Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Itinéraires d’exil dans le département du Vaucluse sur le thème des travailleurs indochinois en France de 1939 à 1952.

Le département de Vaucluse accueille en cet automne 2012 en trois lieux différents une exposition dédiée aux travailleurs indochinois en France, entre 1939 et 1952.

A l’origine, la venue de ces travailleurs indochinois est une idée de Georges Mandel alors ministre des colonies, qui en septembre 1939 souhaite faire venir 500 000 travailleurs de l’Empire colonial ; sur 50 000 travailleurs réellement rassemblés, près de 20 000 viennent des campagnes de l’Annan et du Tonkin. Ces paysans illettrés furent réquisitionnés par l’administration dans les familles ayant au moins deux fils ; quelques jeunes gens de bonne famille, diplômés et maitrisant le français sont volontaires pour s’engager. Le voyage, long de 30 à 40 jours, se fit dans la cale de navires. Hébergés à leur arrivée à Marseille dans la prison des Baumettes, ils furent ensuite dispersés dans les poudreries nationales en tant qu’ONS, ouvriers non spécialisés.

Après l’armistice, moins de 5 000 d’entre eux repartent en Indochine, les autres attendront 8 à 12 ans leur rapatriement. La France de Vichy les parque dans des camps d’internement et loue leur force de travail notamment à l’occupant allemand ; la somme versée par l’employeur auprès de l’administration française n’est en aucun cas reversée aux travailleurs indochinois… Ils furent particulièrement mal traités : la société Péchiney qui les emploie à Salin de Giraud les paient 20 fois moins que les ouvriers français et leur refuse de leur fournir des bottes en caoutchouc ; ils contribuent également à relancer la riziculture en Camargue.
Dans le Vaucluse, c’est à Sorgues que se trouvait le camp le plus important. La MOI (main d’œuvre indigène) fut utilisée dans l’exploitation forestière à Sault, dans les briqueteries de Bollène, les ateliers de cartonnage de Valréas…

Après la guerre, la création de la « République démocratique » d’Hô Chi Minh est soutenue par les travailleurs indochinois de métropole et certains s’engagent dans la IVe Internationale trotskiste ; le PC et la CGT sont également souvent aux cotés de ces travailleurs exilés. Ce n’est qu’en 1952 que les derniers rentrent enfin ; un millier d’entre eux choisit de rester en France.

Evénement le plus souvent oublié, comme l’épisode des travailleurs chinois… L’administration française n’a jamais indemnisés ces hommes pour les salaires non versées, et n’a même pas accepté de reconnaître les années passées à la MOI comme ouvrant des droits à une retraite (sauf cas exceptionnels). Seules trois communes, Arles, Saint-Chamas/Miramas et Toulouse ont rendu hommage à ces travailleurs, dont très peu aujourd’hui sont encore vivants.

Le projet Indochine de Provence est soutenu par plusieurs partenaires : le musée d’histoire Jean-Garcin, l’Université d’Avignon et les associations locales Histoires vietnamiennes et Etudes sorguaises. Pour appréhender le contexte de cette migration particulière, il s’agit de collecter les fonds et d’écrire cette histoire qui laisse une grande place à l’oralité. Cet ouvrage est un collectif sous la direction d’Eve Duperray avec la contribution de Pierre Daum, Ambre Fiori, Sophie Wahnich et Annette Wievorka. Il tient lieu de catalogue pour l’exposition Itinéraires d’exil.

C’est un exemple intéressant qui montre la place que peuvent prendre des collectivités locales dans la construction de l’histoire, comme ici le recueil des témoignages de cette mémoire vivante et douloureuse. Cependant, la fragmentation politique de l’espace français fait regretter que ces collectivités locales ne se regroupent pas dans ce type d’études : pourquoi ici ne pas collaborer avec le département des Bouches du Rhône qui a connu lui aussi la présence de ces travailleurs venus d’Indochine ? Il est d’ailleurs à noter que les différents travaux consacrés à Marseille et les Indochinois sont totalement absents de la bibliographie ?

Au final, un ouvrage qui contribue à enrichir la notion du patrimoine que les enseignants doivent aujourd’hui enseigner, notamment pour les Terminales ou les options Histoire des arts, mais aussi permet de continuer à développer la réflexion sur l’héritage colonial et la manière dont la France a géré (ou pas…) les relations avec ceux qui étaient appelés les indigènes.
Le site suivant permet de suivre l’avancée de cette histoire en train de se faire, avec l’espoir de construire des ponts entre France et Vietnam : www.travailleurs-indochinois.org

Isabelle Debilly@clionautes