Les éditions Lieux Dits, maison fondée en 2000 et spécialisée dans le beau livre illustré, présentent des ouvrages sur le patrimoine, la photographie et le monde du travail.

« Statues dans la ville » s’inscrit dans cette ligne éditoriale en nous offrant la synthèse d’un inventaire général du patrimoine culturel sur la statuaire et les monuments publics de la région Centre-Val de Loire sur la période de 1800 à 1945. Fruit de recherches menées de 2010 à 2013, cet inventaire a recensé pas moins de 186 monuments et 25 fontaines érigés sur le domaine public. Les fontaines ont été intégrées dès qu’elles présentaient un décor réalisé par un sculpteur ou un ornemaniste. Il est à signaler que les monuments aux morts et les monuments des cimetières ont été exclus de cette étude.

Les études des monuments publics sur l’ensemble d’une région dans les travaux universitaires sont relativement rares. La région Centre est la première à publier une analyse de sa statuaire à l’échelle régionale, l’initiative est donc à saluer et pourra peut-être être à l’initiative d’autres études du même type.

L’ouvrage se découpe en 3 parties :

– Splendeurs et misères du grand homme : les âges de la statuaire publique en région centre,
– Le ciseau et le compas : l’artiste à l’oeuvre,
– Les enjeux de la statuaire publique en région centre.

Après un bref résumé de l’histoire de la sculpture, l’introduction rappelle la définition de la statuaire publique : « l’art de peupler les places et les jardins publics de statues ». Le XIXème siècle avec le développement économique permet aux villes de s’embellir avec des monuments. La statuaire est coûteuse : la rémunération des sculpteurs, la main d’oeuvre spécialisée, le financement complexe entre les subventions et les souscriptions, le rôle de l’Etat dans le contrôle de l’esthétisme et de la pertinence du choix du sujet font de l’apparition d’une statue un processus plus complexe qu’il n’y parait.
A chaque monument public, son histoire et ses petites histoires : financement original avec par exemple une grande loterie à Orléans pour financer le nouveau monument à Jeanne d’Arc en 1853, oeuvre quelquefois offerte à la ville par l’Etat qui la laisse en « dépôt », des oeuvres sans rapport avec l’histoire de la ville ou de la région, d’autres en lien avec l’histoire locale…. Cet ouvrage fourmille d’anecdotes et s’avère très complet dans ses explications sans tomber dans un style trop technique.

Le premier chapitre, « Splendeurs et misères du grand homme : les âges de la statuaire publique en région centre » présente une chronologie de la statuaire publique. Quatre grandes périodes peuvent être distinguées, périodes que l’on retrouve dans la plupart des études sur ce sujet :

– 1800-1890 : Dans la région Centre, l’étude démarre à partir de 1804 avec un monument fondateur, celui de Jeanne d’Arc. Des monuments publics sont déjà présents, c’est l’affirmation du modèle de la statue sur son socle . Grands hommes nationaux, voire européens, savants, écrivains, militaires : représenter des personnages nationaux a un effet fédérateur pour une population souvent appelée à financer les travaux par souscription. Vers 1840, on note l’apparition de statues de militaires locaux. Entre 1880-1890, des monuments aux hommes de lettres associés au territoire Centre sont érigés.

-1890- 1914 : l’euphorie statuaire, qualifiée par les spécialistes, comme Maurice Agulhon, de statuomanie : dans la région Centre, autant de monuments seront élevés pendant cette période que depuis le début du XIXème siècle !
Deux grands types de monuments : colossaux comme le monument à Jeanne d’Arc à Chinon et ceux aux gloires locales plus simples : un buste posé sur un socle…
Cas particulier, celui des monuments dédiés à Jeanne d’Arc, dans le reste du pays, ces monuments seront plutôt érigés à partir de 1909, date de sa béatification, en région Centre, la plupart des monuments le seront avant cette date.

– 1914-1940 : fin de l’hommage,le choc de la Grande Guerre verra fleurir les monuments commémoratifs aux soldats et au second plan le grand homme. Les années 1920-1930 érigeront les derniers monuments individuels . Dans le même temps, on note un développement sans précédent de la statuaire dans les jardins, en effet, les monuments aux morts occupent désormais les places publiques.

– 1941-1945 les envois à la fonte en 2 phases : de l’automne 1941 au printemps 1942, 46 statues sont concernées par ces envois. La loi du 11 octobre 1941 demande en effet la saisie des monuments en bronze tant en zone libre qu’occupée. Elle prévoit également des exceptions pour les monuments aux morts de 1870 et 1914 ainsi que les monuments présentant « un intérêt historique ou artistique ». Les maires des communes défendront donc leur monument sur ce principe.
De l’été 1942 au printemps 1944, plus de statues sont concernées mais dans les faits peu d’entre-elles seront détruites.

Le deuxième chapitre présente « Le ciseau et le compas », l’artiste à l’oeuvre. Dans cette partie, le lecteur découvre que la statuaire publique offre à l’artiste une aisance matérielle, une publicité et une répercussion de son travail au-delà du local où il pouvait officier auparavant. Dans la région Centre, plusieurs « écoles  » régionales de sculptures se dégagent et gagneront ainsi des Grands Prix de sculpture. La biographie de nombreux artistes est donc présentée dans ce chapitre avec croquis, esquisses, gravure, carte postale et photographies. D’autres personnes bénéficient également du développement de la statuaire : l’architecte dont le choix est souvent lié au commanditaire ou au sculpteur lauréat du concours, et qui désigne ensuite les fournisseurs des matériaux et les entrepreneurs.

Le dernier chapitre  » Les enjeux de la statuaire publique  » démontre qu’ au-delà de la dimension artistique, le choix de représenter un grand homme relève de plusieurs enjeux : le choix du commanditaire, le classement des grands hommes par catégorie et la désignation du site. Choisir un sujet pour la statuaire publique n’est jamais anodin.
Les commanditaires peuvent être d’origines très diverses : comité, municipalité, commandes privées, associatives. Il est à remarquer que certaines zones de la région Centre sont plus enclines que d’autres à ériger des statues : moyens plus importants, plus d’hommes à honorer, des réticences politiques…Les raisons sont complexes.
Les deux tiers du corpus de cette étude sont des grands hommes : ceux que l’on peut appeler les grands hommes du jour, contemporains, nés ou actifs après la Révolution sont légèrement majoritaires face aux hommes du Moyen-Age ou de l’Ancien Régime : ce sont des militaires, des savants, des édiles locaux, des sportifs…
Le cas de Jeanne d’Arc est spécifique à la région Centre avec 12 monuments sur 15 érigés avant 1909.
Les bustes représentent essentiellement des hommes politiques républicains.
Ensuite nous trouvons des hommes et femmes de lettres, figures nationales liées par la naissance ou le séjour avec la région étudiée. Puis par ordre décroissant, des scientifiques, des militaires (hors Jeanne d’Arc), des artistes, des sportifs et des aventuriers
Le choix du site se fait en fin de processus : quelle ville aura telle ou telle statue ? Ensuite à quel endroit, des essais sont réalisés, la question de la circulation autour du monument se pose également…

En conclusion, la Seconde Guerre mondiale marque la fin de la statuaire publique des XIXe et XXème siècles. Elle est désormais plutôt représentée par l’ornementation des jardins publics. Avec la loi du 18 mai 1951, appelée le 1% artistique, la pratique de la statuaire publique va évoluer. En effet, cette loi prévoit que 1% du budget de construction d’un bâtiment public doit être consacré à la commande d’une oeuvre plastique associée à l’architecture. Le paysage urbain change, les hommages continuent mais sous une autre forme.

Cet ouvrage est complété par des annexes et des notes bibliographiques, une carte situant les oeuvres étudiées, une carte sur les celles fondues sous l’Occupation, un catalogue des oeuvres sculptées liées à la statuaire publique des musées de la région : maquettes, esquisses, moulage avec notice et photographie à chaque fois.
Une liste des grands hommes et des personnages représentés, un index des communes, des artistes et des monuments clôture cette étude.
Six encarts, entre les différentes parties de l’ouvrage complètent cette étude : présentation d’un concours pour une oeuvre, les monuments aux morts (même si ils ont été exclus de l’étude, on ne peut passer sur l’évocation de certains d’entre-eux, significatifs), les fontaines sculptées, les inaugurations (les discours sont très riches d’enseignement sur le symbolisme du monument public), les reliefs de Jeanne d’Arc, les statues loin du Centre : correspondances par-delà les mers.

Statues dans la ville est un ouvrage passionnant sur la statuaire publique pour qui aime découvrir une ville, une région à travers sa grande et ses petites histoires. Ce livre rend hommage par ses explications et ses nombreuses photographies à ces statues qui peuplent les jardins, les places, les ronds-points et que bien souvent l’on ne regarde même plus.

Il est à souhaiter que d’autres études du même type se mettent en place pour découvrir ou redécouvrir ce que l’auteur appelle  » ce peuple de bronze et de marbre ».