de jeunesse. Parmi ces valeurs, on trouve la partage et la solidarité, l’ouverture au monde et à la différence, la mémoire et la compréhension du monde contemporain.

            Sophie Blackall, née en 1970 en Australie, fait partie de ces illustratrices et autrices très attachées à cette notion de mémoire et de transmission. Dans Winnie et la Grande Guerre (publié en 2020 à l’École des loisirs), elle illustrait le texte de Lindsay Mattick et Josh Greenhut, et s’intéressait aux origines de Winnie l’ourson, mascotte des soldats canadiens pendant la Grande Guerre, avant qu’il ne devienne le célèbre héros d’Albert Mine. Dans Le Phare, publié par Les Éléphants en 2021, Sophie Blackall évoque l’isolement et le travail, à la fois,  répétitif et changeant d’un gardien de phare, profession aujourd’hui disparue. Ces deux ouvrages ont obtenu la médaille Caldecott.

            Il est encore question de mémoire et de transmission dans La Ferme. L’autrice raconte ici son installation dans une vieille ferme de l’État de New-York. Elle tente de faire revivre la famille de douze enfants qui y vivait dans les années 1970 au moment où la ferme fut abandonnée et où le temps s’est arrêté pour elle. La visite pièce par pièce s’opère à partir d’une vue en écorché livrée à la fin de l’ouvrage. Le décor de chacune des pièces est réalisé à partir d’éléments prélevés dans la ferme abandonnée dont une photographie figure en fin d’ouvrage : morceaux de papiers-peints, de rideaux, de tissus, d’images prélevées dans de vieux journaux. Ces joyeux collages mêlés aux dessins naïfs de Sophie Blackall redonnent vie à une maison qui a accueilli une activité intense.

Sophie Blackall devine les bonheurs petits et grands qui s’y sont construits, abrités et qui y ont grandi. Elle tente de leur redonner vie au moyen d’illustrations joyeuses et chaleureuses. Elle essaie de retrouver l’amour, qui est fait de murs de bois, un foyer dans lequel un couple de fermiers et ses douze enfants se sont épanouis. La nostalgie est au rendez-vous autant dans le récit que dans la méthode d’écriture graphique. Sophie Blackall avoue aimer les objets et ce qu’ils racontent. Elle a travaillé par couches palimpsestes à la manière d’une écriture historique. Elle écrit : « J’ai commencé sur l’envers d’un rouleau de papier peint, sur lequel j’ai disposé le sol, les murs et le mobilier, à partir de lambeaux et de fragments trouvés dans la maison. La plupart de ces premières couches sont invisibles maintenant, cachées sous les embellissements et les détails, de la même façon que les histoires se sont étoffées à mesure qu’elles ont été racontées et racontées au fil des ans ».