L’année 2024 est marquée par la commémoration du 80e anniversaire du massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Ce jour-là, 643 villageois perdent la vie, les femmes et les enfants sont asphyxiés puis brûlés dans l’église pendant que les hommes sont assassinés dans les granges. Le massacre d’Oradour a fait l’objet d’une abondante littérature depuis 1944 et la publication de l’ouvrage de Pierre Poitevin Dans l’enfer d’Oradour.
Archives locales, nationales et internationales
Robert Pike est un historien américain, diplômé de l’université de Cardiff et spécialiste de l’histoire de la France en guerre. Travaillant actuellement sur la résistance rurale dans la France occupée, il est l’auteur de Defying Vichy non traduit encore en français. En 2021, il publie Silent Village : Life and Death in occupied France, traduit cette année par Julie Primon aux éditions Flammarion sous le titre Oradour s’est tu -Le destin tragique d’un village français 10 juin 1944 pour lequel Robert Pike a consulté de nombreuses archives, locales, nationales et internationales, témoins du retentissement du massacre. Son angle d’écriture adoptée est le suivant : rendre en premier aux victimes et aux survivants la parole.
Un ouvrage en trois temps
L’ouvrage se divise en trois grandes parties : la première partie choisit de se concentrer sur la population d’Oradour durant les années précédant le massacre du 10 juin 1944. Situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Limoges et peuplé de 1574 habitants selon le recensement de 1936, Oradour-sur-Glane, est une petite bourgade classique de Haute-Vienne avec ses commerces, ces trois écoles, ses artisans. Une partie de sa population approuve la politique du maréchal Pétain contrairement à d’autres, ce qui, le jour du massacre ne fait aucune différence aux yeux de la division Das Reich dirigée par Adolf Diekmann. La grande majorité est avant spectatrice de la guerre, l’important étant d’assurer sa sécurité et sa survie, ce qui n’exclue pas quelques activités de résistance, un groupe s’organisant Jean Dupic, marchand de textile à Oradour. L’ouvrage permet ainsi de saisir la réalité d’un village souvent présenté, à tort, comme tranquille et loin de la guerre. Dans les faits, cette dernière rattrape dès les premiers jours le village avec les pénuries, la question du ravitaillement et surtout dès 1940, l’arrivée de réfugiés alsaciens, des républicains espagnols fuyant la dictature de Franco, des juifs, sans compter les réfractaires au STO. C’est ainsi que 400 habitants de Schiltigheim sont accueillis par le maire socialiste d’Oradour, Joseph Beau. Et si l’accueil des Alsaciens fut délicat, celui des Mosellans fut au contraire beaucoup plus facile et apporta son lot de surprises dans ce petit village acquis à une laïcité de combat. En effet les Mosellans, habitués à une instruction religieuse se trouvent en effet réfugiés sur une terre où l’anticléricalisme s’est solidement enraciné ce qui a eu pour effet de redynamiser de façon inédite et inattendue une congrégation locale moribonde dirigée par l’abbé Chapelle ! L’ouvrage fait donc la part belle à la mémoire et aux témoignages des survivants et des proches de victimes tels que Camille Senon, Albert Valade, André Desourteaux mais aussi Robert Hébras, décédé l’an dernier mais que Robert Pike a pu rencontrer. C’est à travers leurs témoignages que se dressent les portraits d’hommes et de femmes, de leur jeunesse, et de leurs préoccupations, avant que la barbarie nazie ne s’abatte sur eux.
Après avoir amené pourquoi et comment les victimes se trouvaient à Oradour, la seconde partie quant à elle propose le récit de la journée du 10 juin d’après ce que les témoins survivants ont vécu de près ou de loin, l’enchainement de violence méthodique et implacable déployé les soldats de la division Das Reich et l’étau mortel qui finit par se refermer sur les habitants du village dont ne réchappèrent que quelquesuns dont Marguerite Rouffanche qui parvient à s’échapper de l’église en se défenestrant, Roger Godfrin unique écolier survivant, Jean-Marcel Darthout, Robert Hébras …
Enfin, la troisième partie revient sur les jours et les semaines qui suivirent : la découverte du massacre et sa nouvelle qui se diffuse, la difficile identification des corps, la prise en charge des survivants dont la vie était brisée. Robert Pike revient également sur les rumeurs et les fausses hypothèses diffusées pour expliquer le massacre, incompréhensible, les jours qui ont suivi ce dernier. Face à l’incompréhension suscitée par cette violence meurtrière, les vivants recherchent des explications, et accusent, à tort, invoquant le produit d’une vengeance particulière d’untel ou untel comme le montrent les soupçons ayant pesé, à tort, sur Jeanne Duquéroix par exemple. Les derniers chapitres prennent soin de revenir sur les motivations des une réponse à ce « pourquoi Oradour » : ce bourg, contrairement à la ville voisine, Saint Junien, était plus facile à prendre et à contrôler, intéressant à piller selon des objectifs et des méthodes déjà éprouvées par la Division Das Reich sur le front de l’Est.
L’ouvrage de Robert Pike se distingue par son écriture sensible, fluide et vivante, qui ne cède en rien à la rigueur scientifique nécessaire pour aborder l’histoire de ce massacre. Enfin, l’ouvrage fait la part belle aux photographies des victimes avant le drame, ce qui permet de redonner des visages et une humanité derrière le nombre des victimes. D’ailleurs, on notera le choix, symbolique, de proposer comme premier portrait celui de la 643ème victime identifiée officiellement en 2020 : Ramona Dominguez Gil, réfugiée originaire d’Aragon ayant fui le franquisme avec sa famille.