Retour sur une féministe oubliée
Hélène Frouard est historienne et journaliste, elle publie un ouvrage sur une femme née en Guadeloupe, sage-femme, féministe qui fut à l’origine du premier centre de planning familial outre-mer et participa activement au mouvement « Choisir la cause des femmes » (animé en particulier par Gisèle Halimi). Jacquelin Manicom n’est pas une militante « ordinaire », au sens où l’entendent les historiens et les politistes, puisqu’elle a témoigné avec force lors du procès de Bobigny, a publié des romans et fut interviewée à plusieurs reprises par des médias. Mais moins célèbre et moins dotée en capital culturel, elle est restée au second plan et est un peu oubliée de nos jours. D’autant plus peut-être, qu’issue des Antilles, elle vivait avec douleur le regard de nombre de ses contemporains sur sa couleur de peau. Autant d‘éléments qui font l’intérêt de l’ouvrage.
Devenir une féministe… noire
J. Manicom est née en 1935 à la Guadeloupe dans une île fortement marquée par les inégalités raciales et sociales ainsi que par les multiples oppressions subies par les femmes. Ainsi, elle doit une première fois interrompre sa scolarité pour seconder sa mère et elle voit celle-ci, fatiguée, multiplier les naissances. D’où une politique de restriction des naissances défendue par les pouvoirs publics dans les Antilles alors qu’avant 1967 la pilule était interdite dans l’Hexagone. La jeune femme reprend des études de sage-femme à la Martinique puis part occuper un poste à Paris en 1958. Le travail, la liberté, l’amour… la vie semble lui sourire. Mais très vite, bien que les deux amants travaillent dans le milieu médical, Jacqueline attend un enfant. Or, le père est un médecin, issu de la bourgeoisie, dont la famille n’imagine pas qu’il puisse vivre avec une femme noire. Une solution, si l’on peut dire, est trouvée : un mariage civil est prononcé mais le divorce intervient un an après en 1960. Jacqueline, humiliée, retourne un temps en Guadeloupe. Elle participera avec des militants communistes à la création d’un centre du planning familial sur l’île. Pour elle, la maternité doit être un choix conscient. Elle retourne en France avec son nouveau compagnon, un « métro » militant marxiste, et donne naissance à un deuxième enfant.
Un vif sentiment d’illégitimité
Jacqueline est née, nous l’avons vu, en Guadeloupe, dans un milieu pauvre, elle est noire de peau et perçoit parfois avec douleur le regard des autres. Elle a été au lycée jusqu’au bac mais n’a pas pu continuer les études pour être médecin. Par ailleurs, elle est issue d’un milieu dans lequel il n’y avait pas de livres. Or, elle veut écrire, rendre compte de sa vie, de son expérience et ce n’est qu’après plusieurs tentatives que son premier roman est enfin accepté par un éditeur. En outre, dans les cercles militants auxquels elle participe pour la liberté de la contraception et de l’avortement, elle est amenée à fréquenter des femmes au capital culturel plus élevé, pas forcément hostiles et dont certaines tissent des liens avec elle. Mais tout cela a pu aiguiser un malaise présent depuis des années et probablement accru du fait de difficultés conjugales. Elle met fin à ses jours, à 41 ans, en 1976.
L’intérêt de l’ouvrage est de présenter une figure de militante féministe issue des Antilles prouvant ainsi que les questions posées par ces femmes ne sont pas réservées à des intellectuelles parisiennes.