Nous avons maintenant un long témoignage largement autobiographique sur la Libye et la Syrie de l’époque (Kadhafi jeune, Hafez al-Assad), leur société et même leur école, et un jeu de miroirs entre Orient et Occident. Pour tous les âges, pédagogie et documentation en prime.
J’ai pensé aux Clionautes en voyant la description du primaire syrien, de ses méthodes pédagogiques (musclées) et de ses programmes (pas très laïques, malgré le qualificatif en usage pour la dynastie Assad), que je vous laisse découvrir.
Par ailleurs il s’agit d’une bonne description géohistorique. Les quelques commentaires historiques glissés par auteur sont pertinents, et les commentaires géographiques évitent de possibles généralisation : le village syrien sunnite n’est pas la grande ville (Homs), qui n’est pas non plus la ville alaouite privilégiée par le régime (Lattaquié) ; un général n’est pas un paysan etc.
Le fil conducteur est celui des impressions brutes d’un jeune enfant (deux à six ans au fil des pages), fils d’une bretonne blonde et d’un Syrien tiraillé entre une volonté de modernisme et le poids des traditions (et par ailleurs moins « francisé » que beaucoup de nos collègues maghrébins formés à l’école des Lumières). Le gamin joue un peu le rôle du chœur antique, parfois renforcé par l’expression souvent catastrophée de sa mère qui se refuse au relativisme culturel (notamment lors du dénouement du crime d’honneur qui clôt le deuxième tome). Bref, comment peut-on être « l’Arabe du futur », objectif assigné par un père de bonne volonté, mais imprégné de convictions machistes, claniques et identitaires ?
Un « truc » pédagogique : le gamin se dépeint blond dans un monde de bruns (alors que l’auteur ressemble à son père), ce qui permet d’introduire des réflexions imprévues de la part de l’entourage, synthétisant efficacement de propos vraisemblables qui seraient apparus plus progressivement.
D’ailleurs la vraisemblance est une des qualités de ces volumes. Certes je ne connais pas directement la vie villageoise de Syrie de l’époque, mais j’ai parcouru (rapidement) le pays pour affiner des décennies d’informations. L’auteur s’arrange d’ailleurs pour intégrer des expressions politiques, sociales ou religieuses que nous avons tous déjà vues quelque part. Je rajoute que si tout se passe en milieu musulman, ce que j’ai lu et entendu sur les milieux chrétiens d’Orient évoque une société qui n’est pas totalement différente, notamment par son côté traditionaliste et clanique.
Une B.D. agréable à lire, introduction à la fois simple et efficace à certains aspects de l’environnement socio-économique de nos voisins arabo-musulmans à travers l’oeil naïf d’un petit garçon.
Bref une introduction à la fois simple et efficace à certains aspects de l’environnement socio-économique de nos voisins.
Yves Montenay
Riad Sattouf est né en 1978 d’un père Syrien et d’une mère Française. Il grandit en Syrie dans un village près de Homs, va à l’école musulmane, puis revient définitivement en France à l’âge de 13 ans.
Il étudie le cinéma d’animation aux gobelins, puis en 2002, il présente aux éditions Dargaud le projet Les Pauvres Aventures de Jérémie, racontant les aventures rocambolesques d’un franco-libyen et de ses amis, pour qui la banalité n’est pas accessible.Trois tomes paraissent dans la collection Poisson Pilote entre 2003 et 2005.Toujours chez Dargaud, paraît le one shot No sex in New York en 2004.
Sattouf publie également aux éditions Bréal (Manuel d’un puceau, 2003, ainsi que Ma circoncision, 2004), aux éditions Hachette (Retour au collège, 2005), aux éditions Audie-Fluide Glacial (Pascal Brutal, 2006-2013) et à L’Association (La Vie secrète des jeunes, 2007-2013).
Riad Sattouf reçoit le Prix René Goscinny 2003 pour le scénario du premier tome des Pauvres Aventures de Jérémie, intitulé Les Jolis Pieds de Florence. En 2010, le troisième tome des aventures de Pascal Brutal est récompensé du prix du meilleur album (Fauve d’or) lors du festival d’Angoulême.
En 2009, Riad Sattouf se tourne vers le cinéma : il écrit et réalise le film Les Beaux Gosses, qui recevra le César du meilleur premier film en 2010.