Olivier Faure nous propose, avec sa dernière publication une biographie d’un médecin lyonnais sorti des mémoires, Fleury Imbert. Il est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Lyon III, et membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA) et spécialiste de l’histoire de la médecine dont la bibliographie est incontournable sur le sujet.

Un chirurgien-accoucheur et professeur de l’école de médecine de Lyon sorti du purgatoire

En guise d’introduction, Olivier Faure nous propose de nous projeter le sens des indices le 27 décembre 1851 à Loyasse, dans la ville de Lyon, assister aux funérailles de Fleury Imbert auxquelles les plus éminents médecins de la région participent. Pourtant, malgré les hommages rendus, très rapidement Imbert pourtant considéré comme un grand notable médical, retombe dans l’oubli au point que la ville de Lyon n’eut jamais l’idée d’accorder son nom à la moindre rue ou impasse. Seuls quelques rares articles en particulier celui de Jean Lacassagne publié en 1957 le tire à l’occasion de l’oubli. Ce n’est que très récemment que ce médecin, comme le souligne Olivier Faure : « est sorti du purgatoire » car au-delà de ses fonctions médicales il fut avant tout fouriériste, phrénologue et un anthropologue du début du XIXe siècle. C’est ici que Olivier Faure explique sa démarche en proposant au lecteur cette biographie : faut-il considérer le corps médical comme un bloc éventuellement composé de groupes différents, ou bien comme étant un regroupement d’individus singuliers ? En tant qu’historien de la médecine il estime que : « la biographie est l’un des meilleurs moyens de pénétrer profondément au cœur du fonctionnement social ». C’est en ce sens que depuis quelques années les biographies de médecins se multiplient de la part des historiens spécialistes du milieu médical et c’est dans ce sillage qu’Olivier Faure se situe avec la volonté « de donner le plus possible la parole à Fleury Imbert et d’autant plus que ses écrits sont peu connus, peu accessibles et pour certains potentiellement menacés » (page 17).

C’est ainsi qu’en neuf chapitres et environ 200 pages, Olivier Faure se propose de tracer la biographie de ce médecin tombé dans l’oubli. L’ouvrage peut être divisé en deux parties : les quatre premiers chapitres se concentrent sur ses origines et sa carrière, tandis que les chapitres suivants s’intéressent à sa pensée et son profil politique.

Le chapitre un commence logiquement, par retracer les origines de Fleury Imbert, né à Lyon le 24 décembre 1795 dans un milieu de la bourgeoisie commerçante. Son père Antoine issu d’un milieu marqué par la misère, meurt à l’âge de 44 ans alors que son fils a une dizaine d’années. Deux ans plus tard sa mère meurt à la suite d’un accouchement. Fleury est alors confié à un oncle maternel, Antoine Villard, un ferblantier qui fut pour lui un père de substitution et à qui il fut visiblement très attaché, et qui a l’habitude de fréquenter les médecins lyonnais, ce qui facilita très certainement les études de son neveu. Intellectuellement doué, Fleury Imbert fit probablement des études au lycée de la ville où il passa avec succès les deux baccalauréats ès-lettres et ès-sciences avant de se diriger vers les études médicales. Etudiant à Paris de Jean-Marie Allibert, médecin consultant de Louis XVIII, Imbert soutient une thèse le 28 juillet 1819 intitulé Essai sur l’histoire de la médecine et des médecins à Lyon depuis la fondation de cette ville jusqu’au XVIe siècle. Dans un premier temps, tout comme ses confrères, il exerce en clientèle, en tant que médecin de quartier et travaille au Dispensaire général de Lyon dont il fut l’administrateur en 1846.  L’auteur analyse ce que peuvent révéler ses différents déménagements, évoque ses relations avec sa famille, et son mariage le 17 avril 1833 avec Marie-Anne Barbé veuve de François Joseph Gall, fondateur de la phrénologie, même s’il est difficile de déterminer là aussi les motivations de ce mariage : par intérêt ? Par amour ? Ce sont tous les angles morts d’une biographie qu’Olivier Faure explore aussi à travers son sujet, rappelant par-là même que l’histoire sociale est aussi un puzzle aux pièces manquantes (ici son portrait physique) avec lesquelles l’historien doit composer.

Imbert décède de maladie le 25 décembre 1851 au lendemain de son 56e anniversaire.

Le chapitre deux se consacre à son activité en tant que médecin à l’Hôtel-Dieu, Imbert ayant compris comme beaucoup de médecins de sa génération que la médecine devait être fondée sur l’observation au lit du malade (la médecine clinique) et que l’activité en milieu hospitalier était nécessaire pour se former, fonder sa pratique et effectuer des recherches. Ayant fait à ce titre de l’hôpital son lieu de prédilection, il met cependant plusieurs années à obtenir une place de médecin-chef à l’Hôtel-Dieu de Lyon et ce, après avoir occupé des fonctions de chirurgien-major à la Charité. C’est l’occasion pour Olivier Faure de nous décrire le milieu hospitalier lyonnais de la première moitié du XIXe siècle et son mode de fonctionnement pour mieux resituer la place et le rôle de son objet d’étude qui, malgré les déceptions nombreuses, ne se décourage pas pour occuper un poste dans l’établissement visé.

En parallèle, Imbert développe sa réflexion sur le rôle des hôpitaux dans la médecine. Elle est développée en particulier à travers un discours prononcé le 27 août 1830 devant l’administration des hospices civils de Lyon. Imbert y mentionne les qualités nécessaires au médecin observateur chez qui se doit de conjuguer finesse, décence, patience et attention sans oublier une nécessaire connaissance précise de la médecine.

De l’hospice de la Charité à l’hôtel-Dieu

Le chapitre trois quant à lui revient sur son expérience antérieure en tant que chirurgien-major de l’hospice de la Charité, fonction qu’il occupe de septembre 1830 à août 1836. Une nouvelle fois, l’auteur nous décrit un milieu très conservateur (le célibat exigé des médecins, fortement contesté) par son système de nomination, les concours et les épreuves à passer dont il triomphe (et pourtant Imbert n’était visiblement pas le candidat que la Charité souhaitait voir arriver premier du concours), la précarité du cadre de vie des chirurgiens-majors, les tensions et des petits arrangements sont un véritable témoignage des conflits médicaux agitant le milieu à Lyon comme ailleurs, conflits opposant en particulier les vitalistes aux matérialistes. C’est ainsi qu’Olivier Faure s’écarte de son sujet pour évoquer le destin d’un autre médecin, Nichet, un vitaliste revendiqué qui succéda à Imbert en août 1836. L’administration des hospices civils de Lyon reste comme le qualifie Olivier Faure une forteresse conservatrice fort jalouse de ses prérogatives et ce, malgré les changements observés en 1830. En s’appuyant sur une lettre de Richard de Nancy datée du 5 décembre 1827 Olivier Faure parvient à reconstituer la journée type du chirurgien-major tel qu’Imbert l’a connu, ce qui permet d’aborder un fonctionnement situé à la charnière de deux époques entre une administration restée sous l’Ancien Régime et de jeunes médecins porteurs des idées nouvelles et progressistes dont Imbert fait partie.

Le chapitre quatre revient sur l’une des fonctions hospitalières qu’occupa Fleury Imbert. En effet, même si la fusion des fonctions hospitalières et universitaires date officiellement de 1958, dès le XIXe siècle des professeurs de clinique disposaient pour l’enseignement de services dans les hôpitaux et, parmi eux, les chirurgiens-majors des hospices civils de Lyon furent parmi les premiers à associer des fonctions hospitalières et des tâches d’enseignement universitaire. Au premier rang se trouve le chirurgien major chargé de la fonction de professeur d’accouchement des maladies de femmes et d’enfants dans la mesure où ainsi, il participe à la lutte contre la mortalité infantile considérée comme centrale, et, en parallèle à la formation des futurs médecins et des sages-femmes. C’est dans ce cas que Fleury Imbert fut autant chercheur que praticien en étant confronté à des patientes aux pathologies diverses notamment la fièvre puerpérale qui pouvait emporter selon les cas entre 5 et 20% des accouchées des hôpitaux le taux pouvant monter à 70 % en cas d’épidémie. Or, Fleury Imbert, qui pensait sans doute au décès de sa mère, fut à la fois un observateur précis de la maladie mais aussi se pencha très sérieusement sur les moyens de la combattre et les méthodes thérapeutiques diverses possibles.

Mais opérer suscite la méfiance à l’époque, et ne doit se faire qu’après avoir reçu l’aval et le consentement de l’administrateur de l’intérieur et des médecins et anciens chirurgiens-majors de Lyon ! Olivier Faure nous montre par le menu et grâce aux diverses archives consultées la difficulté d’opérer à l’époque par des cas concrets pratiques de femmes enceintes sur lesquels une césarienne de la dernière chance tentée en vain, ou encore le cas d’un vieillard atteint d’une hernie. Le service des enfants est aussi le lieu où il peut observer des cas d’enfants lourdement handicapés physiquement atteints de malformations diverses. Mais, de ces opérations spectaculaires mais rares qui, à la lecture, ressemblent à de véritables scènes de boucherie, il faut bien souligner que, en parallèle, Imbert fut aussi un accoucheur expérimenté qui développa une théorie en opposition avec les pratiques classiques reposants essentiellement sur l’observation du bassin de la future mère alors qu’Imbert justement donne plutôt la priorité aux parties molles ce qui permet de mettre au point un certain nombre d’objets considérés comme un vrai progrès à l’époque.

Phrénologue, fouriériste et croyant

Le chapitre cinq ouvre quant à lui une nouvelle partie de l’ouvrage consacrée aux engagements politiques et intellectuels de Fleury Imbert. Intitulé « un homme de progrès », ce chapitre cherche à examiner l’état d’esprit du médecin en matière politique et sociale. Même s’il ne fut pas un militant, Imbert participe à la création de la Réunion philomatique médicale composée d’un petit groupe d’amis parmi lesquels se trouvait Bottex, Dupasquier ou encore Philidor Faure, tous amis très proches d’Imbert. Olivier Faure nous apprend également qu’il y eut le projet d’un journal de médecine étrangère dont la connaissance reste un angle mort de sa recherche.

Ses autres engagements locaux le connectent au mouvement très large du premier hygiénisme lorsqu’il est nommé membre du Conseil de salubrité en 1839. En 1838 il est nommé par le préfet membre de la commission chargée d’examiner la composition et les propriétés de l’eau des sources situées sur le plateau de la Dombes. Son rapport, remis le 5 septembre 1839 fut particulièrement remarqué. C’est à la suite de ce dernier qu’il remplaça Victor Lucien Cartier au Conseil de salubrité. Mais ce conseil était aussi largement « le cimetière des anciennes gloires » les postes étant certes gratuits mais ne demandant que peu de travail ce qui ne permet pas de saisir l’activité d’Imbert au sein de ce conseil. Plus intéressantes, ce sont les interférences entre médecine et politique chez Imbert qu’Olivier Faure aborde, le médecin penchant plutôt vers la gauche comme beaucoup de jeunes médecins de son temps. Il assimile en effet la bonne médecine aux partis progressifs et se montre relativement sans pitié voire cruel pour l’opposition. Enthousiasmé par les Trois Glorieuses, il se rallie à la Monarchie de juillet tout en déplorant pourtant l’épuration de sa profession fut l’objet lorsque de nombreux professeurs de médecine refusèrent de prêter serment au nouveau régime. Très critique vis-à-vis de l’Académie de médecine à laquelle il reproche son conservatisme, Imbert est un farouche défenseur de la ville de Lyon, opposée à la centralisation et à Paris.

Enfin son engagement social est profond et, au-delà d’une plume montrant sa sensibilité aux problèmes du temps et en particulier au sort des enfants pauvres, il ne cède en rien à l’angélisme cherchant activement des solutions pour remédier à la pauvreté mais aussi à la criminalité et à sa répression, réfléchissant aussi aux relations entre population et subsistance. Plus originale est son opposition à la peine de mort à l’époque, car selon Imbert, elle ne remplit aucune de ses fonctions autoproclamées. Loin de céder à la fascination pour son sujet (un travers parfois lisible dans les biographies) Olivier Faure est conscient de certains défauts de son objet d’étude telle que sa méconnaissance du système de mise en nourrice à la campagne qu’il assimile à des « terres de barbarie », loin des réalités de terrain qu’il ignore et qu’Olivier Faure rappelle. Néanmoins cela n’empêche pas Imbert de formuler des propositions comme par exemple l’installation de crèches dans les campagnes mais près de la ville, ayant à sa tête une femme « de tête et de cœur » et répondant aux dernières normes en matière d’hygiène. Mais son combat fut aussi celui en faveur d’une éducation collective, un des piliers, justement, de la doctrine fouriériste dont il est très proche.

Le chapitre six quant à lui s’attarde sur ses activités liées à la phrénologie, Imbert se présentant souvent comme un disciple de Le Gall. Ces travaux ainsi que sa volonté de la diffuser auprès d’un public cultivé sont analysés ainsi que son esprit inventif et critique sur sa propre discipline. Pour lui la phrénologie est avant toute une partie de la physiologie permettant de retirer des conséquences philosophiques. C’est à ce titre que la question de l’étude du masque de Napoléon est intégrée à ce chapitre comme exemple d’approche de la discipline mais aussi de débats parfois intenses entre les spécialistes. Loin d’être un phrénologiste ordinaire, Imbert, très croyant, donne une place centrale, à la religion dans son approche de la phrénologie, ce qui montre combien au final le personnage demeure complexe.

Le chapitre sept consacré au « mythe du leader fouriériste », au caractère singulier, et à la manière dont Fleury Imbert, saint-simonien au départ adhéra à cette idéologie grâce à Jules Lechevalier. Mais Imbert devient un fouriériste à l’engagement très intermittent (page 147). Le chapitre huit « le grand projet : la physiologie de l’homme » débute sur une remarque transitoire mettant en valeur la personnalité d’Imbert : s’il ce dernier ne s’est pas engagé complètement dans le fouriérisme c’est avant tout parce qu’il ne se limitait pas à rester un disciple mais « qu’il aspirait au rang de prophète ». Ces différents écrits et en particulier le discours qu’il consacra à la Nécessité d’une théorie en médecine permet de voir son approche très critique de la médecine de son époque avec cette volonté de la faire progresser. C’est avec cette volonté qu’il élabore, non sans contradictions une théorie médicale, reçue avec scepticisme, basée sur le rôle central du système nerveux qu’Olivier Faure nous présente. Le chapitre neuf intitulé « une grande ambition : la physiologie de l’histoire » prolonge le chapitre précédent en se centrant sur un autre thème cher à Imbert : l’histoire. S’opposant au traitement de la Révolution par Adolphe Thiers, rejetant l’histoire factuelle, redoutant l’anachronisme et se propose de faire passer l’histoire de l’Académie française à l’Académie des sciences (page 183). A partir de 1837, il propose cinq étapes dans l’histoire de l’évolution humaine, mêlant phrénologie et estimant que l’âge d’or de l’Humanité est encore à venir.

Avec la biographie de ce personnage peu écouté de son vivant, Olivier Faure réussit le tour de force à lui donner une audience et à susciter la curiosité. Il démontre ainsi que l’Histoire est faite aussi de personnages tels que Fleury Imbert et nous incite quelquepart à nous interroger sur ceux qui sont peu écoutés, une fois le livre refermé …