Ce livre est issu de la thèse de doctorat soutenue en 2011 par Vincent Artuso (président du jury, Henri Rousso) à l’Université du Luxembourg (directeur de thèse Michel Pauly) et effectuée en cotutelle avec l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne (directeur de thèse Pascal Ory).

Une ferme remise en cause du mythe résistancialiste, fondateur du « roman national luxembourgeois »

Ce livre est important du point de vue historiographique, et il est appelé à faire date au Luxembourg car il est le premier à traiter aussi rigoureusement de ce qui est présenté par son auteur comme un sujet « tabou » : la collaboration au Luxembourg. Il a jeté une pierre dans le consensus du « roman national » luxembourgeois.

Le mythe fondateur du petit pays uni dans sa lutte contre l’Allemagne nazie s’imposa rapidement après la Libération, renvoyant à la société luxembourgeoise une image valorisante. « Selon le récit officiel, le gouvernement du Luxembourg ainsi que la Grande-Duchesse Charlotte quittèrent le pays au matin de l’invasion pour se soustraire à l’emprise allemande. Ils firent cause commune avec les Alliés, d’emblée, fermement, jusqu’à la fin de la guerre. Tandis qu’ils défendaient les intérêts supérieurs du pays à partir de l’exil, le territoire national était annexé de fait pas l’Allemagne nazie (…) Soumis à une politique de germanisation brutale, le peuple se dressa unanimement contre l’occupant -à l’exception d’une poignée de criminels, d’opportunistes ou d’individus d’ascendance allemande-« . Le mythe résistancialiste dura très longtemps au Luxembourg.

Vincent Artuso démontre que le départ de la Grande-Duchesse et du gouvernement fut vécu comme une trahison par un grand nombre de Luxembourgeois, que les responsables politiques luxembourgeois restés dans le Grand-Duché, misant sur la victoire allemande en 1940 et sur la domination nazie en Europe, cherchèrent à s’intégrer dans l’Europe nouvelle, et proposèrent aux Allemands leur collaboration. Ce sont les Allemands qui la refusèrent car ils désiraient annexer purement et simplement le Luxembourg, et ils nommèrent un Gauleiter nazi pour y parvenir. Vincent Artuso démontre également que la collaboration volontaire fut assez largement répandue dans la société (près de 10 000 Luxembourgeois furent condamnés à la Libération, avec leurs familles, ils représentaient 20% de la population !), que des soldats Luxembourgeois qui n’avaient pas été enrôlés de force ont participé volontairement aux exactions nazies à l’Est et au génocide, que les autorités luxembourgeoises ont activement participé à la persécution des juifs dans le Grand-Duché.

Les remous ont été assez puissants dans le pays, à la suite de la publication et de la médiatisation des conclusions de cette thèse, pour que le Premier Ministre ait chargé Vincent Artuso de rédiger un rapport sur le sujet. Le rapport intitulé La « question juive »‘ au Luxembourg (1933-1941) : L’État luxembourgeois face aux persécutions antisémites nazies a été présenté par Vincent Artuso le 10 février 2015, en présence du Premier ministre, ministre d’État, Xavier Bettel, et du professeur Michel Pauly de l’Université du Luxembourg, co-directeur de la thèse de Vincent Artuso.

Sources et structure de l’ouvrage

Pour mener à bien son étude, Vincent Artuso s’est appuyé sur de nombreux fonds d’archives, détaillés à la fin de son introduction, où il explique avoir combiné, autant que faire se pouvait, la lecture de sources allemandes (à commencer par les rapports du SD) et luxembourgeoises. Il insiste sur l’importance de deux fonds ouverts en 2004, les fonds « Justice » et surtout « Epuration », alors que précédemment, car des études historiques précédentes existent, le fonds « Affaires politiques » avait été privilégié.

L’étude est divisée en cinq parties. Les trois premières sont chronologiques ; les deux dernières sont thématiques et portent sur des catégories socioprofessionnelles (ouvriers et agriculteurs) et sur « la collaboration en dehors des frontières ». On peut regretter que ces cinq parties et les 14 chapitres qui les composent ne comportent pas suffisamment d’introductions et de conclusions partielles, alors qu’elles auraient été utiles pour guider le lecteur. La lecture de cet ouvrage scientifique est néanmoins aisée car il est bien écrit, et les portraits de nombreux collaborateurs, le rendent assez vivant. Une bibliographie thématique en 19 rubriques complète l’ouvrage, qui ne comporte pas d’ index des noms, des individus, des organisations et des lieux. Regrettable, cette lacune est aussi étonnante car la qualité de l’édition est remarquable : couverture cartonnée, et surtout notes de bas de page, bien plus faciles à consulter.

Les choix conceptuels

Le sous-titre de l’ouvrage laisse entendre que l’auteur s’est livré a une profonde réflexion conceptuelle. En réalité il définit très brièvement les concepts sur lesquels reposent sa réflexion, sans se livrer à une démarche comparatiste, et sans que soient évoqués les nombreux travaux qui ont mobilisé ces concepts et portés sur les sociétés européennes durant les occupations des deux guerres mondiales.

Collaboration.  » Je préfère utiliser cette notion dans le sens politique de coopération d’Etat à Etat. Elle convient pour définir l’attitude adoptée par les membres de la Commission administrative et de la Commission politique face à l’Allemagne« .

Accommodation. « Elle implique l’acceptation d’un fait accompli fondé sur un rapport de force disproportionné. Ceux qui s’accommodèrent ne le firent par parce que leur conscience ou leur volonté les y poussaient mais parce qu’ils souhaitaient revenir à un semblant de normalité au milieu de circonstances auxquelles ils ne pouvaient rien changer -ou pensaient ne rien pouvoir changer. » Il est pour le moins curieux qu’aucune référence ne soit faite l’historien Philippe Burrin, créateur de ce concept.

Adaptation. « C’est un comportement plus volontariste (…) Ceux qui l’adoptèrent pensaient que le régime d’occupation était, en somme, un régime comme un autre et il était possible de lui arracher des concessions en jouant son jeu. » On remarquera que et la distinction entre accommodation et adaptation n’est ni précise, ni convaincante.

Assimilation. « Les Allemands n’exigèrent pas des Luxembourgeois qu’ils collaborent comme l’auraient fait des Français ou des Belges, mais qu’ils deviennent allemands. Pour ceux qui acceptèrent cette voie, je parlerai d’assimilation. Or, pour l’administration allemande au Luxembourg, confiée non pas à un haut fonctionnaire, mais à un dirigeant local du parti nazi, il ne suffisait pas de changer de nationalité pour s’assimiler, il fallait aussi embrasser la vision du monde national-socialiste. La problématique de l’assimilation fut à la fois nationale et idéologique« .

Pro-allemands.  » Je nommerai pro-allemands ceux qui choisirent l’assimilation. Cette désignation est dérivée de la nomenclature allemande de l’époque, et même revendiquée par les partisans luxembourgeois du Troisième Reich. Pour désigner ces derniers, les Allemands utilisaient des expressions comme  » Luxembourgeois de conviction allemande », » Luxembourgeois germanophiles » ou  » Luxembourgeois conscients de leur germanité« .

Les élites acceptent de s’intégrer dans l’Europe allemande et proposent leur collaboration

Le choix d’une adaptation à l’ordre nouveau

Le gouvernement et la famille grand-ducale furent pris au dépourvu par l’invasion allemande ; il durent gagner le sud du pays, puis, Paris, puis le Sud de la France, puis le Portugal.  » Leur départ fut vécu par de nombreux Luxembourgeois comme une désertion et ce sentiment n’allait pas s’estomper avant longtemps(…) Ce n’était pas un camp politique qui avait failli, c’était l’ensemble des partis démocratiques, puisque le gouvernement qui avait quitté le pays était issu d’une coalition entre le Parti de la Droite et le Parti ouvrier socialiste luxembourgeois« .

Les élites restées au pays, ainsi qu’une bonne partie de la population, étaient désormais convaincues que la seule solution pour préserver l’indépendance du pays était de s’adapter a l’ordre nouveau imposé par l’occupant. Deux institutions furent mises en place au Luxembourg : une Commission administrative et une Commission politique. La Commission politique rédigea une lettre adressée au ministre des affaires étrangères allemand, afin que la Grande-duchesse soit autorisée à rentrer au Luxembourg. Les autorités allemandes ne répondirent pas car leur volonté d’annexion était ferme. La Commission administrative allait donc s’engager dans une offre de collaboration avec un pouvoir allemand dont elle n’avait rien à attendre, jusqu’au moment où ce dernier estima que le temps était venu de la dissoudre.

L’annexion de fait au Reich

Le 21 juillet 1940, Gustav Simon, Gauleiter du Gau Koblenz-Trier, fut nommé chef de l’administration civile allemande au Luxembourg. Il avait pour mission d’annexer le pays au Reich, une entreprise illégale au regard du droit international. Il n’était pas un fonctionnaire, mais un cadre du parti, n’ayant de comptes à rendre qu’à Hitler. Il ne devait pas seulement rattacher le territoire du Luxembourg au Grand Reich, mais aussi germaniser la population et la nazifier. L’allemand devint la seule langue officielle du pays ; les armoiries nationales furent interdites ; le salut hitlérien fut rendu obligatoire dans les administrations ; la frontière douanière entre le Luxembourg et le Reich fut abolie et la justice fut rendue au nom du peuple allemand.

La proposition de collaboration malgré tout

Les présidents des deux Commissions envoyèrent un télégramme-manifeste à Hitler, insistant sur la volonté unanime de la population luxembourgeoise de voir maintenue la souveraineté du grand-duché, « dans le cadre du nouvel ordre européen« . Ils cherchèrent à faire signer ce manifeste par de nombreux responsables politiques, économiques, culturels, associatifs du pays. Le Gauleiter intervint, ordonna la saisie du document, et mobilisa les collaborationnistes luxembourgeois pour une puissante démonstration de force dans les rues.

En réaction, il imposa la signature d’un document par les dirigeants des chambres professionnelles, dont le titre à lui seul était un programme « Heim ins Reich », manifeste qui proclamait la volonté de ses signataires de ramener leur pays dans le foyer commun à tout le peuple allemand. La Commission politique cessa de se réunir, mais les membres de la Commission administrative ne démissionnèrent pas, alors qu’ils avaient définitivement cessé d’exister en tant qu’interlocuteurs aux yeux du Gauleiter. Au contraire,  » en contresignant les premières ordonnances du Gauleiter, unique prérogative qui leur resta, il facilitèrent l’édification de son pouvoir (…) La Commission alla même jusqu’à se compromettre dans la politique antisémite du régime »

Compromissions luxembourgeoises dans la persécution des juifs

Quand les troupes allemandes entrèrent au Luxembourg, 1700 juifs y vivaient, dont 600 à 800 étaient de nationalité luxembourgeoise. Le 5 septembre 1940, les lois de Nuremberg et la législation économique discriminatoires de 1938 furent introduites au Luxembourg ; puis elle fut aggravée. Dans un premier temps, les nazis autorisèrent et encouragèrent l’émigration vers les Etats-Unis, Cuba où la Suisse, mais à partir d’octobre 1941 toute émigration fut interdite. Les juifs du Luxembourg durent porter un brassard jaune. Les mesures antisémites furent assez largement approuvées par la population luxembourgeoise. Vincent Artuso cite un document interne d’un mouvement de résistance luxembourgeois qui est clairement antisémite. Beaucoup de Luxembourgeois considéraient les juifs comme  » une communauté étrangère inassimilable » avec laquelle « une cohabitation n’était envisageable que si le nombre des juifs restait restreint »

« C’est ce mélange d’indifférence et d’aveuglement, d’ignorance et d’incompréhension, d’antisémitisme classique et, pour certains, d’adhésion aux thèses raciales nationales-socialistes, qui expliquent qu’à tous moments et à tous les niveaux des Luxembourgeois participèrent aux persécutions contre les juifs« .

Dans leur politique de germanisation de la population luxembourgeoise, les Allemands bénéficient d’abord d’un large consentement

Construction d’un mouvement de masse pro-allemand, la Volksdeutche Bewegung

L’occupation du Luxembourg fut l’occasion pour les groupuscules d’extrême-droite de se montrer au grand jour. Les autorités allemandes contribuèrent à la création d’un parti résolument pro-allemand, favorable au rattachement au Reich. Les groupuscules durent fusionner et la naissance officielle de la Volksdeutche Bewegung (VdB) fut annoncée le 13 juillet 1940. Les éléments les plus activistes formèrent le Stosstrup, sorte de sections d’assaut du mouvement. L’organisation se structura en prenant pour modèle celle du NSDAP et ce fut le Gauleiter qui en définit la stratégie.

Le Gauleiter fut confronté à deux factions antagonistes : les partisans d’une ligne dure et ceux d’une ligne plus  » libérale ». Cette dernière rassemblait les représentants de l’armée allemande, des ministères du Reich et des élites luxembourgeoises. Ces hommes pensaient qu’il était possible de gagner les Luxembourgeois à la cause allemande, à condition de ne pas les brusquer. Il fallait annexer leur pays progressivement, en associant les élites locales au processus. L’aile dure parmi les autorités allemandes était représentée par les SS de l’antenne luxembourgeoise de la Sipo-SD ; elle défendait une germanisation radicale et autoritaire. Le Gauleiter souhaitait faire de la VdB une organisation de masse qui, en regroupant des représentants de toutes les classes de la société luxembourgeoise, témoignerait de la volonté de celle-ci d’être rattachée au Reich. Pour le SD, l’annexion devait avoir lieu coûte que coûte, quoi qu’en pensent les principaux concernés.

Les Luxembourgeois adhèrent nombreux et volontairement à ce mouvement

De sa création jusqu’au milieu du mois d’octobre 1940, la VdB connut une croissance exceptionnelle qui fut essentiellement le fait d’adhésions volontaires : l’Allemagne semblait sur le point de gagner la guerre, le pays était occupé et allait être annexé.  » Parmi les presque 10 000 Luxembourgeois qui rejoignirent la VdB avant la fin du mois d’octobre 1940, une bonne partie était tout simplement convaincue que le Luxembourg était destiné à être absorbé par le Grand Reich dominateur de l’Europe et que le national-socialisme était la voie de l’avenir. C’est parmi ces 10 000 premiers adhérents que se trouve le noyau dur des pro- allemands qui, pour beaucoup, allaient rester fidèles au Reich jusqu’à la fin de l’occupation et même au-delà. » En quelques mois la VdB était devenue l’un des partis les plus puissants, en termes d’adhérents, qui ait jamais existé au Luxembourg. La plupart des pro-allemands étaient mariés et avaient un emploi stable ; ils appartenaient à toutes les catégories socioprofessionnelles.

Puis ils commencent à douter de la victoire allemande et subissent les contraintes

Le 20 octobre 1940, le Monument au Souvenir de Luxembourg fut détruit. Cette colonne surmontée d’une victoire en or avait été érigée après la Première Guerre mondiale à la mémoire des légionnaires luxembourgeois morts pour la France. » Parce qu’il rappelait que des soldats » allemands » selon la vision raciale nazie, avait combattu leurs frères de sang ; parce que, qui plus est, ils l’avaient fait aux côtés de l’ennemi héréditaire ; parce qu’au fil du temps il était devenu un haut lieu du patriotisme luxembourgeois, ce monument était à terme condamné par le nouveau régime. » De nombreux habitants se massèrent aux environs du monument, dont beaucoup de lycéens arborant des insignes nationaux ; des protestations s’élevèrent de la foule, les insultes fusèrent et la police allemande intervint brutalement. La ligne choisie par le Gauleiter s’avérait inefficace et ce fut alors le triomphe de la ligne dure.

Des pressions furent exercées sur les habitants pour qu’ils adhèrent a la VdB. Le nombre d’adhérents passa de près de 10 000 à 50 000 a la fin de 1940, pour atteindre plus de 80 000 au mois d’août 1942. «  Il n’est pas exclu que la formule de l’adhésion contrainte ait finalement arrangé tout le monde. Le Gauleiter pouvait atteindre les chiffres qu’il s’était fixé ; quant à ceux qui se résignaient à s’adapter et à ceux qui étaient prêts à s’accommoder, majoritaires dans la population, ils pouvaient rejoindre le mouvement sans avoir l’impression d’avoir quoi que ce soit à se reprocher. » Dans les mois qui suivirent, ce qui restait d’autonomie de la VdB disparut, et elle fut prise en main par le parti nazi. Parallèlement une section du parti nazi fut ouverte aux citoyens luxembourgeois. Implantée dans la population, intégrant un noyau dur de militants pro-nazis, la VdB devint une structure totalitaire d’encadrement de la population. L’opposition à l’occupation et à l’annexion fut reléguée à la sphère privée, et dans les mouvements de résistance clandestine.

Les pro-allemands, isolés, fanatiques et combatifs

L’échec du recensement d’octobre 1941

Afin de germaniser la population luxembourgeoise, les autorités allemandes décidèrent de la recenser, en octobre 1941. Sur le questionnaire de recensement, chaque résident adulte du Luxembourg devait préciser quelle était sa nationalité, sa langue maternelle et son  » appartenance raciale ». Une vaste campagne de presse fut orchestrée par l’administration allemande pour convaincre les Luxembourgeois de répondre par trois fois « Allemand » à ces questions. Les mouvements de résistance ripostèrent par une opération de contre propagande, en appelant leurs concitoyens à répondre au contraire par trois fois « Luxembourgeois ».

L’opération tourna au fiasco pour le Gauleiter, et il fut obligé de renoncer au recensement. Dans le roman national luxembourgeois cet événement est considéré comme une preuve de l’affirmation du sentiment national. Vincent Artuso propose une interprétation moins gratifiante :  » Si les Luxembourgeois s’étaient vus attribuer la nationalité allemande après le recensement, cela leur aurait donné des droits mais aussi des devoirs égaux à ceux des autres citoyens du Reich. Et dans un contexte de guerre, cela signifiait qu’à terme ils auraient à accomplir le service militaire dans les forces armées allemandes. »

La dégénérescence de la Volksdeutche Bewegung

A partir de cette date, les signes de déliquescence se multiplient au sein de la VdB. Le Gauleiter réagit en accentuant la répression et en resserrant son emprise sur la société, par l’intermédiaire du mouvement pro-allemand. A la fin du mois d’août 1942, les autorités allemandes annoncent que le service militaire sera obligatoire pour les jeunes hommes luxembourgeois au sein de l’armée allemande. Les organisations de résistance déclenchent un mouvement de grève. «  La grève ne fut pas un mouvement unique, massif et continu de cessation de travail, mais plutôt une vague de mouvements de protestation, le plus souvent spontanés et autonomes. Ces mouvements étaient de deux sortes : soit courts en durée et forts en intensité, comme dans les usines, soit au contraire de longue durée et de basse intensité, comme dans les administrations. Les premiers furent durement et prestement réprimés, les seconds le plus souvent ignorés ou désamorcés par des supérieurs hiérarchiques allemands. » Pour beaucoup de Luxembourgeois qui étaient prêts à se accommoder de l’occupation et de l’intégration dans l’Europe allemande, le pire était arrivé et il n’y avait plus aucun intérêt a chercher à collaborer. Des milliers d’entre eux renvoyèrent leur carte de membre de la VdB.

L’isolement et l’efficacité des pro-allemands

Seuls les pro-allemands étaient favorables à l’intégration dans l’armée allemande ; ils furent de plus en plus isolés et appelés à participer à la répression. La défaite de Stalingrad ouvrit une nouvelle et dernière phase de l’occupation allemande, « marquée par des désertions massives de recrues luxembourgeoises, par un développement des activités des mouvements de résistance et, par conséquent, d’une érosion du contrôle de la société luxembourgeoise par l’administration allemande. Le Gauleiter réagit par une surenchère répressive à laquelle il associa le noyau dur des pro-allemands, dernier échelon de son pouvoir au sein d’une population de plus en plus remuante. »

Pour lutter contre les désertions les autorités nazies décidèrent la transplantation de familles entières de déserteurs, avec confiscation de leurs biens. La Sipo-SD recruta parmi les collaborationnistes les plus fanatiques des agents dénonciateurs de déserteurs, et des citoyens cachant des déserteurs. Certains de ces fanatiques participèrent à la chasse aux déserteurs en tant que membre d’une milice directement liée au parti nazi. Sans leurs auxiliaires luxembourgeois, les Allemands n’auraient jamais pu tenir le pays jusqu’à l’arrivée des troupes américaines. Des Luxembourgeois furent embauchés dans l’administration civile allemande pour suppléer aux Allemands réquisitionnés.

« Jusqu’au bout de l’engagement« 

L’exode des pro-allemands les plus convaincus vers le Reich, qui eut lieu à la Libération, fut la suite logique de leur engagement. Ce choix avait fait d’eux des Allemands, non seulement aux yeux de leurs concitoyens, mais aussi du point de vue de l’occupant, car en adhérant au parti nazi, ils avaient obtenu la citoyenneté allemande.

L’auteur fait cependant remarquer que ce départ vers l’Allemagne, au mois de septembre 1944, ne fut pas uniquement dicté par la peur :  » il y avait aussi l’attachement sincère de beaucoup d’entre eux à une patrie plus vaste que leurs petits pays natal. » Près de 10 000 Luxembourgeois -3500 pro-allemands accompagnés des membres de leurs familles se réfugièrent dans le Reich en septembre 1944. Ils furent installés dans les arrondissements les plus proches de la frontière. Ces réfugiés politiques  » affichaient une foi dans le régime qui laissa pantois les autochtones« . Beaucoup d’entre eux participèrent du côté allemand à la bataille des Ardennes qui ravagea le nord et l’est et du Luxembourg. Etant luxembourgeois, ils s’infiltrèrent aisément pour des missions d’espionnage et de propagande. Dans les régions luxembourgeoises provisoirement reconquises par l’armée allemande, ils purent se livrer à des actions de revanche.

Jusqu’à la fin de la guerre, des Luxembourgeois pro-allemands combattirent donc pour le Reich. Dans son dernier chapitre, Les Luxembourgeois sous uniforme allemand, Vincent Artuso déchire encore une page du « roman national » en démontrant que des soldats luxembourgeois participèrent volontairement aux pires actions génocidaires, dans les rangs de la Wehrmacht ou de la SS.

© Joël Drogland