Les sorcières et sorciers ont depuis l’Antiquité été présentés de différentes manières, tantôt méchantes, maléfiques, cruelles, vilaines, pécheresses ou alors bienveillantes, protectrices, divines. C’est ce monde des sorcières et de la sorcellerie que parcourt Julio Caro Baroja. Dans sa jeunesse au pays basque, il avait rencontré ses croyances populaires et intrigantes.

Les sorcières et leur monde, est un livreParu en français en 1972, en 1961 dans l’édition originale en espagnol érudit, parfois un peu bavard, qui retrace les relations tumultueuses entre les pouvoirs politiques et religieux et les sorciers, sorcières, magiciens de l’Antiquité à nos jours.

Une conception primitive du monde

Dans les premiers chapitres, l’auteur rappelle les conceptions du soleil, de la terre dans différentes cultures, entre éléments communs et diversité. Ces conceptions anciennes découlent d’une pensée magique comme le montre l’étude de la sorcellerie gréco-latine.

La sorcellerie antique peut être invoquée pour des actions bénéfiques ou maléfiques. Les textes antiques nous renseignent sur les techniques de magie.

Paganisme et christianisme s’opposent. Quand la magie est inspirée des dieux antiques qui connaissaient les mêmes tourments que les hommes, le christianisme impose une nouvelle conception basée sur une doctrine juridique et théologique. Il s’agit de lutter contre les pratiques divinatoires. L’auteur analyse la magie féminine durant le bas-Empire et parmi les peuples germaniques et slaves.

Les sorcières existent-elles ?

À partir du Moyen-Age, on distingue en Europe ceux qui croient en la réalité des sorcières et ceux qui pensent que ces croyances sont inspirées par le démon.

Un texte, dont l’origine est contestée, le « canon du Concile d’Ancyre » a servi de base à toute la théorie à propos du culte de la sorcellerie. Croire au vol des sorcières est assimilé à du paganisme.

L’autre interprétation est celle d’une croyance inspirée par le démon, souvent représenté sur les portail des églises. D’une croyance imaginaire à à une adoration du démon, le frontière est floue, comme en attestent de nombreuses bulles papales.

Au XIIIe siècle, l’influence de saint Augustin s’estompe au profit de celle de Saint Thomas. L’idée de l’existence des démons s’affirme et la lutte contre la magie se développe. L’association des sorcières au démon a été longuement étudiéeL’auteur invite à quelques lectures, référencées dans une abondante bibliographie. Il développe la magie maléfique en distinguant les pratiques individuelles, le plus souvent décrites comme féminines et les pratiques collectives associées à un culte. Les diverses situations présentées conduisent au bûcher, comme Enguerand de Marigny condamné pour sortilèges pratiqués par sa femme et sa belle-sœur, en 1315On a trouvé des poupées de cire pour faire mourir le roi. Les exemple présentés, à partir des sources médiévales, sont décrits avec beaucoup de détail. Les exemples cités impliquent souvent la noblesse et l’entourage même des souverains.

Le premier sabbat jugé par l’Inquisition se situe à Toulouse et à Carcassonne, au XIVe siècle. Il est décrit à partir des confessions des sorcières.

Au XVe siècle, se construit une image générale du sabbat en terre d’Inquisition, mais aussi en Suisse, en Allemagne. Un code daté de 1486 présente la doctrine élaborée par deux frères prêcheurs Henri Kraemer et Jacob Sprenger : le Malleus maleficorum.

Le délit de sorcellerie

Partant de l’étude de Jacob Burckhardt sur la civilisation italienne à la Renaissance, Julio Caro Baroja définit deux types de sorcières, selon un critère sociologique, distinction qu’il applique à l’Italie et à L’Espagne : l’entremetteuse urbaine et issue du peuple, comme la Célestine en Castille et la sorcellerie rurale et collective.

C’est en FranceEntre Toulouse et Carcassonne, que l’Inquisition, sous différentes plumes, fixe le délit de sorcellerie et une forme canonique des procès. On trouve des écrits de même nature en pays protestants.

Outre les minutes des procès, largement utilisées par l’auteur, il fait aussi référence au folkloreNotamment en Allemagne, en Pologne et dans les Îles Britanniques qui peut permettre de mieux comprendre ce que sont le démon et le sabbat pour les hommes du XVIe siècle

Le chapitre 10, Sorcellerie et possessions démoniaques, évoque les maléfices, le mauvais-œil tels qu’ils sont décrits dans les textes des XVIIe et XVIIIe siècles. On retrouve l’idée de possessions dans les accusations portées contre des groupes religieux hétérodoxes, opposés à l’Élise officielle. Dans de nombreux exemples, il s’agit d’une personnalité masculine dominante qui impose aux femmes faibles de se laisser posséder par le démon. Parmi les exemples cités on retrouve l’affaire des possédées de Loudun ou les sorcières de Salem.

La sorcellerie au pays basque

Dans une seconde partie, l’auteur concentre son étude sur ce pays basque qu’il connaît bien.

Il l’étudie en détail depuis le XVIe siècle. Il note que la justice s’exerce souvent dans les périodes de crise.

On suit les procès de Pierre de Lancre, juge à Bordeaux. L’affaire des sorcières de Zugarramurdi, et l’autodafé de 1610 sont présentés en détail. Les nombreuses relations de l’époque permettent de montrer l’organisation d’une secte et les maléfices dont sont accusés les membres devant le tribunal de l’Inquisition.

Cette affaire marque un tournant dans l’attitude vis à vis de la sorcellerie. L’humaniste Pedro de Valencia compare les activités lubriques de la secte aux bacchanales antiques. L’Inquisiteur Alonso de Salazar y Frías lui-même doute des accusations portées contre les sorciers. À partir de cette date les procès sont plus le fait des autorités locales que de l’Inquisition, par exemple dans l’affaire des sorcières de Fontarabie.

Les écrits niant la réalité des crimes de sorcellerie se multiplient (ceux du père Spé, Gassendi ou Malebranche). Le Hollandais Balthazar Bekker cherche, non sans risque, à démontrer que le diable ne peut intervenir dans la vie des hommes. Au XVIIIe siècle, les écrits de Voltaire et du père Feijoo montrent bien cette évolution des idées.

Un chapitre est consacré à l’expression artistiques à propos des la sorcellerie de Jérôme Bosch à Goya, de Cervantès à Mérimée qui n’y voit qu’un folklore local.

Au XIXe siècle, la sorcellerie n’avait pas entièrement disparu. Le maire de Fontarabie a déclaré, en 1826, qu’une de ses administrées n’était ni sorcière ni magicienne, mais il lui interdisait de pratiquer la médecine. La sorcellerie reste très présente dans la culture populaire au pays basque.

Un dernier chapitre aborde les interprétations anthropologiques contemporaines. Elles font un parallèle entre les poussées de sorcellerie et les périodes de souffrances physiques et morales. Certains médecins parlent de mythomanie.

Voilà un ouvrage très complet sur une figure de la culture européenne : la sorcière.