CR par Yveline Candas

Alain Corbin, historien de renom qui explore dans nombre de ses livres les transformations des sensibilités au fils du temps, se penche ici sur la fabrication des héros de l’histoire de France.

Le livre est composé de deux parties. La première est une sorte de longue introduction, rédigée comme c’est la tradition dans cette série (les … expliqués à mon fils/ à ma fille) sous une forme dialoguée, qui explique que chaque époque avec ses sensibilités, ses valeurs a eu ses héros. Alain Corbin retrace une histoire de ce qui fait qu’un homme devient un grand homme , un héros depuis Plutarque jusqu’à nos jours. En effet, le héros est en quelque sorte, un homme modèle car porteur des valeurs du temps; il est honoré, glorifié.

Certains héros d’hier sont devenus désuets et peuvent avoir sombré dans l’oubli ainsi on peut –être surpris, peut être ? de trouver dans les pages suivantes, en tête de chapitre Lamartine ou Du Guesclin. Certains sont même aujourd’hui exécrés: Philippe Pétain en est l’archétype.
D’autres personnages ou personnalités peuvent, être redécouverts ou en voie d’ héroïsation ainsi Napoléon III, Lyautey, voire Marie Antoinette grâce à de travaux récents effectués sur leur vie et/ou leur œuvre qui explorent d’autres champs ou qui sont effectués sous un angle différent à la faveur du changement des sensibilités, des mentalités, de l’historien et/ou du public.

Alain Corbin depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, distingue divers types ou modèles de héros. Le héros plutarquéen est avant tout un soldat illustre, victorieux. Il exerce une fascination véritable jusqu’au Premier Empire même si alors le héros est plus composite qu’à l’origine car porteur aussi des valeurs chevaleresques héritées du Moyen Age et des valeurs civiques de la Révolution. Aujourd’hui, le modèle inspiré par Plutarque ne suscite plus d’enthousiasme la gloire militaire a perdu de sa superbe, les champs de bataille font naître des images de carnages, évoquent l’horreur. La première guerre mondiale, les nombreux témoignages des combattants ont participé activement à ce renversement. La Seconde Guerre Mondiale a enfoncé le clou. Aujourd’hui le héros, c’est celui qui s’est opposé à l’horreur tel le Juste.

Du Saint au Juste

Autre type de héros: le Saint. Il diffère radicalement, naturellement, du héros puisque le Saint vit à l’écart de l’éclat du monde et puisqu’il aspire surtout à l’au-delà, conscient que la gloire n’est que vanité. Cette idée chrétienne est très présente au XVIIe siècle et durant la Restauration. Parallèlement, un autre sentiment concourt au même discrédit de la gloire: la grandeur du pauvre, la grandeur du petit exaltée par les Romantiques et surtout par Victor Hugo. Le fameux curé d’Ars en est le représentant. « La grandeur du petit » est une source majeure de la sensibilité contemporaine. Aujourd’hui le Poilu par exemple, inspire plus d’admiration et de respect que tel ou tel grand géneral de la Première guerre.

Il y a aussi «le grand homme des Lumières», loué par les intellectuels du 18eme siècle et qui sont surtout célébrés par l’architecture et la statuaire et c’est d’ailleurs à la fin de ce siècle (1791) qu’apparaît le Panthéon, lieu s’il en est, consacré aux grands hommes! «Le grand homme connaît les idées et, surtout, les besoins de son temps, qui sont d’abord ceux du peuple » il est soucieux du bien public». (p 25). On trouve parmi eux Colbert, Sully, Charles V ou François 1er parce qu’ils ont été de bons ministres pour les premiers des rois avides de culture et amateurs d’art pour les seconds. Le héros des romantiques est plus difficile à définir, c’est représentant de son temps et un conducteur de son peuple, il permet à l’Idée de s’incarner, il est donc instrument du progrès et doté d’une grande énergie et l’auteur rappelle ici que Napoléon avait séduit V. Hugo et Goethe.

La troisième république a été grande idolâtre des héros, sauf des Saints, en atteste d’une part les nombreux et divers monuments érigés à cette époque ; d’autre part, la liste qui est dressée alors et qui est incontestée jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, des héros de l’histoire de France présentée dans les manuel scolaire et dans Le manuel scolaire : le « Lavisse » ! . Sous la Troisième République, le militaire, à la faveur du traumatisme de la défaite de 1870-71, est remis à l’honneur. Thiers, Gambetta, (mais aussi plus tardivement Victor Hugo) et une allégorie : Marianne sont particulièrement glorifiés. Le désir très affirmé à cette époque, de récompenser les plus méritants, de leur rendre hommage est perceptible aussi au travers les remises de prix aux meilleurs élèves.
A partir de 1948, les ressorts de l’admiration basculent. C’est la fin de la gloire militaire, du héros charismatique, de la foi dans le progrès…

Héros d’hier et d’aujourd’hui

Des valeurs et des sensibilités différentes s’affirment : compassion, anticolonialisme, antiracisme, tolérance, écologie…, leurs « porte drapeau » sont les héros d’aujourd’hui, ceux qui sont racontés aux écoliers : Martin Luther King, Mandela, Nicolas Hulot, les otages du terrorisme …. A l’école, « le repli de l’importance du roman national, la focalisation sur l’actualité, l’affaissement du sens de la profondeur temporelle, le sentiment du déclin de la France dans le monde, la curiosité ascendante à l’égard de l’ensemble de la planète, tout cela a, peu à peu, atténué l’attention et l’admiration à l’égard des héros de l’histoire de France… » (p 36) En outre, avant il ne fallait ni du temps ni avoir de amples connaissances sur un individu pour l’admirer, aujourd’hui, s’affirme le désir de connaître au préalable, la personne sous « tous les points de couture», la psychiatrie contribue à ce phénomène. Mieux connu, sondé jusqu’à dans son inconscient, des facettes multiples et diverses apparaissent, l’homme devient plus difficilement un héros.

Les héros sont fabriqués. Ils ont parfois été les artisans de leur propre gloire (Napoléon, Pasteur…), il existe des instances de consécration officielle: le haut comité des célébrations nationales, mais dans cette «industrie» l’école a une place maîtresse. Ceci explique peut-être, l’attachement à certains grands noms de notre histoire et les débats et réactions vives qu’ont suscité l’effacement de Louis XIV ou de Napoléon dans les nouveaux programmes d’histoire…. La place réservée à tel ou tel personnage, dans les dictionnaires et les manuels scolaires, est aussi déterminante tant au point de vue de la qualification que de la disqualification et leur étude (cf. celle de M. Chaline) est significative comme peuvent l’être les déboulonnages, les refontes de statues, la disparition de certains monuments commémoratifs dédiés à un grand homme ou à une allégorie des paysages. D’ailleurs, l’auteur faisant des allusions fréquentes aux images des ces grands hommes, notamment à celles publiées dans les livres scolaires, mais aussi aux statues… on peut regretter qu’il n’y ait pas du tout de document iconographique dans le livre.

La gloire est fluctuante, parfois brève surtout sous la Révolution en atteste l’étude des sondages et enquêtes réalisés auprès des Français en 1906, 1948- 49 et « plus récemment par le magasine l’Histoire». C’est que la seconde partie démontre et illustre. Elle est composée de vingt sept sous-chapitre, d’environ quatre pages chacun, consacré à un personnage de l’histoire de France depuis Vercingétorix jusqu’aux héros de la seconde guerre mondiale car certains sont en effet des personnes porteuses du même idéal elles sont amalgamées. Pour dresser la liste de ses illustres personnages, Alain Corbin s’est appuyé surtout sur le sondage réalisé par l’IFOP en 1948 –1949 celui qui lui semble «l’instrument de mesure le plus solide». On en retrouve de larges extraits en annexe 4 du livre. Les quelques pages consacrées à chacun ne sont pas des biographies, même si elles nous permettent de découvrir, de redécouvrir ou de rafraîchir nos souvenirs les Grands personnages ou ceux qui sont considérés comme tel en relatant les faits marquants de leur oeuvre , ce qui leur vaut gloire ou discrédit car c’est tout leur originalité et leur intérêt, l’auteur montre pour chacun de ces noms comment ils ont traversé l’histoire, explique les fluctuations de leur cote de popularité.

Yveline Candas