Avec son entrée au Panthéon, certains ont peut être redécouvert la figure de Jean Zay. Plutôt qu’une biographie, Antoine Prost et Pascal Ory, historiens bien connus, ont choisi de présenter l’oeuvre de celui qui a été assassiné en 1944 par la Milice. Cet ouvrage fait la part belle aux archives avec beaucoup de documents, manière finalement d’incarner et de mieux connaitre cette figure majeure de notre histoire.

Avec Jean Zay, on se trouve face à une personnalité qui tranchait avec le personnel politique de l’époque, que ce soit en terme de jeunesse ou de modernité des idées. L’ouvrage est organisé en quatre parties d’inégale longueur et commence classiquement par dérouler sa vie avant qu’il soit connu.

Un contexte familial très politique

Sans surdéterminer les itinéraires, les auteurs rappellent dans quel contexte intellectuel et politique a baigné Jean Zay. Il « grandit au sein de ces combats d’une gauche radicale et dreyfusarde ». Son père tenait un journal, ce que le jeune Jean fera aussi pendant la Première Guerre mondiale. C’est aussi un homme de culture qui devient avocat. Dans ses années de jeunesse, il publie un texte qui s’en prend violemment à la guerre et qui lui sera reproché tout au long de sa vie et et même plus tard. Il parvient néanmoins à des responsabilités politiques, même si c’est d’abord comme simple sous-secrétaire d’État en janvier 1936.

Un homme atypique

On pourra relever à plusieurs reprises dans l’ouvrage que Jean Zay est un personnage assez atypique. Ainsi, il manifeste peu d’attachement à la politique locale. Atypique aussi sa façon de poser en maillot de bain avec sa fille dans les bras dans les journaux d’époque. Citons aussi le fait qu’une fois ministre de l’Education, il choisit d’expérimenter une réforme avant de la généraliser, méthode tout à fait novatrice alors. Il invente également les stages de formation longs et rémunérés pour les enseignants. Les auteurs cherchent aussi à pointer ce qui fit le succès de Jean Zay. Ils distinguent quatre éléments, à savoir son intelligence, sa capacité d’orateur, le fait qu’il était un grand travailleur méthodique et enfin sa capacité à savoir s’entourer.

Une empreinte sur l’Education nationale

Antoine Prost et Pascal Ory rappellent d’abord ce qu’est le ministère de l’Education nationale en 1936, histoire de ne pas projeter nos images contemporaines dessus. En effet, ce n’est pas à l’époque un ministère de première importance. Il y a moins de 15 000 professeurs pour le secondaire et le privé est indépendant. Le principal problème à résoudre alors est d’engager la démocratisation de l’enseignement. Il est favorable à des contenus d’enseignement novateurs qui se proposent de partir de la vie quotidienne pour aborder des thèmes comme le crédit, les vaccins…. Il souhaite également mettre l’accent sur le sport, mais cela s’inscrit dans un projet global qui est de forger des personnes éduquées, autonomes et solidaires. On comprend mieux pourquoi c’est souvent le terme d’humaniste que ses partisans ont pu apposer à Jean Zay. Il disait aussi que le professeur ne doit pas être un conférencier et il était pour faire confiance aux acteurs sur le terrain. Mesure forte que l’on retient de son passage au ministère : la scolarité obligatoire est portée de 13 à 14 ans.

Démocratiser la culture

Il ne faudrait pas réduire Jean Zay uniquement à la question de l’Education nationale car dans son portefeuille il s’occupe aussi des beaux arts. Il met en place une politique d’Etat de commande systématique d’oeuvres musicales, indépendamment des commandes exceptionnelles. Le souci qu’il manifeste pour l’art, c’est aussi donc celui de démocratiser la culture à un moment où elle était très élitiste. Néanmoins, il faut relever que de nombreux intérêts se sont dressés contre Jean Zay et que son bilan apparait davantage en demi-teinte dans ce domaine. Pourtant, si l’on déplace l’échelle de temps, les auteurs pointent que les trois grandes initiatives de l’après-guerre encore structurantes aujourd’hui sont déjà là : la décentralisation théâtrale, la lecture publique et les maisons des jeunes et de la culture.

La fin tragique

Mais Jean Zay, c’est aussi un destin tragique, broyé par le second conflit mondial. Il faut rappeler qu’il aurait pu conserver sa position d’homme politique au moment de la guerre, mais il a choisi de rejoindre l’armée. Dans ses lettres écrites alors, on peut relever qu’il manifeste une certaine désillusion quant à la vie politique. Il est consterné par le détricotage d’une réforme par le ministre qui lui succède et aussi par une vie politique qu’il juge pas toujours à la hauteur des enjeux de l’heure. S’embarquant sur le Massilia, il est arrêté à son arrivée à Casablanca, transféré en France. Il devient en fait l’objet de la vengeance de Vichy car il incarne l’esprit du Front Populaire. Emprisonné à Riom, il écrit alors beaucoup et son ouvrage « Souvenirs et solitude » sera publié en 1946. Il reçoit en prison sa femme et ses enfants et finalement est abattu par la Milice en 1944.

La mémoire de Jean Zay

Dans ce dernier chapitre, les auteurs s’interrogent sur la mémoire de Jean Zay. On a d’abord retrouvé sa dépouille et ils pointent aussi pourquoi le personnage est pendant longtemps resté dans l’ombre après sa mort. Tout d’abord, et malgré ses fonctions nationales, sa mémoire est restée locale et amicale. Ce sont surtout les conditions mêmes de l’après guerre qui expliquent cet oubli. Entre la mémoire gaulliste et la mémoire communiste, difficile de se glisser pour faire entendre une autre voix de la Résistance. Pourtant quatre facteurs vont modifier cet oubli : le militantisme de sa femme et de ses filles, la centralité croissante de la Shoah dans la mémoire collective, un militantisme pédagogique et enfin le changement de climat politique avec une moindre domination des mémoires gaulliennes et communistes. On pourra utiliser pleinement cet exemple dans le cadre du chapitre sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, car il montre bien les évolutions de la vision et de la connaissance d’un personnage selon les époques.

Cet ouvrage permet donc de découvrir, ou de redécouvrir, cette figure au moment où elle entre au Panthéon. Les nombreux documents permettent d’avoir une approche qui ne soit pas trop solennelle. Jean Zay écrivait ainsi en octobre 1940 : «  Dites-moi seulement que vous m’attendez avec la certitude de me revoir bientôt parce que cette certitude est inscrite dans le Destin, qu’elle est dûe à l’honneur de ma Patrie, à l’honneur de la Justice, dans laquelle je crois toujours. »

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.