Des anarchistes aux « femmes de révolution » ?
Constance Bantman enseigne en Grande-Bretagne à l’Université du Surrey. Ses recherches portent sur l’histoire du mouvement anarchiste. Elle a notamment publié The French Anarchists in London, 1880-1914: Exile and Transnationalism in First Globalisation (2013) et, en français, Un premier exil libertaire: Les anarchistes français à Londres, 1880-1914 (Libertalia, 2024). Son dernier ouvrage porte encore sur des personnalités et des collectifs militants mais « raconte une histoire des révolutions au prisme du féminin » de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. Prisme féminin et féministe précise-t-elle d’ailleurs dès les premières pages d’un ouvrage efficace, utile et à la langue claire.
« Penser les révolutions au féminin »
L’autrice entend revisiter l’histoire des grandes « secousses révolutionnaires » mais aussi celle de mouvements sociaux importants qui « expriment une demande de changement radical » et amènent ces militantes à recourir à des actions illégales. Pour ce faire, elle se propose de mettre en lumière des femmes qui y ont pris une part active, et il y en eut toujours. Cependant, elles ont souvent été ensuite invisibilisées. Pour elle, quatre « fils rouges lient ces histoires d’activisme »On notera que l’autrice a recours dans le livre à l’expression « activisme » là où nous utiliserions plus volontiers « militantisme ».. Le premier d’entre eux est la question du recours à la violence, utilisée parfois par certaines des militantes étudiées (en Algérie, en Inde). Et ce à l’encontre de stéréotypes largement répandus. Le deuxième renvoie au combat mené par nombre d’entre elles en faveur de droits fondamentaux (liberté, accès à la citoyenneté…). Autre fil rouge défendu par nombre de ces femmes : la volonté de disposer librement de leur corps et la lutte contre les violences faites aux femmes. Enfin, beaucoup d’entre elles ont pris conscience de l’imbrication des formes d’oppression subies et défendent la nécessité d’unir les luttes pour y mettre fin (c’est l’« intersectionnalité »). Tel est le cadre général dans lequel s’insèrent les portraits de militantes présentés par C. Bantman dans une introduction vigoureuse.
De Théroigne à Ni una menos, le combat continue
En seize portraits de huit à dix pages chacun, l’autrice montre la permanence des combats des femmes depuis plus de deux siècles. Elle nous fait voyager de l’Europe (avec huit activistes) à l’Amérique du Nord (quatre portraits) mais aussi en Afrique (une activiste présentée), en Asie (deux militantes sont citées) et en Amérique latine (une seule). L’Europe est toujours surreprésentée mais un pas est fait pour présenter des femmes d’autres continents. Par ailleurs, elle ne cède pas à l’héroïsation et à la personnalisation des militantes rappelant qu’elles se sont toujours insérées dans des mouvements collectifs. D’où la présence de portraits de groupes : les 343 françaises en défense de la liberté de l’avortement, Ni una menos (contre les viols en Argentine), les Mujeres libres, Claudette Colvin qui avant Rosa Parks refusa de cèder sa place à un blanc dans un bus de Montgomery. Des personnalités et des collectifs connus, d’autres beaucoup moins et autant l’avouer nous n’avions jamais entendu parler de Qiu Jin, « poétesse et guerrière » chinoise du début du XXe siècle.
Un court ouvrage bien construit, efficace, qui se lit avec plaisir. La brièveté des portraits n’empêche pas leur intérêt et peut être un atout pour certains élèves. De ce fait, il pourrait être largement utilisé par des élèves et mérite d’avoir une place dans tous les CDI.