Jérémy BLACK est un historien militaire de renommée internationale et professeur d’histoire à l’Université d’Exeter. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire militaire et sur les cartes et leur histoire. Dans ce livre, il tente de montrer, à l’aide de 80 cartes significatives sélectionnées dans les collections de la British Library, la place de la cartographie dans le déroulement de la Seconde Guerre Mondiale. Encore plus utilisée que pendant le premier conflit mondial, elle devient plus complète et polyvalente. Elle apparait aussi comme un outil de propagande.
Pourtant il est rappelé en introduction qu’il y eut une pénurie de cartes au début du conflit, notamment à cause de la portée et l’ampleur sans précédent des opérations. Toutes les puissances voulaient des cartes. Le nombre de personnes impliquées a permis d’assurer leur production à grande échelle. Pourtant, pour préparer le Débarquement de Normandie de juin 1944, Britanniques et Américains eurent également recours aux cartes Michelin, au Guide Rouge ou même aux cartes postales et photos d’avant-guerre, en plus des cartes de situation et des photographies aériennes.
Il apparaît donc que la cartographie est devenue « essentielle, à tous niveaux – du plus détaillé (la tactique) au plus général (la stratégie). Quelles que soient les difficultés de l’opération, les combattants qui occupent cet espace doivent pouvoir s’orienter en fonction de leurs objectifs et de leurs moyens – et de ceux de leurs alliés et adversaires. Ce sens de l’espace est crucial au moment du contact, qu’il s’agisse d’un corps-à-corps, d’une attaque de missile ou par armes, quelle que soit leur portée ».
80 cartes inédites de la seconde guerre mondiale
« A travers 5 chapitres (géopolitique, stratégie, opérationnel, tactiques, reportages), on retrouve des cartes exceptionnelles d’Etats majors, mais aussi de terrain ou encore de prisonniers, provenant de tous les pays en guerre, de France et d’Allemagne, mais aussi de Pologne, du Royaume-Uni, d’Italie, du Japon… »
Géopolitique
Les cartes jouèrent un rôle fondamental pendant l’expansion de la domination allemande, entre 1938 et 1941. Le pacte germano-soviétique intégrait par exemple une carte signée par Staline lui-même qui divisait la Pologne. La géopolitique et la cartographie allemandes privilégiaient une approche ethnique, en insistant fortement sur la cause des peuples germaniques, dont beaucoup, après le Traité de Versailles se retrouvaient sous domination étrangère (carte de la diaspora allemande en 1938, p.22-23). Les données géographiques objectives furent abandonnées au profit d’une présentation tendancieuse encouragée par le régime nazi. Mais la géopolitique ne fut pas seulement un outil au service des régimes autoritaires. Elle fut aussi importante pour les puissances occidentales.
Stratégie
Les dirigeants – civils ou militaires – furent souvent représentés avec ou à côté d’une carte. La planification stratégique et opérationnelle exigeait la collecte, la vérification et l’emploi de cartes existantes et la réalisation de nouvelles. Pour aider à combler le besoin d’information, on acheta des cartes existantes, les plus récentes possibles. Mais la globalité du conflit a entraîné des unités aériennes, maritimes et terrestres dans des zones qui leur étaient inconnues. De ces zones, il fallait des cartes actualisées et cohérentes. Les Alliés se sont révélés meilleurs dans les connaissance des zones de combat et des ressources qu’ils pouvaient y mettre en œuvre, afin de planifier en conséquence (carte de situation du 12e groupe d’armées américain le 2 octobre 1944 à midi, p.54-55).
Le volet opérationnel
En 1938, le chef d’état-major de l’armée allemande déclare que « la nation ayant la meilleure reconnaissance photographique gagnera la prochaine guerre ». L’opération Overlord, l’invasion de la Normandie en 1944, fut précédée par une campagne de photographies aériennes de plus de 2 ans, avec pour résultat des cartes extrêmement détaillées (carte administrative Top Secret du secteur K, le 15 avril 1944, p.84-85 ou carte d’Omaha Beach, p.86-89). Le département de topographie de l’état-major japonais ne produisit pas seulement des cartes des territoires sous son contrôle, mais également des gailhozu, des « cartes d’ailleurs ». Ainsi, les cartes aériennes japonaises de la Chine étaient justes, comme l’étaient celles de certaines parties de l’Union soviétique. La production de cartes fut également le fait des mouvements de résistance, sur la base de cartes topographiques existantes complétées par des observations (carte militaire actualisée de Royan par les FFI, p.100-101). En Yougoslavie, la résistance se dota d’un service cartographique important composé de photographes, de dessinateurs et de géomètres.
Tactique
Le choix des combats requérait sur-le-champ des cartes détaillées et précises des zones non couvertes. Mais l’éventail des informations disponibles variait considérablement selon les régions du monde. Les troupes américaines débarquées sur l’île de Guadalcanal en aout 1942 ne disposaient pas de cartes spécifiques. La navigation littoral faisait de plus en plus appel aux sondeurs à ultrasons. Le besoin d’une reconnaissance avancée et de levés des plages appropriés était en effet devenu flagrant depuis le débarquement sur l’atoll de Tarawa entravé par des récifs coralliens dont la profondeur avait été mal évaluée par la reconnaissance aériennes. Pour les opérations terrestres, les cartes durent plus utilisées que lors de la Première Guerre Mondiale. Compléments précieux des cartes topographiques, les cartes d’évaluation de terrain furent cruciales pour l’infanterie et les véhicules tout-terrain, militaire et logistiques. Des cartes étaient également élaborées à des fins plus spécifiques. Le Royaume-Uni le premier fabriqua des « cartes de fuite et d’évasion » pour les équipages d’avions abattus (p.120-121).
Reportage
Les cartes furent utilisées à la fois comme supports d’information et de propagande. Les journaux publiaient un grand nombre de cartes pour répondre à la demande des lecteurs, notamment pour localiser les zones de conflits (« quadruple threat to Japon » dans le Sunday News en septembre 1944) . « L’attention du public américain revêtait dès lors une dimension globale, et les cartes aidaient à combattre l’isolationnisme en faisant le lien entre les régions lointaines et les intérêts du pays ».
Cet ouvrage de belle facture traite d’un pan méconnu de la Seconde Guerre Mondiale. Avant, pendant et après le conflit, les cartes sont devenues indispensables à la fois sur les terrains militaires mais aussi dans la diffusion et la maîtrise de l’information : les cartes elles-mêmes sont devenues des armes.