Celle que j’ai laissée est un très beau recueil de témoignages de jeunes mineurs isolés étrangers (MIE), réalisé au profit de l’association Les Midis du MIE et réunis par Marie-Françoise Colombani et Clarisse Quillet.
Marie-Françoise Colombani explique avoir « voulu faire parler des jeunes migrants en évitant les chiffres, les statistiques, les témoignages effrayants sur ce qu’ils subissent en Libye et les récits terribles de leur voyage jusqu’à nous ».
Tous les adolescents qui ont ainsi accepté de témoigner évoque leur attachement à leur mère, leur grand-mère, l’amour d’un père trop vite parti ou les regrets d’avoir laissé leurs frères et sœurs.
Leur immense courage face à des violences de tous types, la guerre, les menaces, les mariages forcés et l’absence de perspectives, est relaté avec une grande pudeur, tous comme leurs espoirs et leurs bonheurs d’avoir pu trouver en France, pour certains d’entre eux, un accueil et une formation leur offrant en avenir.
Ali, originaire de Guinée, témoigne ainsi : « quand je suis parti, ma mère ne savait rien. Elle demandait à tous mes amis où j’étais. Je ne l’ai pas appelée, elle m’aurait trop découragé et aurait voulu que je revienne. Après le Mali, je suis allé en Algérie. C’était très dur. Je faisais de la maçonnerie, de la peinture, je travaillais dans le bâtiment. J’ai gagné un peu de sous pour pouvoir aller au Maroc. Je regrettais ma maman mais j’ai été soutenu par un ami, Mohamed, qui m’a montré comment travailler : « Un jour, c’est toi qui aideras ta famille, prends du courage ». Quand je suis arrivé au Maroc, je n’avais plus rien. J’ai appelé ma mère. Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas m’aider, que la vie était terrible pour elle. Je suis resté caché cinq ou six mois dans une grande forêt au Maroc avec beaucoup de migrants. Comme je n’avais pas d’argent pour faire la traversée en zodiac, j’ai décidé de grimper sur les grillages entre le Maroc et l’Espagne. On était 600 et beaucoup ont réussi à passer dans la ville espagnole de Ceuta malgré les chiens et la garde civile. Comme j’étais blessé, j’ai beaucoup de cicatrices aux jambes, on m’a fait monter dans une ambulance avec des personnes qui avaient des bras ou des pieds cassés. Je suis resté dans un camp pour mineurs pendant plusieurs mois, puis on m’a donné un laissez-passer et je suis arrivé à Chambéry, en France ».
Grégoire Masson