Le Baptême de Clovis. 24 décembre 505 ? est le dernier ouvrage de Bruno Dumézil, ancien élève de l’ENS, agrégé d’histoire, professeur d’histoire médiévale à l’université de Paris Sorbonne et spécialiste du haut Moyen Âge occidental. Ce livre, paru aux éditions Gallimard au sein de la collection « Les Journées qui ont fait la France », a pour objectif de porter un regard différent sur le baptême de Clovis. La question n’est pas nouvelle au sein de cette collection puisqu’en 1964, Georges Tessier faisait paraître Le Baptême de Clovis, 25 décembre 496 ?. On comprend dès lors que l’un des problèmes majeurs de cet évènement est le doute qui plane sur la date du baptême. Ce doute est par ailleurs ancien car dès le VIe siècle, les chroniqueurs hésitent déjà sur le moment entre le 24 et le 25 décembre voire même le printemps. Quant à l’année, la question est posée par l’auteur dans le titre.
L’ouvrage s’articule en une douzaine de chapitres de longueurs égales, dans lesquelles B. Dumézil pose à la fois les différentes problématiques liées au baptême de Clovis, mais présente également le contexte de l’évènement. Ainsi, l’auteur tente-t-il une reconstitution de la Gaule du VIe siècle en présentant les évolutions politiques de l’Europe occidentale, mais aussi les transformations et les crises que rencontre l’Église chrétienne.
Enfin, l’auteur rappelle que le territoire dominé par les Francs de l’époque mérovingienne ne ressemble en rien à la France d’aujourd’hui, que cela concerne le paysage, la langue ou encore le système politique.
Un sujet qui passionne les esprits
Dans l’introduction, B. Dumézil explique que le baptême de Clovis et sa datation sont sujets à polémique au point d’avoir suscité un véritable débat lors des 1500 ans de l’évènement, pour savoir s’il pouvait être considéré comme un moment important de l’histoire de France. Il faut remettre cet évènement dans son contexte. Le quinzième centenaire du baptême intervient quelques années après le bicentenaire de la Révolution française qui, comme le rappelle l’auteur, a été commandité par un gouvernement de gauche. Ainsi, la commémoration du baptême de Clovis, en 1996, a été vue comme un évènement commandité par le gouvernement de droite d’alors et donc en réponse au bicentenaire. Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, avait prononcé une diatribe sévère contre le baptême de Clovis en expliquant que l’histoire de France commençait avec le pacte fondateur de 1789. Au-delà de la portée symbolique de ces paroles, est remis en cause le fait qu’une célébration nationale implique obligatoirement l’investissement de l’État et donc le financement de la commémoration. On comprend alors le sens de la critique qui met en avant tout le paradoxe de la République française qui se présente comme laïque mais qui célèbre un roi chrétien. Il faut également ajouter à ce contexte la venue en France du pape Jean-Paul II le 22 septembre 1996, jour anniversaire de la proclamation de la Première République. La question s’est alors posée de savoir si le pape a voulu remplacer la mémoire de la république par celle de la monarchie.
Le problème de la date et du lieu du baptême de Clovis, un problème de sources
B. Dumézil questionne, dans l’ensemble de l’ouvrage, les sources qui permettent d’étudier et de comprendre l’évènement et sa portée. Toutefois, il insiste sur le fait qu’elles sont partielles et tiennent des propos ambigus. En effet, les documents originaux du VIe siècle ont tous disparu, et les textes que nous avons à notre disposition sont des copies plus tardives qui comportent à la fois des fautes, des oublis et des erreurs de compréhension dues à une moins bonne maîtrise du latin à l’époque des recopies. L’un des documents mis en avant dans l’ouvrage est une lettre rédigée par l’évêque Avit de Vienne, probablement destinée à Clovis mais sans certitude, et qui s’excuse de ne pas être venu au baptême. Cependant, cette lettre est très importante, car elle est le seul témoignage contemporain du baptême et pourtant elle émane d’une personne qui ne s’y est pas rendu. Il faut attendre 75 à 80 ans après l’évènement pour que les premiers récits fassent allusion au baptême de Clovis. De toute évidence, cet évènement, qui a donc bien existé et qui a sans doute été important aux yeux du roi, n’a pas été vu comme marquant par les contemporains.
Plusieurs hypothèses existent concernant le jour du baptême. Pour l’auteur, la date de Noël est la plus probable car à cette époque de l’année, les conditions climatiques ne permettent pas de mener correctement une campagne militaire. Par conséquent le roi a davantage de temps disponible au cours de cette période. Toutefois, à partir du IXe siècle, la date de Noël est abandonnée dans les écrits au profit la fête de Pâques, véritable centre du calendrier liturgique qui rythme la vie des derniers Carolingiens et des Capétiens. En changeant la date du baptême de Clovis, il y a une forte volonté de christianiser car Pâques est la date sainte par excellence, alors que Noël n’est qu’une fête religieuse parmi d’autres. L’année du baptême est encore plus problématique, car la seule source, la lettre d’Avit de Vienne, est tout à fait lisible, compréhensible, quelle que soit l’année du sacrement de Clovis. Aucun élément de cette lettre ne permet de dater l’évènement, ce qui est un comble car l’histoire se fait habituellement avec des dates comme le mentionne l’auteur. Ce dernier se plaît d’ailleurs à tenter une relecture du texte en changeant le destinataire, et contre toute attente, la lettre conserve tout son sens. Pour B. Dumézil, tenter de connaître la date du baptême est un jeu auquel il ne trouve pas la solution. Ainsi, propose-t-il l’année 505, mais avec une grosse interrogation.
L’auteur pose également le problème du lieu, car la ville de Reims n’est pas mentionnée dans les premières sources. Il faut attendre plus d’un siècle pour que la ville soit désignée comme celle du sacre. La lettre d’Avit de Vienne laisse penser que Clovis a été baptisé par plusieurs évêques. Soixante-dix ans après les évènements, des textes ne mentionnent plus que Rémi de Reims. Or ce dernier est un prélat extrêmement casanier qui n’accepte pas facilement de quitter sa ville, et particulièrement pendant les saisons d’automne et d’hiver. Les historiens pensent donc que le baptême a dû se passer dans la ville de Reims. Il faut attendre les années 660 pour qu’un premier texte explique que le baptême de Clovis a bien eu lieu dans cette ville. Toutefois, cette source est déconcertante pour l’historien car elle place l’évènement le jour de Pâques, alors même que la lettre d’Avit de Vienne dit qu’il a eu lieu à Noël. Par conséquent, il est tout à fait compréhensible que la question du lieu soit controversée d’autant plus que les écrits les plus tardifs plaçant le baptême à Reims, le font pour légitimer la présence du sacre des rois de France dans la cathédrale de cette même ville.
Le baptême de Clovis est avant tout un symbole
Pour B. Dumézil, s’il y a un doute pour la date et le lieu du baptême, c’est que l’évènement a une portée limitée pour les contemporains. Toutefois, les ecclésiastiques ont certainement été attentifs au baptême du roi. Il est certain que Clovis s’est converti au catholicisme et que le baptême a bien eu lieu. Cependant, il y a un doute quant à la confession dans laquelle il s’est engagé. Au tournant des Ve et VIe siècles, il existe deux schismes actifs. Un nouveau converti pouvait prendre le parti du pape à Rome (or à ce moment-là il y avait deux papes, le pape Symmaque, et l’antipape Laurent) ou du patriarche de Constantinople. Pour l’auteur, tout laisse à penser que Clovis était alors tenté par l’alliance byzantine ce qui expliquerait le silence de presque trois générations sur cet évènement.
L’idée même que la monarchie devienne chrétienne lorsque le roi embrasse le christianisme apparaît relativement tôt. Par contre, le baptême de Clovis n’est pas tout de suite vu comme un évènement fondateur. Au IXe siècle, les archevêques de Reims veulent s’approprier le monopole du sacre royal, ou plutôt tentent de ne pas le perdre, et font du baptême de Clovis un évènement rémois. Or, le sacre royal est une invention du VIIIe siècle, qui ne se déroule pas systématiquement dans la cathédrale de cette ville : certains rois ont été sacrés à Paris ou à Sens. Les archevêques de Reims décident de mélanger les deux aspects du sacre et du sacrement, en expliquant qu’une colombe est apparue lors du baptême de Clovis, apportant le Saint-Chrême. Pour eux cette onction à l’huile sainte est bien plus qu’un sacrement, mais un véritable sacre royal. Il n’y aurait donc que les archevêques de Reims qui pourraient délivrer ce sacrement particulier. À la même époque commencent à se diffuser des images du baptême avec tous les personnages autour du roi, dont l’évêque Rémi. Mais c’est surtout Hincmar de Reims qui, en rédigeant l’hagiographie de Saint Rémi, reconstruit cet épisode pour en faire, selon B. Dumézil, un élément fondateur de la monarchie française.
À l’époque des Capétiens, la nouvelle dynastie est en recherche d’une légitimité qu’elle trouve chez Clovis. Toute une légende se développe autour du roi mérovingien aux XIIe et XIIIe siècles. Clovis aurait été le premier à arborer le blason avec la présence des fleurs de lys dès lors qu’il a été baptisé. À cette époque se développe aussi la légende des princes troyens dont Clovis serait un héritier. Au XIIIe siècle, il passe également pour un roi très chrétien et au XIVe il est même appelé Saint Clovis (cette appellation ne survivra pas le concile de Trente). Au XIXe siècle encore, les derniers rois utilisent l’image de Clovis pour restaurer la monarchie, notamment en commandant des tableaux du baptême, dont certains sont encore visibles dans les musées français.
Au final, le livre de B. Dumézil se lit avec beaucoup de plaisir. L’auteur sait nous captiver en nous emportant dans son récit. Les multiples clins d’œil et anecdotes qui parsèment l’ouvrage rythment un texte d’une très grande richesse dû un travail sérieux et méthodique tant les sources sont minces.