Les ouvrages consacrés à la guerre de Cent Ans sont déjà nombreux. Parmi les plus « récents », on peut ici citer les livres de Jean Favier (Fayard, 1980), de Georges Minois (Perrin, 2008) ou encore de Boris Bove (Belin, 2015). Celui de Amable Sablon du CorailIl est aussi l’auteur de la biographie Louis XI et de 1515, Marignan. est loin d’être inutile ! Cet ancien élève de l’École nationale des chartes et désormais conservateur général du patrimoine aux Archives nationales, en se basant sur les travaux de ses prédécesseurs ainsi que sur les nombreuses sources auxquelles il a eu accès, nous offre un portait à la fois dense, nuancé et accessible de la guerre de Cent Ans. Loin des légendes véhiculées du XIXe siècle à aujourd’hui, il suit une trame chronologique afin de nous faire découvrir ce conflit entre Valois et Plantagenêts qui est en vérité « une guerre polymorphe, à la fois féodale, civile et nationale » (p.23). Les dimensions politique, militaire, diplomatique, idéologique, sociale et fiscale sont au cœur de cet ouvrage et s’entrecroisent au fil des pages.

Les cinq premières parties exposent une chronologie très fine des évènements : du règne de Philippe VI à celui de Charles VII ou du « non-évènement » (p.21) de 1337 à la bataille de Castillon (qui marque habituellement la fin de ce conflit alors que jamais un traité de paix ne fut conclu entre Valois et Plantagenêts. La dernière partie revient sur des aspects plus spécifiques qui traversent la période. Amable Sablon du Corail y explique comment les Valois ont in fine remporté la victoire finale (victoire qui était loin d’être acquise au moment de Crécy, Poitiers ou Azincourt !) et ont fait du temps de la guerre de Cent Ans celui « de la genèse d’une tradition politique absolutiste dont nous portons aujourd’hui encore le lourd héritage » (p.17).

 

Partie 1 – Déchéance

Le non-évènement de 1337 : un conflit de souveraineté

Dès le début de son ouvrage, l’auteur revient sur les problèmes de succession qui débutent, bien avant la mort de Charles IV le Bel en 1328, avec les décès de Louis X le Hutin (1316), de Jean Ier le Posthume la même année et de Philippe V (1322). Mais pour Amable Sablon du Corail, le conflit qui s’ouvre entre Philippe VI et Edouard III n’est pas un conflit de succession mais un conflit de souveraineté et concerne avant tout le duché de Guyenne rendu à l’Angleterre par le traité de Paris entre Saint Louis et Henri III en 1258. Déjà en 1293-1294, Philippe le Bel et Edouard Ier sont en guerre à cause de la Guyenne. En 1329, le jeune Edouard III, en position de faiblesse, avait du prêter hommage au roi de France mais la question des terres occupées par le roi de France était éludée. Finalement, en 1337, la lettre de revendication du trône de France apportée par l’évêque de Lincoln  à Paris, s’il est un acte de guerre, il est aussi un acte symbolique ainsi qu’une opération de communication politique. Le droit féodal ne sera ici qu’un prétexte et aura pour conséquence l’exaltation de la lignée royale capétienne comme « matrice du sentiment national français » (p.25) au sein d’un royaume disparate.

Le temps des défaites sous Philippe VI

Pour le royaume de France, les premières années sont marquées, pour le royaume de France par une multiplication des désastres militaires. La première victoire significative d’Edouard III est celle de L’Ecluse, l’avant-port de Bruges, en 1340. Philippe VI doit combattre sur trois fronts : la Guyenne, la Flandre (qui s’est révoltée sous l’autorité du charismatique Jacques Van Artevelde) et la Bretagne qui connaît une guerre de succession à partir de 1341 provoquant l’intervention des Anglais qui débarquent à Brest. Les chevauchées anglaises comme celle dirigée par Henri de Lancastre en 1345 en Périgord et en Limousin ou celle à travers la Normandie en 1346 qui se termine par le massacre de Caen ravagent le royaume. L’armée de Philippe VI rattrape l’armée anglaise à Crécy. Lors de la bataille, les lignes françaises disciplinées finissent par se briser sous un déluge de flèches. Edouard III remonte vers le Nord et assiège Calais. Le 4 août 1347, après 11 mois de siège, les bourgeois et la garnison se rendent. La Grande Peste vient accélérer la crise en France. La noblesse, endettée et vaincue, doit trouver l’argent nécessaire au paiement des lourdes rançons (évaluées sur la base des revenus antérieurs à la crise). En 1347, Philippe VI laisse les rênes du pouvoir à son fils Jean qui exercera la plénitude du pouvoir à la mort de son père en 1350.

Le désastre continue sous Jean II le Bon

Dès les premières années de règne, les difficultés s’accumulent pour Jean II le Bon :

  • Charles de Navarre, gendre du roi, fait assassiner le nouveau connétable Charles d’Espagne en 1354. Depuis ses terres normandes, il se rapproche des Anglais qui contrôlent toute la façade atlantique depuis le traité de Guînes. Jean II le Bon tente d’intervenir : c’est le début d’une guerre civile qui durera plusieurs années mais avec intermittence. Charles de Navarre conspire même afin de monter le dauphin Charles contre son père, ce qui lui vaut d’être arrêté et emprisonné. En 1356, les Anglais débarquent en Cotentin afin de prêter main forte à leur allié qui est finalement délivré l’année suivante.
  • En 1355, les bourgeois de Paris, avec le prévôt des marchands Etienne Marcel à leur tête, se montrent de plus en plus mécontents du mauvais usage qui est fait de leur argent. Le prévôt veut remédier au « désordonné et mauvais gouvernement » du royaume.
  • A partir de 1355, le « Prince noir », lance des chevauchées dévastatrices en Languedoc, en Périgord, en Limousin et en Saintonge. De nombreuses places tombent entre ses mains. En 1356, il monte vers la Loire ce qui provoque la déroute de Poitiers (19 septembre 1356) où Jean II le Bon est capturé ainsi que de nombreux autres nobles français. En l’absence du roi, le dauphin Charles tente de diriger le royaume mais doit composer avec les Etats généraux  qui se veulent « l’expression d’une volonté collective de changement » (p.82). Les « prélats, bourgeois et nobles sont convaincus de l’urgence de la situation et sont prêts à des concessions mutuelles » (p.82).
  • En 1357, un projet de traité est conclu entre les deux royaumes, il prévoit la cession en toute souveraineté d’un tiers du royaume ainsi que le versement d’une rançon de 4 millions d’écus d’or. Charles de Navarre, qui tente d’exister politiquement, essaye de convaincre Etienne Marcel de rejeter le traité …

 

Partie 2 – L’œuvre inachevée

1358 : l’année de tous les dangers

A Paris, Charles le Navarre complote et tente de diviser ses adversaires (ce qui lui vaudra le surnom de Charles le Mauvais). Le dauphin Charles tente de s’imposer tandis que Etienne Marcel entre dans la voie de la radicalisation politique. Le 22 février 1358, les premiers massacres ont lieu dans la capitale (les maréchaux de Normandie et de Champagne), les lieux du pouvoir sont occupés tandis que le prévôt harangue la foule et pénètre jusque dans les appartements privés du dauphin. Ce dernier retrouve vite sa liberté et va faire en sorte d’isoler Etienne Marcel.

A la fin du mois de mai 1358, dans le Valois, des nobles sont massacrés, la révolte se propage rapidement dans le Beauvaisis et en Picardie : c’est la Grande Jacquerie. Les nobles sont discrédités par les défaites, par la capture du roi et par l’insécurité qui règne dans les campagnes. Etienne Marcel lance les milices parisiennes à l’assaut des châteaux de l’Île-de-France. Charles de Navarre réprime violemment la révolte et entre dans Paris où il est finalement accueilli par le prévôt des marchands qui le fait élire capitaine de Paris, les soudards anglais et navarrais sont désormais présents dans la capitale. La situation est rapidement confuse : le dauphin à la tête d’une armée rallie la noblesse, les Parisiens s’en prennent aux mercenaires anglais du roi de Navarre, ce dernier se replie à Saint-Denis, les Anglais mènent des représailles violentes … Etienne Marcel est rendu responsable de cette situation. Le 31 juillet, il est massacré par la foule et le surlendemain le dauphin entre dans la capitale sous les acclamations des Parisiens.

La paix de Brétigny et ses conséquences

Charles de Navarre se réconcilie avec le dauphin alors qu’Edouard III se prépare à nouveau à livrer combat en France. En 1359, la guerre ravage le Nord du royaume. Le roi d’Angleterre assiège Reims où il compte se faire sacrer roi de France mais, faute de vivres, le siège est levé après seulement 9 jours ! En avril 1360, à proximité de Chartres, son armée est balayée par des pluies diluviennes … Edouard consent enfin à traiter ! Le 3 mai 1360, par le traité de Brétigny, le roi d’Angleterre renonce au trône de France alors que Jean II le Bon cède la Guyenne, le Saintonge, le Poitou, le Périgord, le Limousin, le Quercy, l’Agenais et le Rouergue. Le roi doit aussi s’acquitter d’une rançon de 3 millions d’écus payable en six ans. Le 8 juillet 1360, Jean II le Bon est enfin libéré. Les implications de cette paix sont nombreuses :

  • La difficile, voire impossible, réinsertion des gens de guerre pousse sur la route des bandes de Gascons, Bretons ou Anglais. Ils se rassemblèrent même dans la « Grande Compagnie » composée de plus de 10 000 hommes !
  • Avec l’institutionnalisation progressive des négociations entre les commissaires royaux et les représentants des trois ordres afin de solliciter des subsides déjà sous le règne de Jean II le Bon, « le royaume était mûr pour accepter de profondes réformes fiscales » (p.108) après la paix de Brétigny : une imposition directe et indirecte reposant à la fois sur les transactions commerciales et sur les fouages (remplacés le siècle suivant par la taille).
  • Charles V, devenu roi en 1364 à la mort de son père, profite des tensions entre le Prince noir et les seigneurs du Sud-Ouest (comte d’Armagnac, les Albret) à propos de la fiscalité afin de dénoncer le traité de Brétigny et de reprendre la guerre avec Edouard III. En janvier 1369, le duc d’Anjou envahit le Rouergue et le Quercy.
La reconquête de Charles V

Edouard III est affaibli par les lourdes dépenses occasionnées par la défense de Calais et de la Gascogne. Les revenus de Charles V sont désormais deux à trois fois supérieurs à ceux de son adversaire. Le roi de France en profite pour jeter les bases d’une armée permanente même si cette œuvre reste inachevée, la guerre restant largement le monopole des nobles. Mais dans les villes, grâce à des exemptions fiscales, des compagnies d’archers et d’arbalétriers voient le jour. Si elles ne peuvent être envoyées en campagne, elles forment « des forces d’appoint semi-professionnelles » (p.126) à utiliser sur quelques jours afin de participer à des sièges par exemple. Aussi, l’administration militaire, entre les mains du roi et d’une quarantaine de capitaines, devient plus stable et efficace : paiement de la solde régulier, harmonisation des effectifs, … La conduite de la guerre est, quant à elle, décentralisée entre les quatre frères : le roi, le duc de Berry, le duc d’Anjou et le duc de Bourgogne. Dans le Sud-Ouest, la stratégie politique de Charles V visant à rallier les villes et les nobles (le comte d’Armagnac, celui du Périgord, les Albret) est un succès, les ralliements se multiplient.

En 1369, au Nord, la campagne normande depuis Calais menée par le troisième fils d’Edouard III, Jean de Gand le nouveau duc de Lancastre, est un véritable échec. En 1373, la nouvelle chevauchée qui le mène de Calais à Bordeaux ne sera pas non plus un franc succès. En 1370, la chevauchée de Robert Knolles de la Normandie à la Bretagne en passant par la Beauce est stoppée par les exploit du connétable Du Guesclin et de Olivier de Clisson. En 1373, le duc de Bretagne Jean de Montfort s’exile en Angleterre, seuls Brest et Derval sont aux mains des Anglais ! En 1372, le Prince noir et son frère Jean de Gand assistent impuissants à l’effondrement de la Guyenne anglaise qui est ramenée à ses dimensions des années 1340.

En quelques années, Edouard III (aidé par son fils le duc de Lancastre) a « dilapidé en pure perte la plus grande partie des ressources fiscales » (p.141). A partir de 1375, s’ouvre des périodes de trêves qui permettent à Charles V de neutraliser Charles de Navarre.

Une fin de règne difficile

Mais les dernières années du règne de Charles V sont aussi marquées par le soulèvement de la Bretagne et par le retour de Jean de Montfort, par le Grand Schisme entre Clément VII (reconnu par le roi de France) et Urbain VI, par des révoltes antifiscales dans le Midi liées à la hausse des fouages ainsi que par une nouvelle chevauchée anglaise dirigée cette fois par le comte de Buckingham (dernier fils d’Edouard III) en 1380.

 

Partie 3 – Effondrement

Le « gouvernement des oncles »

A la mort de Charles V en 1380 se met en place un gouvernement collégial sous la domination des oncles du nouveau roi le jeune Charles VI (12 ans). Les princes se répartissent bien sûr « avec une très grande générosité les revenus, les charges et les  délégations de pouvoir » (p.158). De 1380 à 1382, le « gouvernement des oncles » doit faire face au soulèvement des villes. Parti des Etats généraux de Paris, les soulèvements gagnent toute la France. En réalité, ce contre quoi on s’insurge « n’est pas le principe de l’impôt, mais le droit que s’était arrogé le souverain de le lever à sa convenance et de sa propre autorité » (p.160). La répression met fin aux contestations et permet de rétablir les impôts à un niveau élevé. Les années 1380 sont marquées par des trêves entre les deux royaumes et par l’émancipation des souverains. En Angleterre, Richard II devient le nouveau roi en 1377, mais lui aussi sous le contrôle de ses oncles, il faut attendre 1389 pour qu’il s’en émancipe. L’année précédente, Charles VI avait fait de même !

Le règne personnel de Charles VI

Le règne personnel de Charles VI fut bref : 1389 à 1392. Il débute par une grande tournée triomphale dans le Midi. Ce voyage qui est « une entreprise de communication politique totale » (p.173) fait suite à tout un train de mesures visant à réduire le nombre et le coût des offices royaux qui est pour l’auteur le première « révision générale des politiques publiques » de l’histoire (p.173). Mais dès 1392, les premiers signent de la folie du roi apparaissent. Les périodes de rémission et de rechute se succèdent ensuite à intervalles de plus en plus rapprochées. Pour Amable Sablon du Corail, Charles VI présente tous les symptômes d’une schizophrénie aiguë : crises de fureur, de violence, délires paranoïaques, prostration, mélancolie, … Les oncles et les cousins du roi reprennent alors le pouvoir et éliminent les conseillers.

Vers la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons

Apparaît ici Louis d’Orléans, le frère du roi, qui est dévoré d’ambition et qui jalouse ses oncles puissants et notamment Philippe le Hardi le duc de Bourgogne. Ce dernier commence alors « à former autour de lui un véritable parti, doté d’un programme politique dont l’objectif affiché était la réduction des dépenses publiques, la moralisation du gouvernement royal et surtout la sobriété fiscale » (p.178). Pour l’auteur, Philippe le Hardi est sûrement insincère mais ce programme est loin d’être irréalisable. Il serait donc faux de l’accuser de démagogie. Philippe meurt en 1404 laissant la place à son fils Jean sans Peur. Louis d’Orléans contrôlant le Conseil du roi réussit à couper les vivres à son cousin. En 1405, le duc de Bourgogne entre dans Paris à la tête d’une armée de 1000 hommes afin de prêter hommage au roi de France … et de démontrer sa force ! Les hostilités reprennent avec l’Angleterre qui voit Richard II être destitué, arrêté et remplacé par son cousin le duc de Lancastre qui devient le roi Henri IV. Les échecs militaires de Louis (en Guyenne) et de Jean (à Calais) ne font qu’exacerber les tensions. Une trêve est tout de même décidée en 1407.

Le 23 novembre 1407, Jean sans Peur fait assassiner son cousin. Après s’être enfuit, il avoue finalement le meurtre et l’assume : « il a libéré le royaume d’un tyran » (p.183) ! Il entre à Paris, acclamé par la foule, le 28 février 1408. Le Conseil royal lui pardonne le crime. La famille d’Orléans réclame justice, « la machine infernale est lancée » (p.184). En 1410, Charles d’Orléans épouse la fille du comte d’Armagnac (Bernard VII), mais le duc d’Orléans étant encore jeune, c’est son beau-père qui prend la tête du parti orléaniste. Ces « Armagnacs » sont les farouches adversaires des « Bourguignons ». Les deux camps livrent le royaume à une véritable guerre civile. Pour Amable Sablon du Corail, c’est aussi la naissance de deux partis politiques car les membres adhèrent à un idéal : « pour les Armagnacs, l’obéissance au roi, et pour les Bourguignons, le bon gouvernement » (p.186). Les années qui suivent sont complexes et confuses, faites de flux et de reflux des deux camps.

Henri V, un roi conquérant

En 1413, Henri IV meurt, son fils Henri V lui succède. La guerre reprend entre les deux royaumes. Si les Armagnacs demandent l’aide du nouveau roi d’Angleterre en 1411, ils se rétractent finalement et font la paix avec les Bourguignons. En 1415, Henri V débarque et réussi (malgré de très lourdes pertes) à prendre le port d’Harfleur qui contrôle le trafic à l’entrée de la Seine. Les armées françaises et anglaises se retrouvent face à face en Artois, près du château d’Azincourt. La déroute française lors de la célèbre bataille est un désastre pour le parti armagnac dont les chefs sont tués ou emprisonnés.

En 1417, le nouveau dauphin Charles (après les décès de ses frères Louis et Jean), âgé de 14 ans, est sous la garde du comte d’Armagnac qui est connétable de France et gouverneur du royaume. Jean sans Peur accuse le comte d’Armagnac d’avoir fait empoisonner l’ancien dauphin et diffuse cette information dans une lettre patente envoyée dans toutes les villes du royaume. L’impopularité des Armagnacs fait basculer les villes du Nord dans le camp bourguignon (Rouen, Reims, Troyes, …) puis celles du Languedoc. Fort de ses succès militaires, Jean sans Peur établit avec la reine Isabeau un gouvernement provisoire à Troyes. Paris reste sous domination armagnac. C’est dans ce contexte que Henri V débarque, le 1er août 1415, en Normandie. Il prend Caen (où il installe son administration), Lisieux, Bayeux, …

 

Partie 4 – L’épreuve de force

Vers le « schisme royal » : la naissance du parti delphinal

Dans la nuit du 28 au 29 mai 1418, les Bourguignons investissent la capitale et profitent de l’insurrection générale afin de prendre le contrôle du gouvernement légal. Grâce à Tanguy du Châtel, le dauphin Charles réussit à s’enfuir. Dans les semaines qui suivent, la fureur populaire donne lieu à des massacres contre les Armagnacs (le connétable et le chancelier) ou supposés tels. Le parti armagnac n’existe plus véritablement étant donné que la plupart de ses chefs sont désormais morts.

C’est alors que techniciens du droit et des finances comme Jean Louvet, des clercs ainsi que Tanguy du Châtel ou des capitaines constituent le noyau du nouveau parti delphinal en installant un gouvernement en exil. Leur mémoire a été « flétrie » par les chroniqueurs du temps repris par les historiens du XIXe s.. En réalité, ils ne sont ni extrémistes ni corrompus (en tout cas pas plus que leurs adversaires). Charles transfert le Parlement à Poitiers. Il est le lieutenant général du royaume mais cette charge étant révocable, il lui faut consolider sa légitimité. Son Conseil le proclame régent du royaume (26 octobre 1418) « en raison de l’empêchement de son père, captif et malade » (p.206) : c’est le « schisme royal ».

Du meurtre de Montereau au traité de Troyes

Henri V, fort de la prise de Rouen, se montre arrogant et exigent ce qui pousse le dauphin et Jean sans Peur à faire la paix en juillet 1419. C’est alors que, le 10 septembre, Charles fait assassiner Jean sans Peur lors de l’entrevue de Montereau. Henri V tente de profiter de cet évènement, il revendique le trône de France ! Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne, se rapproche des Anglais et à partir de là les évènements se précipitent. Charles VI déclare que son fils est indigne de lui succéder (janvier 1420) puis, le 21 mai le traité de Troyes est ratifié par les deux rois : après la mort de Charles VI, la couronne de France reviendra à Henri V et à ses héritiers ! Amable Sablon du Corail, réévalue ici une historiographie à la vie dure : ce traité ne visait pas à angliciser la France (il prétendait plutôt préserver les spécificités culturelles et juridiques) et il n’est en rien une trahison des élites alors que le peuple serait resté attaché à sa fidélité aux Valois (évêque Cauchon / Jeanne d’Arc). Enfin, pour l’auteur, le traité de Troyes offre au dauphin Charles « le monopole de la France » (p.214) en résistant à l’envahisseur anglais et en restant loyal à la dynastie des Valois. Si le meurtre de Montereau est un « désastre à court terme » pour le dauphin, il est surtout une « victoire stratégique à long terme » (p.215) !

La mort d’Henri V et de Charles VI

Dans les années qui suivent, la conquête anglaise s’enlise face à la résistance comme le souligne la difficile expédition d’Henri V en 1421 de Calais jusqu’à Meaux. Celui-ci meurt à Vincennes, le 31 août 1422 (dysenterie ?). Un conseil de régence est constitué, la première place revient à Jean de Lancastre, duc de Bedford. Dans le même temps, l’habileté politique du dauphin et de ses conseillers à l’égard des grands seigneurs et des notables des villes (notamment en termes de communication) fait basculer le Languedoc dans le camp royal. Le 21 octobre 1422, Charles VI meurt, Charles VII devient roi.

L’effondrement du « royaume de Bourges »

Affaibli par son isolement politique et affectif, on assiste durant quelques années à un effondrement psychologique de Charles VII pour qui les défaites vont se succéder. Les Anglo-Bourguignons s’emparent de Compiègne, de Guise ou de Sézanne et remportent la victoire de Verneuil, le « nouvel Azincourt ». C’est là que la belle-mère du roi, Yolande d’Aragon prend les choses en main. Elle s’emploie à réconcilier son gendre avec les princes du royaume … sans grand succès. Louvet, Tanguy du Châtel et Martin Gouge sont remerciés et remplacés par des princes et grands seigneurs (le comte de Richemont devient connétable). L’effondrement des subsides octroyés par les Etats Généraux explique l’inertie française face aux assauts anglais (Le Mans capitule en 1425). Les intrigues et les « révolutions de palais » (p.231) autour de Richemont et de La Trémoille affaiblissent un peu plus l’autorité royale et ses déchirements donne l’impression d’une « guerre civile dans la guerre civile » (p.229). Dans ce contexte confus, le duc de Bedford et le comte de Salisbury se montrent offensifs, ils reprennent de nombreuses places (Nogent-le-Roi, Beaugency, Sully-sur-Loire, …) et ils arrivent le 12 octobre 1428 sous les murs d’Orléans … Plutôt que siège, Amable Sablon du Corail préfère parler de blocus étant donner qu’il est possible d’entrer dans Orléans par le fleuve.

Jeanne d’Arc : le tournant de la guerre de Cent Ans

L’auteur revient ici sur l’épopée johannique qui intervient dans un contexte marqué par une ferveur religieuse et une attente prophétique profondes. Le parcours de Jeanne, du  Barrois mouvant (la partie du duché de Bar à cheval sur la France et l’Empire germanique) à Chinon, est ici brièvement retracé. La « théologie politique » de l’époque fait d’elle « l’instrument privilégié de Dieu dans la perspective des fins dernières » (p.241). Jeanne est accueillie triomphalement à Orléans le 29 avril 1429. Le nouvel élan français permet de reprendre le bastille Saint-Loup et le châtelet des Tourelles. Le 8 mai, les capitaines anglais lèvent le camp. Puis, c’est au tour de Jargeau et de Beaugency de tomber. A Patay (Beauce), l’armée anglaise est mise en déroute. Les ralliements des villes se multiplient : Troyes, Châlons et Reims. Dans cette dernière, Charles est sacré le 17 juillet 1429. Vient ensuite le tour des villes en Champagne, Vermandois et Picardie. La domination anglo-bourguignonne s’effondre. Mais, l’enchantement côté français se termine lorsque Jeanne est blessée porte Saint-Honoré à Paris, le 8 septembre. Paris reste « fermement bourguignon » (p.249). Jeanne est finalement capturée par les Bourguignons à Compiègne lors d’une sortie de la garnison. Vendue aux Anglais, elle est jugée et brûlée vive à Rouen le 30 mai 1431. A la fin de la même année, Henri VI est sacré à Paris. Ce sacre « au rabais » est pour l’auteur une faute politique de la part des Anglais.

La paix d’Arras

Les années qui suivent sont à nouveau confuses et faites de victoires et de défaites des deux côtés qui mènent finalement à la paix d’Arras en 1435. Philippe le Bon obtient de Charles VII qu’il reconnaisse sa responsabilité dans l’assassinat de Montereau. Il est dispensé d’hommage féodal pour les possessions qu’il tient de Charles VII et il obtient plusieurs fiefs (comtés d’Auxerre, de Mâcon, de Boulogne-sur-Mer …). Pour le roi de France aussi c’est une  victoire politique car Philippe le Bon renonce à l’alliance avec l’Angleterre et il reconnaît Charles VII comme seul roi légitime. Le duc de Bourgogne reste le vassal du roi de France.

La reprise de la guerre, Paris redevient français

La paix avec les Bourguignons ne peut que relancer la guerre avec les Plantagenêts. Les États généraux vont permettre à Charles VII de rétablir les aides sur les transactions commerciales et sur le vin vendu au détail afin de financer la guerre. Des émeutes éclatent comme à Lyon mais le roi se fait obéir par la répression. A partir de là, les recettes fiscales françaises sont en hausse ce qui n’est pas le cas de l’Angleterre qui est obligée d’accroître la pression fiscale sur la Normandie … des révoltes éclatent aussi. Charles VII, aidé par le connétable de Richemont (revenu en grâce), en profite : après Vincennes et Pontoise, c’est Paris qui est repris aux Anglais en avril 1436 ! Dans les années qui suivent, la dépression économique freine cette embellie française.

 

Partie 5 – Renaissance

Le triomphe de Charles VII

Au début des années 1440, Charles VII prend à bras le corps un problème ancien : soumettre les princes et grands seigneurs encore récalcitrants. Le défi est relevé lors de la Praguerie en 1440. Le duc de Bourbon, le jeune duc d’Alençon, le comte de Vendôme ou encore le bâtard d’Orléans « retournent » le dauphin Louis (16 ans) contre son père. Pour Amable Sablon du Corail, cette révolte porte bien mal son nom tant elle a « peu à voir avec le mouvement hussite, véritable révolution religieuse et politique à laquelle avaient adhéré de très larges couches de la population tchèque » (p.281). La rébellion est écrasée par les capitaines royaux et finalement, à Cusset, le futur Louis XI et le duc de Bourbon finissent par se soumettre. Désormais, les grands seigneurs ne revendiquent que le rôle de premier serviteur et s’effacent derrière le souverain : c’est « l’aboutissement d’un long processus commencé au cœur même de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons » (p.285). La communication, parfaitement rodée, joue ici un rôle essentiel. Le roi en utilisant tous les moyens à sa disposition distribue rémissions, récompenses et punitions. Deux ans après la Praguerie, Charles VII réussit à nouveau à s’imposer face aux grands seigneurs lors de l’assemblée de Nevers en revendiquant la souveraineté pleine et entière tout en essayant de les associer … subtile et fragile équilibre !

La reprise de la guerre avec les Anglais

Charles VII, fort de ce succès intérieur, se consacre à la guerre contre les Anglais. Affaibli par la défection de la noblesse, sans ressources financières et fragilisé devant son Parlement, Henri VI ne tient plus que difficilement la Guyenne et la Normandie. De Pontoise à Tartas, les Français s’imposent de 1441 à 1443. Pour l’auteur, Henri VI et son Conseil sont désormais « trop faibles pour faire accepter à l’opinion anglaise une paix qu’elle aurait jurée déshonorante » (p.292) et ce désir est même perçu comme « une preuve de sa faiblesse et, finalement, de son indignité à occuper le trône » (p.294). Les réalités matérielles et financières des deux royaumes poussent à la conclusion d’une trêve courte en 1444 qui sera reconduite régulièrement dans les années suivantes … la lassitude contraste encore avec l’intransigeance.

L’affirmation de la présence française à l’Est

Charles VII en intervenant à l’Est (il s’installe à Nancy chez son beau-frère René d’Anjou) réaffirme la présence royale aux frontières de l’Empire des Habsbourg. Les « écorcheurs » du dauphin Louis sèment le chaos en Alsace. L’influence française est rétablie sur les marges occidentales de l’Empire. Toul et Verdun  se placent sous la protection du roi … cette intrusion française de 1444-1445 prépare l’annexion de 1552 !

Charles VII révolutionne l’armée

En 1445, Charles VII publie une ordonnance royale qui instaure l’armée permanente. En effet, afin de remédier aux pillages, on opère à une sélection parmi les gens de guerre afin de n’en garder que les plus « avouables ». Le texte a été perdu, seul une traduction catalane est conservée dans les archives de Barcelone. Pour Amable Sablon du Corail cela souligne « à la fois son caractère circonstanciel – on n’a pas jugé utile de la faire enregistrer par les grandes juridictions du royaume pour en garder la mémoire à long terme -, mais aussi de son importance, perçue au-delà des frontières du royaume » (p.302). La conséquence en est un tour de vis voire un matraque fiscal avec un transfert des charges à tout le royaume. Aussi, Charles VII ressuscite le ban et l’arrière-ban qu’il restreint aux seul fieffés afin d’en faire une force de réserve, mobilisable en cas d’urgence, sorte de complément de l’armée permanente. Enfin, en 1448, les roturiers sont eux aussi mis à contribution. Le roi crée le corps des « francs archers » composé de 8000 hommes recrutés dans tout le royaume à raison d’un volontaire par paroisse. Ils ne sont payés que pour la durée de leur service.

La reconquête de la Normandie

A la fin des années 1440 et au début des années 1450, l’effondrement de l’Angleterre lancastrienne, lié à une dette colossale ainsi qu’à l’incohérence de la politique anglaise, précipite la victoire française. Le 31 juillet 1449, aux Roches-Tranchelion, Charles et son conseil élargi dénoncent les trêves. Les places normandes tombent les unes après les autres : Rouen (octobre 1449), Harfleur (janvier 1450), Honfleur (février 1450), … En Angleterre le gouvernement du duc de Suffolk est mis en accusation, ce dernier est même décapité. Le 15 avril 1450, la victoire « sophistiquée » de Formigny, « à mille lieues des assauts massifs » de Crécy ou Azincourt (p.322), vient couronner de succès la politique et la tactique françaises. D’avril à août, les dernières places normandes tombent : Bayeux, Caen et enfin Cherbourg. En seulement un an, Charles VII a fait la reconquête de toute la Normandie ! Le royaume, d’un point de vue fiscal, profite de cette reconquête qui se traduit par allégement des impositions directes étant donné que le roi peut lever à nouveau des impôts dans la région reconquise (après 1452, sans même le consentement des états de Normandie !).

La reconquête de la Guyenne

A l’automne 1450, la décision est prise de conquérir la Guyenne. Les forces françaises dirigées notamment par le comte de Dunois reprennent facilement et rapidement Bergerac, Jonzac, Blaye, Bourg, Fronsac, et Castillon. Dès le 30 juin 1451, Dunois entre dans Bordeaux ! En août, Bayonne capitule … en quatre mois la conquête est déjà terminée. En Angleterre, le pouvoir d’Henri VI est plus que jamais fragilisé mais une expédition dirigée par Talbot est tout de même envoyée en 1452. Bordeaux et les villes environnantes accueillent les Anglais en « libérateurs ». La fin de cette expédition a lieu lors de la bataille de Castillon, le 17 juillet 1453. Bordeaux ne tarde pas à se rendre.

 

Partie 6 – Les clés de la victoire

Si le règne de Charles V marque un tournant important aussi bien du pont de vue politique, militaire que fiscal, celui de Charles VI retarde « l’achèvement ce processus d’affirmation de la souveraineté royale fondé sur l’absolutisme fiscal » (p.339) et il faut attendre celui de Charles VII (malgré les difficultés de départ) afin d’achever la victoire des Valois. Ici, l’auteur trace « une trajectoire d’ensemble », « à la faveur d’un recul de six siècles » (p.340) afin d’expliquer les facteurs du succès français – facteurs qui apparaissent en filigrane tout au long de ce consistant ouvrage.

  • la volonté de Charles V et de Charles VII (forts du sentiment du bien-fondé de leur cause) qui contraste avec les hésitations de Philippe VI ou de Jean II le Bon.
  • une communication bien maîtrisée usant avec habileté de sobriété et d’hypocrisie au service de la « religion royale » et balayant à l’avance toute contestation d’une dynastie élue par Dieu. L’auteur s’intéresse notamment aux lettres patentes et closes où les rois de France, habilement, prient et ordonnent en même temps ! Avec le temps, « l’injonction impérative (…) l’emporte sur la prière » (p.347).
  • la naissance d’une fiscalité moderne au service de la guerre. Lors des assemblées, « les rois ne veulent surtout pas négocier ; ils veulent seulement faire constater par les élites du royaume l’état de nécessité dans lequel ils se trouvent et qui justifie la levée de l’impôt : ce sont des liturgies civiques, destinées à fabriquer le consensus » (p.350). Avec le temps, en dehors de cette approbation, le reste est laissé à la discrétion du roi. La deuxième étape de la révolution fiscale intervient lorsque Charles VII répartie la charge de l’armée permanente sur tout le royaume.
  • l’intégration des périphéries à la France royale utilisant ainsi tout le potentiel du royaume. L’invasion du territoire et le temps du royaume de Bourges, en délocalisant les lieux de pouvoir, ont joué un rôle particulièrement important.
  • la domestication des bourgeois et des villes qui fait suite à des temps de méfiance, de soulèvement, de répression et d’apaisement. La distribution de faveurs politiques, fiscales ou commerciales facilitent cette domestication surtout durant les règnes de Charles VII et de Louis XI.
  • le ménagement de la noblesse qui mène à son triomphe. En effet, « après deux siècles de guerre, le régime seigneurial a survécu, les nobles échappent à l’impôt moderne, et la monarchie leur offre de très nombreux emplois d’officiers, dans l’administration civile, et d’hommes d’armes dans la première permanente d’Europe » (p.380).

 

 

Basé sur un travail impressionnant, Amable Sablon du Corail nous livre ici un récit passionnant de la guerre de Cent Ans. Cette confrontation intérieure et extérieure permet aux Valois de mettre en œuvre une stratégie globale (politique, militaire, fiscale ou idéologique) s’inscrivant dans le long processus d’affirmation de la souveraineté royale et de l’absolutisme royal. Un ouvrage forcément utile afin de mieux comprendre la construction de l’État monarchique en France, question nouvelle au Capes externe d’histoire-géographie.

 

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX