Dans les pages de sa célèbre Histoire de France (1841), Jules Michelet exhortait naguère les Français à toujours se souvenir « que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous ». Cette femme n’est autre que Jeanne d’Arc, à laquelle l’historien Gerd Krumeich a dernièrement consacré un intéressant livre. Professeur émérite à l’Université Heinrich Heine de Düsseldorf, Gerd Krumeich a en effet écrit Die Geschichte der Jungfrau von Orléans (2006), ouvrage synthétique dont les éditions Tallandier viennent de publier la traduction en français.

Figure emblématique du Moyen Âge, Jeanne d’Arc marqua ses contemporains, mais encore resta à la postérité. Sa trajectoire tout à fait mythique fut l’objet d’une littérature fort abondante, au sein de laquelle la légende dorée le dispute souvent à des portraits noirs et moins flatteurs. Et ce à tel point que Jeanne d’Arc reste omniprésente dans nos mémoires. Celle qui s’éleva contre les Anglais suscita de nombreuses questions, que l’auteur passe d’emblée en revue : « Jeanne d’Arc n’était-elle pas en réalité un homme ? Du sang ne coulait-il pas dans les veines de cette soi-disant jeune paysanne ? A-t-elle vraiment eu des apparitions ou a-t-elle simplement cru entendre des voix ? »

Dans cette « brève introduction », Gerd Krumeich s’efforce de répondre à certaines des interrogations que suscitent toujours la Pucelle. Pour ce faire, l’historien allemand se penche sur le parcours de Jeanne d’Arc, et ce depuis sa naissance à Domrémy vers 1412 jusqu’à sa fin tragique à Rouen en 1431. Originaire d’un village aux confins de la Lorraine et du Barrois, Jeanne était de basse extraction. Son père, Jacques Darc, était paysan. D’une ferveur mystique inconditionnelle, en pleine Guerre de Cent Ans, elle aurait entendu des voix célestes lui demandant de sauver la France, dont le Nord était occupé par les troupes anglaises et bourguignonnes. A l’époque, le sort des armes n’était pas favorable aux Français, tant s’en faut.

La pieuse Jeanne ne s’était toutefois pas enfermée dans la spiritualité ou dans la rêverie. Bien au contraire puisqu’elle entendait en effet transformer ses visions en actes véritablement politiques. En 1428, puis en 1429, la jeune paysanne tenta de rencontrer le roi de France. Sa demande finit par aboutir. A cette occasion, Jeanne manifesta une étonnante clairvoyance en reconnaissant Charles VII, lequel s’était dissimulé parmi la foule de ses courtisans. A la suite d’une entrevue dont le contenu jamais ne filtra, le roi lui concéda quelques troupes.

Avec force détails, Gerd Krumeich relate les grandes étapes de sa vie à Vaucouleurs, à Chinon et à Poitiers. Il retrace également la libération d’Orléans, qui était assiégée depuis sept mois et qui était sur le point de succomber en raison de la famine. Cette victoire sur l’ennemi eut un très grand retentissement dans tout le pays. Galvanisés par Jeanne, les Français la suivirent, pourchassèrent les Anglais et remportèrent la victoire de Patay, le 18 juin 1429. Voguant de ville en ville, les Français reprirent à l’ennemi Auxerre, Troyes, Châlons et Reims, où Charles VII put enfin être sacré roi. Le sacre ouvrit une funeste période, celle du lent déclin de Jeanne.

A Paris, la fortune quitta les Français. Le siège des troupes du roi de France se heurta en effet à l’anglophilie de la ville, peu désireuse d’être libérée du joug anglais. Reconnue par les Parisiens, Jeanne fut même blessée à proximité de la porte Saint-Honoré. Elle accompagna alors la retraite du roi au sud de la Loire, où elle s’empara de Pierre-le-Môutier en octobre 1429, avant d’échouer à La Charité-sur-Loire. Quelques mois plus tard, en 1430, le duc de Bourgogne tenta d’assiéger Compiègne. Les habitants de la ville en appelèrent alors à Jeanne d’Arc, laquelle réussit à entrer dans la cité, mais fut capturée dès le lendemain.

Livrée aux Anglais contre une rançon, Jeanne fut jugée à Rouen, et Pierre Cauchon l’évêque de Beauvais officia. Ses crimes étaient notamment d’avoir porté des vêtements d’homme, d’avoir avancé que son salut était acquis et d’avoir fait passer ses visions pour des messages divins. D’abord courageuse, elle aurait finalement eu un moment d’égarement au cimetière de l’église Saint-Ouen, puis elle se serait reprise. Jeanne fut finalement brûlée sur la place du Vieux-Marché. Réhabilitée par le pape en 1456, Jeanne fut béatifiée en 1909 et canonisée en 1920.

C’est cette extraordinaire trajectoire que retrace habilement Gerd Krumeich dans cet ouvrage bien écrit. Tout y abordé. Sont notamment rappelés la nature belliqueuse de Jeanne, sa volonté de libérer tout le territoire français, mais aussi les réticences de l’entourage du roi de France et le désir de négociation de Charles VII. Cette étude érudite permet de se demander à qui « appartient » réellement Jeanne d’Arc. Pour alimenter la réflexion, l’historien allemand fait appel aux différentes théories sur Jeanne, à la littérature ainsi qu’au cinéma.

Jean-Pierre Fourmont