*
Les Éditions Autrement, bien connues pour leur remarquable collection d’Atlas des guerres, font paraître un tome consacré à la guerre froide, écrit par Lawrence Freedman, publié en 2001 sous le titre The Cold War, et donc traduit de l’anglais. L’auteur, chercheur au Département des études stratégiques du King’s college, de Londres, est célèbre parmi les spécialistes de l’histoire militaire pour avoir écrit ce qui est probablement l’ouvrage fondamental sur la question, The evolution of Nuclear strategy (1e édition 1981).
*
L’ouvrage est divisé en huit chapitres, essentiellement chronologiques. Dans le premier, l’auteur étudie les origines de la guerre froide, classiquement fille de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à une excellente analyse de la guerre de Corée, classique mais bien détaillée.
La course aux armements est l’objet du deuxième chapitre : l’évolution des armements entraîne naturellement l’évolution des doctrines. On y touchera du doigt comme jamais le saut tant qualitatif que quantitatif de la bombe à hydrogène, les menaces de représailles massives entraînant la limitation des conflits. On y lira avec un certain effroi les scénarios improbables de première et de seconde frappe.
La gestion des crises est traitée dans le troisième chapitre : certaines sont classiques (Berlin, Cuba), d’autres sont plus rarement évoquées dans la littérature spécialisée (la baie des Cochons). Le cas de la France (« de Gaulle le dissident ») est abordé d’une manière qui pourra surprendre, mais éclairera le lecteur sur la vision anglo-saxonne du monde… La doctrine de Destruction Mutuelle Assurée est étudiée en détail.
Le quatrième chapitre est tout entier consacré au Viêt Nam. La synthèse est excellente, notamment concernant le régime du Sud, dont l’histoire est souvent méconnue. La cartographie et l’iconographie, très présentes, soutiennent parfaitement le propos.
Le cinquième chapitre traite de la détente. La puissance soviétique est analysée de près, puis le contrôle des armements. On redécouvre ensuite longuement l’art opérationnel, étrange partie qui évoque un conflit conventionnel aux portes de la catastrophe nucléaire.
Dans le sixième chapitre, l’auteur analyse les leçons tirées par les grandes puissances des conflits régionaux, dont on ignore trop souvent l’extrême importance : guerres indo-pakistanaises, conflit israélo-arabe, guerre des Malouines, guerre Iran-Irak, Afghanistan.
Le septième chapitre traite de la fin de la guerre froide, de la célèbre Initiative de Défense Stratégique du président Reagan, de la chute du Mur de Berlin et de l’Europe communiste.
Le livre se clôt dans le chapitre 8 sur « la guerre qui n’a pas eu lieu ». La guerre du Golfe de 1991 est évoquée rapidement, et son importance – très nettement ambivalente – est clairement mise en lumière. Les derniers paragraphes remettent la guerre froide dans sa perspective historique longue, comme apogée de l’affrontement des grandes puissances des XIXe et XXe siècles, avec des concepts classiques tels que luttes d’influence et équilibre des forces.
*
Quelques coquilles à signaler.
Certaines coquilles ont échappé à la vigilance de l’éditeur. Le terme « containment » aurait dû être classiquement traduit par « endiguement », mais on lit… « indignement » (p. 30). Quatre pages plus loin, les légendes mélangent la fission et la fusion nucléaire.
Une exceptionnelle maîtrise des concepts, un peu trop de rapidité sur les faits.
Lawrence Freedman maîtrise en effet parfaitement son sujet. Trop, peut-être. Il s’attache avant tout à l’évolution des doctrines nucléaires. Jamais le lecteur n’entrera si bien dans la psychologie des chefs de gouvernement et des Etats-majors. Jamais comme dans les œuvres de Freedman il ne décortiquera si bien l’évolution des doctrines stratégiques. Pourtant, on pourra déplorer un rythme un peu rapide sur la description des faits. De même, sans vouloir faire d’histoire marxiste, on peut légitimement montrer quelque prudence devant cette Histoire qui se fait presque exclusivement dans la tête des dirigeants.
Un Atlas très richement illustré.
Environ 120 photographies illustrent l’ouvrage. C’est beaucoup, et c’est tant mieux. Certaines n’ont qu’un intérêt anecdotique, mais la plupart enrichissent la réflexion. Certaines sont classiques, d’autres plus inattendues. C’est un atout incontestable pour cet Atlas.
Une cartographie parfois décevante.
Les cartes sont d’abord décevantes par leur faible nombre : 23 cartes pour 224 pages, c’est peu pour un ouvrage qui s’intitule Atlas. Pour quelques cartes classiques et de bonne facture (Corée, Berlin, Vietnam…), beaucoup d’autres auraient gagné à un meilleur traitement sémiologique : celle sur la prolifération nucléaire, par exemple, où les couleurs sont trop peu séparatives ; celle des raids Linebacker de 1972 sur le Vietnam, dont l’échelle – trop petite – rend la lecture des objectifs délicate. Enfin, certains lecteurs resteront peut-être sceptiques devant ces essais de cartographie qui reproduisent la courbure de la terre, ces villes qui flottent dans l’air, et les trouées de Fulda qui n’apparaissent que parce qu’on précise leur nom.
*
Cet Atlas de la Guerre froide est donc moins un Atlas qu’une synthèse d’histoire militaire. Ce fait posé, on trouvera dans l’ouvrage de Freedman des idées lumineuses sur cette « guerre de cinquante ans » qui manqua précipiter le monde dans le chaos et s’est finalement résolue sur les performances de chaque système… en temps de paix !