Une mise en perspective de Jeanne d’Arc dans l’imaginaire de son époque.
Par isabelle Debilly

Le samedi 12 juin 2004, le Prix du Sénat du Livre d’Histoire a été remis à Colette Beaune pour son Jeanne d’Arc, « propre à nourrir la réflexion civique ».

Cette récompense, fort honorable, est plus que la reconnaissance d’une bonne biographie : en effet, ce livre n’est pas réellement une histoire de la vie de Jeanne d’Arc ! Il poursuit la réflexion que C. Beaune a commencé il y a près de vingt avec Naissance de la nation France.

Spécialiste de l’histoire de la nation et de l’histoire des femmes, médiéviste réputée, C. Beaune était appelée à rencontrer la figure de Jeanne. Figure mystérieuse, même pour l’historien, l’héroïne médiévale est le sujet de multiples ouvrages ; il ne s’agit pas ici de refaire le récit bien documenté de R. Pernoud ; C. Beaune présente en fait l’étude des représentations laissées par Jeanne. C’est un ouvrage d’histoire des mentalités, remarquable par l’érudition de l’auteur, qui nous est proposé. La bonne connaissance des études johanniques, françaises mais aussi étrangères, permet à C. Beaune de nous construire une image passionnante de Jeanne.

L’ouvrage se découpe en quinze chapitres et se conclut sur un seizième, Jeanne après Jeanne ; entre-temps s’intercalent également trois mises au point plus proprement événementielles, De Domrémy à Chinon, Orléans, 1429 et De Paris à Rouen destinées à rappeler aux lecteurs les repères temporels et spatiaux nécessaires à la compréhension de l’itinéraire de la jeune Lorraine.

Après un premier chapitre sur La question -fondamentale- des sources, la plupart des chapitres suivants sont centrés sur la figure de Jeanne : Une fille de la frontière, La Pucelle, La Putain des Armagnacs, l’Hérétique… Thème après thème, C. Beaune tisse la trame de ce qui a fait la vie de Jeanne à travers les grands dossiers de l’historiographie actuelle –la frontière, l’école, le rapport au monde magique et sacré, la figure du roi… C. Beaune accorde notamment une grande importance à la relation de Jeanne avec la prophétie et elle la situe dans la lignée des grandes prophétesses. Ce qui différencie Jeanne de ses prédécesseurs, c’est qu’elle sort de ce rôle de diseuse de prophétie et que là elle contribue à brouiller les limites de la société de son époque, « C’est une créature en forme de femme, ne sais qui c’est » s’interroge le Bourgeois de Paris. A la limite du royaume, de son sexe, de son groupe social, Jeanne ne peut se laisser enfermer dans une vision étroite. Replacée ici dans les représentations mentales de son époque, elle en sort enrichie, plus complexe encore. Jeanne personnage exceptionnel certes, dont la trajectoire flamboyante se termine à moins de vingt ans et qu’il est toujours malaisé de comprendre !

Le petit corpus iconographique présenté dans le livre, nous montre les rares représentations de Jeanne et nous rappelle que C. Beaune a jadis publié un ouvrage sur l’art de l’enluminure au Moyen Age, Le miroir du pouvoir.

Paru dans une collection grand public chez Perrin, ce livre remarquable, accessible à tous par la clarté de l’expression et la rigueur de l’organisation du texte, est cependant un ouvrage d’une grande universitaire, témoignage d’un travail de recherche rigoureux et érudit, à méditer pour ceux qui pensent que les deux genres ne sont pas compatibles. Une bonne lecture pour l’été pour les enseignants qui souhaitent renouveler leur vision d’une héroïne de l’histoire de France que l’on croit si bien connaître, et que l’on découvre dans ce livre…

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