La collection Géopolitique propose un nouvel opus consacré à des espaces à la fois immenses et souvent générateurs de fantasmes et d’idées reçues : les pôles. L’ouvrage est composé de cinq parties, chacune structurée autour de plusieurs chapitres. Dès l’introduction les auteurs précisent bien que « les changements climatiques font miroiter l’avènement de routes commerciales rapides et la découverte de ressources abondantes ». Cependant, la réalité est beaucoup plus nuancée que cela comme le prouve ce livre. L’ouvrage comprend un certain nombre de cartes.
Les pôles des régions attractives ?
Il faut d’abord mesurer le fait que le changement climatique est beaucoup plus fort aux pôles que partout ailleurs sur la planète. Il est nécessaire aussi de ne pas tout confondre : d’un côté l’Arctique où demeure une banquise permanente ce qui n’est pas le cas de l’Antarctique. Ces bouleversements ont forcément des conséquences sur les populations. Les pôles demeurent des laboratoires uniques pour les chercheurs comme le montre le traité sur l’Antarctique de 1991. Quant aux ressources présentes, il faut retenir qu’elles sont réelles mais sans doute mesurées.
Dans l’Arctique, l’exploitation est déjà ancienne si on pense au nickel à Norilsk. Cet espace recèlerait beaucoup de gaz mais moins de pétrole. Il y a également les ressources halieutiques. Pour l’Antarctique, l’exploitation est pour l’instant interdite. S’il y a bien des ressources, il y a bien aussi des fantasmes. La fonte de la banquise, et donc une ouverture relative d’accès, ravive et alimente cette idée.
Vers une appropriation des espaces polaires ?
Les auteurs pointent le fait que les médias adorent parler d’une course à la prise de contrôle de la part des Etats arctiques. Ils sont très critiques sur cette image de « Far west polaire » et le prouvent. Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler ce que dit le droit de la mer et comment il définit donc une partie des zones polaires. Parmi les points néanmoins de discussion et de polémique, il y a la question du plateau continental qui peut être plus ou moins étendu et donc peser sur la superficie contrôlée par tel ou tel pays.
Dans l’Antarctique, les revendications territoriales sont multiples mais gelées. Le traité actuel dit que les Etats peuvent avoir une conception territoriale de l’Arctique différente. Bref, et comme le disent bien les auteurs, le problème est plus évacué que résolu. Peut-on néanmoins parler de course à l’appropriation ? Il faut mesurer qu’un évènement ne fait pas une tendance. L’évènement, c’est ce drapeau russe planté au pôle Nord en 2007. La tendance est toute autre. Les choses se résolvent par la discussion et la négociation comme le montre le cas de l’Islande qui a obtenu satisfaction. On a également beaucoup plus tendance à parler des ambitions russes que danoises, ce qui montre que la géopolitique s’en mêle. Bref, l’Arctique est un océan bordé de territoires. L’Antarctique est un continent objet de revendications territoriales que les Etats concernés ont accepté de suspendre.
La gouvernance des pôles, marquée par la coopération
Un traité international régit les ambitions et la coopération internationale en Antarctique. Les réunions consultatives au Traité sur l’Antarctique, ou RCTA, sont au centre de la gouvernance des activités menées dans la région australe. Les auteurs expliquent la composition et les mécanismes de cette structure qui prouve, en tout cas, que c’est la coopération qui prime. Les RCTA s’ouvrent à des observateurs. Le Secrétariat du Traité est un organe technique subordonné à la RCTA qui nomme le secrétaire exécutif pour quatre ans. En Arctique, les Etats de la région ont mis en place un forum, le Conseil de l’Arctique. Il rassemble les huit Etats possédant des territoires au nord du cercle polaire, mais aussi des représentants des six organisations de peuples autochtones en tant que participants permanents.
Il accueille également des observateurs, que ce soient des Etats, des organisations internationales ou non gouvernementales. Dans ce conseil, la coopération porte sur les questions scientifiques et techniques. Les auteurs expliquent ensuite la protection environnementale en Arctique. Il est indispensable de tenir compte des populations locales car sinon celles-ci perçoivent les volontés de protection, par exemple de l’Union européenne, comme une volonté de mettre sous cloche leur région.
La gestion des activités humaines
Frédéric Lasserre, Anne Choquet et Camille Escudé-Joffres plaident pour un encadrement réglementaire pour limiter les risques environnementaux et humains. Ce qui est manifeste, c’est que l’exploitation des ressources est une activité diversement encadrée. En 2019, les Etats ont réaffirmé leur engagement à interdire toute activité liée aux ressources minérales autres que la recherche scientifique en Antarctique. En Arctique, la situation est bien différente. Rappelons que l’extraction minérale s’y déroule depuis la fin du XIX ème siècle. Cependant, il existe deux contraintes majeures : le transport et les cours mondiaux. En 2008, une cinquantaine de projets d’exploration minière étaient actifs au Canada : il n’en reste aujourd’hui qu’une quinzaine.
Du côté de la navigation, elle est certes en expansion mais il faudrait bannir le terme d’autoroute maritime qui biaise la réalité. Le trafic qui augmente est celui de destination et pas celui de transit. Cela signifie que les navires viennent dans cette zone pour ce qu’elle est et pas pour gagner du temps ou réorganiser leur circuit. Un autre argument est essentiel : dans le domaine du conteneur, c’est le règne du juste à temps et pas question de prendre un risque pour le temps de transit. Or, il est difficile de prévoir la fonte estivale ! Les auteurs consacrent un chapitre au tourisme polaire. Si les chiffres restent modestes, il est impératif d’aller tout de suite vers un tourisme responsable. Il est nécessaire de limiter les risques liés à la navigation en mettant en place un code polaire qui englobe tous les types de navires.
Des territoires sources de nouvelles tensions ?
Les auteurs appuient de nouveau pour dire que les scénarios catastrophes de conflits sont peu probables. Sur quoi pourraient-ils porter : l’appropriation de ressources économiques, la course à l’extension des plateaux continentaux, le débordement d’un conflit ailleurs sur le globe ? Tout ceci semble peu probable. Certains pointent une remilitarisation de l’Arctique alors qu’il s’agit plutôt d’un réinvestissement de bases militaires laissées à l’abandon dans les années 90. Les tensions pourraient plutôt venir d’ailleurs : l’échéance du protocole de Madrid, l’exploitation économique des ressources minérales et la revendication des espaces maritimes dans l’océan austral. Les auteurs pointent pour finir l’intérêt croissant des pays asiatiques en soulignant qu’aucun Etat de cette zone n’a « articulé de discours justifiant un intérêt politique fort pour les pôles avant 2007 », année du planter de drapeau russe.
En conclusion, Frédéric Lasserre, Anne Choquet et Camille Escudé-Joffres soulignent que s’il y avait volonté d’exploiter des ressources, 95 % d’entre elles se trouvent de toute façon à l’intérieur des ZEE que personne ne conteste. La coopération est déjà une réalité dans cette zone du globe, ce qui n’incite pas à penser à un brusque durcissement. Il faut reconnaitre à cet ouvrage sa très grande clarté et surtout sa volonté de faire la part des choses sur certaines images médiatiques. En ce sens, il est très utile et très bien documenté.
Jean-Pierre Costille