On aurait pu croire le sujet du néolithique néolithique 8000 à 2.200 av. J-C, apparition de l’agriculture et de l’élevage, sépultures collectives, inhumation en silo, généralisation de la sépulture collective épuisé jusqu’à la corde. Et avec lui, toute sa cohorte de découvertes archéologiques un tantinet défraîchie. Or, l’affinement des dernières résultats archéologiques tend à prouver le contraire. En cinq millénaires, de 12.000 à 7.000 av. J.-C., l’espèce humaine des premiers « chasseurs-cueilleurs » au paléolithique paléolithique 160.000 à 250.000 av. J.-C. inférieur, usage du feu, premières sépultures, traces de cannibalisme, 250.000 à 35.000 av. J.-C. moyen, sépultures avérées, 35.000 à 500 av. J.-C. supérieur, disparition de Néandertal, art pariétal, s’est transformée en agriculteurs-éleveurs à l’époque suivante, soit au néolithique. Il est avéré, aujourd’hui, que ce lent passage ou cette mutation s’est opéré dans une région bien identifiée : celle dite du Croissant fertile, à savoir une vaste zone englobant aujourd’hui l’État d’Israël, le Liban, la partie nord de la Syrie, de l’Iraq et de l’Iran ainsi que les piémonts et versants des chaînes montagneuses du Zagros et du Taurus (Iran). Puis, progressivement, cette évolution gagna l’ensemble du bassin méditerranéen et l’Europe. Cette période a été marquée par une série d’inventions fondamentales qui se succédèrent ou se côtoyèrent : outillages divers, architecture, habitat, céramique, domestication, croyances. L’ouvrage proposé par Olivier Aurenche, professeur de préhistoire à l’université Lumière-Lyon 2 et Stefan K. Kozlowski, professeur de préhistoire à l’université de Varsovie, vient déconstruire certains mythes ou rectifier des vérités considérées comme acquises. Nos plantes cultivées aujourd’hui et nos animaux d’élevage descendent ainsi en ligne directe de ceux qui peuplaient le Proche-Orient aux alentours de 8.000 av. J.-C. !

Depuis plusieurs années maintenant, les archéologues ont, par leurs recherches et travaux, largement atténué la séparation que l’on croyait trop nette entre les époques du Paléolithique et Mésolithique d’une part, et, d’autre part, avec celle du Néolithique. Les deux premières auraient été un temps de pénurie, de quête de nourriture quotidienne effrénée et une lutte permanente pour une vie précaire. Cette période s’opposerait à un âge d’or du Néolithique où la profusion alimentaire aurait permis un décollage de la civilisation. On peut ainsi rapprocher cette hypothèse du mythe biblique de la Genèse où l’on passe d’un état d’abondance (le Paradis) à un état où seul un travail harassant et acharné permet une survie (sur Terre). Cependant, les études actuelles tendent à montrer que les premières populations de chasseurs-cueilleurs ont finalement consacré moins de temps à l’acquisition de nourriture contrairement aux agriculteurs-éleveurs. Même chose pour les activités non contraignantes. L’agriculture, née au Néolithique, est exigeante et demande des compétences techniques ainsi qu’un entretien quotidien très minutieux, donc contraignant. Les deux auteurs tentent de décrypter le passage entre le mode de vie des chasseurs-cueilleurs, anciens locataires de l’Eden, de ceux des agriculteurs-éleveurs. Ainsi, grâce aux dernières fouilles et études menées ces dernières années, une première amorce vers ce changement aurait eu lieu aux alentours de 8300 à 8000 av. J.-C au Proche-Orient, soit près de 2500 ans avant que le Néolithique ne se développe en Europe. Ce processus de domestication, notamment avec les céréales (blé et orge) ainsi que de certains animaux (chèvres, moutons, bœufs, porcs) a été décisif pour l’ensemble du Proche-Orient puis, par extension, au continent européen.

Mais pas seulement. Cette région n’a pas simplement inventé l’agriculture. Des dizaines de sites regorgent de sites funéraires, de vaisselles, de mobiliers. Le Proche-Orient a été par conséquent à l’origine d’une révolution que l’on peut qualifier de capitale, celle de l’invention de l’urbanité. Les recherches le confirment : de ces populations néolithiques sont issues celles du Sud de la Mésopotamie (Iraq). Puis les conquérants de ces régions se sont répandues Coté chronologie, les chercheurs ont découpé leur étude selon quatre temps forts. Pour plus de lisibilité, le calendrier historique a été adopté, c’est-à-dire en années comptées avant J.-C., L’ouvrage débute à 12000 et se termine en 5800 av J.-C. Les auteurs ont souhaité détailler les quatre premières parties, soit de 12000 à 6900 av J.-C et ne survolent, si j’ose dire, que les deux derniers chapitres. L’étude est dense car elle concerne l’ensemble du Croissant fertile. L’agriculture est née dans cette région mais les contraintes climatologiques sont telles qu’elle n’a pu se développer plus au sud par manque d’eau. En effet, un isohyète des 200 mm de précipitation annuelle reste une condition sine qua non. Les chercheurs admettent désormais que le néolithique est apparu dans cette zone. Enfin, les marges territoriales ne sont pas oubliées : Jordanie, Syrie, Iraq ainsi qu’une partie des territoires égyptien, turc et iranien.

A….COMME AGRICULTURE

De ce constat, les préhistoriens distinguent traditionnellement une économie de prédation, fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette. Elle caractérise les populations de chasseurs-cueilleurs paléolithiques et néolithiques. Puis on décèle une économie de production s’appuyant sur l’agriculture et l’élevage, typique des populations néolithiques. L’économie de production a, semble-t-il, coexisté pour une large part, avec une économie de prédation, sans la remplacer complètement. Mais ce tableau serait incomplet sans la domestication opérée par les peuples néolithiques car ce sont bien eux qui ont mené le processus à son terme. Il s’agit de contrôler une population animale par isolement du troupeau avec perte de panmixie (les bêtes ne se reproduisent qu’entre elles et non plus au sein de leur population d’origine), suppression de la sélection naturelle et application d’une sélection artificielle. Il semblerait que la chasse sélective soit à l’origine de cette domestication. A part le chien, les premiers animaux domestiques ont été petits, puis des gros ruminants (chèvre, mouton, bœuf). Il s’agit donc d’animaux grégaires, plus faciles à contrôler que des individus isolés et dont le régime alimentaire n’est pas concurrent, mais complémentaire de celui de l’homme. Ces animaux consomment en effet les parties des plantes inassimilables par l’estomac humain. Dans les céréales, par exemple, les tiges et les balles, riches en cellulose, ne peuvent être digérées que par les ruminants, tandis que les grains constituent l’essentiel de la nourriture humaine. On mesure par conséquent dans l’économie néolithique la complémentarité existant dès le départ entre l’apparition de l’agriculture vers – 8000 av J.-C, et l’apparition quasi-concomittante, mais indépendante (?) des premières formes d’élevage. Inversement, la domestication a permis de tirer des animaux de nouveaux avantages : outre la viande et la peau, déjà obtenues par la chasse, ce furent le lait et ses produits dérivés, la laine, le portage, le dépiquage des céréales, etc., le fumier étant utilisé comme engrais et combustible. Puis, avec le temps, certains de ces avantages se sont développés ; augmentation de la quantité de graisse intramusculaire chez le porc, dépôt de graisse dans certaines parties du corps (mouton), augmentation de la production de lait et augmentation de l’activité sexuelle et de la reproduction. L’élevage eu ainsi pour effet de supprimer le cycle naturel des périodes de rut et de mise bas et permis, une augmentation et un contrôle prévisionnel des quantités de protéines disponibles.

C….COMME CEREALES

Très vite est apparu pour les différentes populations du Proche-Orient le besoin impérieux de sélectionner un grain possédant un haut pouvoir nutritif (amidon, protéines) et susceptible de se conserver. Le grain se trouve enfermé dans une glume (enveloppe) portée par des épillets qui forment, à l’extrémité de la tige, un épis. A l’état sauvage et lorsqu’ils sont murs, les épillets se détachent naturellement et se disséminent aux alentours pour assurer la reproduction de l’espèce. On dit alors que le point d’attache (rachis) est fragile. Or, la récolte de cette céréale est loin d’être aisée pour l’homme. Enfermée dans son enveloppe et enfouie dans le sol, (on parle alors de céréales vêtue), elle ne s’en détache qu’à la suite d’un long traitement mécanique (décortiquage par pilon). La domestication des céréales, comme celle des animaux, est donc venue inverser ces deux phénomènes. Dans les céréales cultivées, le rachis reste solidaire de l’épi et les épillets, une fois mûrs, ne se détachent qu’après une action mécanique. La tâche en est grandement facilitée. Mais la reproduction naturelle est stoppée. Il faut donc « semer »…Les paléobotanistes considèrent que la solidité du rachis constitue une réelle domestication des céréales par les populations néolithiques. Mais une autre conséquence de la domestication a été, pour certains céréales, la perte de leur caractère «vêtu », c’est-à-dire que la même opération, le battage-vannage permettait non seulement de détacher les épillets de l’épi, mais aussi de séparer le grain de son enveloppe. Les céréales n’ont pas seulement joué un rôle dans l’alimentation humaine. Les tiges et les balles (résidu des glumes) ont également servi de combustible, ont joué le rôle de dégraissant dans la fabrication de la terre à bâtir (pisé, torchis, briques) et, plus tard, de la céramique. Elles ont pu être aussi employées dans la couverture des maisons (chaume). Dès la domestication des premiers animaux, les parties de la plante non consommées par l’homme (tiges, balles) leur ont servi de nourriture et de litière. Riches en cellulose, les tiges et les balles ne sont pas assimilables par l’estomac humain. En revanche, les estomacs des ruminants (ovicapridés, bovidés) sont capables de les digérer. On mesure donc la complémentarité entre les premières espèces végétales cultivées et les premières espèces domestiquées par l’homme. Les céréales qui ont joué le plus grand rôle dans l’économie proche-orientale sont les blés, les orges et le seigle. Les chercheurs ont observé que, même longtemps après leur domestication à partir de 8000 av. J-C les céréales ont continué à faire l’objet d’une cueillette sous leur forme sauvage, à moins qu’il ne s’agisse de céréales encore sauvages mêlées aux céréales domestiques et récoltées en même temps qu’elles lors des moissons. Les céréales mises en culture épuisent les sols. En agriculture traditionnelle (sans apport chimique), cet inconvénient est corrigé par la pratique de l’assolement, ou alternance de repos et de mise en culture sur le même sol d’autres plantes, dont les légumineuses, qui ont la propriété de fixer dans le sol l’azote atmosphérique et, du même coup, de maintenir sa fertilité. Il n’est pas indifférent de noter que, dans le Proche-Orient, la domestication des céréales apparaît au même moment que la domestication des légumineuses (lentilles, pois, ers) et, même s’il n’est pas possible de prouver la pratique de l’assolement dès le néolithique, on peut voir dans les deux phénomènes plus qu’une coïncidence.

D…..COMME DOMESTICATION

La domestication est le contrôle d’une population animale par isolement du troupeau avec perte de panmixie, suppression de la sélection naturelle et application d’une sélection artificielle….voici pour la définition donnée par l’archéozoologie. Les animaux vivants deviennent la propriété du groupe humain et sont entièrement dépendants des hommes. La différence avec l’apprivoisement porte sur les points suivants : ce dernier ne concerne en général qu’un petit nombre d’individus et il n’entraîne pas de modification génétique. Les populations de chasseurs-cueilleurs ont ainsi pu apprivoiser ou tenter de domestiquer certaines espèces animales, mais sans y parvenir. En ce sens, l’apprivoisement constitue une sorte de domestication avortée. L’une des principales caractéristiques des populations néolithiques est bien d’avoir conduit le processus à son terme. La chasse sélective semble être à l’origine de la domestication de certains espèces exploitées longtemps avant le néolithique. Les critères retenus par les paléozoologues pour distinguer les animaux sauvages des animaux domestiques sont de plusieurs ordres. Les premiers sont morphologiques : diminution globale de la taille chez tous les animaux domestiques, et modification de la forme des cornes chez les ruminants. Il en va de même pour la seconde série de critères qui porte sur les proportions respectives des sexes et des âges au sein d’une même population. Compte tenu du fait que, dans une population sauvage, la proportion des mâles et des femelles est sensiblement égale, toute population montrant un excédent de femelles serait le signe d’un troupeau domestique, l’éleveur conservant le plus grand nombre possible de reproducteurs. De même, les classes d’âge peuvent refléter des stratégies de chasse ou d’élevage : par exemple, une surreprésentation des individus très jeunes ou très âgés pourra être le reflet d’une chasse au hasard (faciles à capturer ou à abattre). En revanche, dans un élevage de jeunes mâles adultes pour leur viande, on aura tendance à consommer un maximum de jeunes mâles adultes. A part le chien, les premiers animaux domestiques ont été petits, puis de gros ruminants, respectivement la chèvre, le mouton et le bœuf.

L’ouvrage est donc d’une très grande richesse. Il comporte également un dictionnaire composé de nombreuses entrées expliquant clairement, quoique de façon très technique, les sujets abordées : botanique, climatologie, archéozoologie, etc. Des plans ainsi que de nombreux croquis permettent de se projeter dans ce passé très lointain tout en le rendant accessible. Je reste persuadé que vous ne percevrez plus, désormais, vos céréales du petit-déjeuner du même œil…

Bertrand Lamon