Son plan reprend les trois phases de Hroch (découverte d’une culture nationale, agitation patriotique et mouvement de masse) et valide le modèle. L’auteur en critique cependant un aspect: la restriction sociologique aux groupes privilégiés pour la première phase.
Si l’ouvrage d’Anne-Marie Thiesse apporte de nombreuses informations sur les identités nationales européennes, il ne remplace pas le livre plus théorique d’Er. Hobsbawn, Nations et nationalisme depuis 1789, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèques des Histoires; il l’éclaire. En effet, A.-M. Thiesse se soucie peu de la sociologie des acteurs du nationalisme européens. Or, cette dimension est importante. Je cite un exemple: « [le nationalisme linguistique basque] s’enracinait dans le ‘milieu conservateur, catholique et petit bourgeois’ urbain et côtier, qui réagissait contre la menace d’industrialisation et le socialisme prolétarien des immigrants sans foi ni loi qu’elle apportait, tout en rejetant la grande bourgeoisie basque que ses intérêts liaient a la monarchie espagnole » Hobsbawn, op. cit., 154. Ce relatif silence s’explique peut-être par le visage positif qu’A.-M. Thiesse donne aux nationalismes européens. A tel point que certaines phrases peuvent laisser penser que les liens entre nationalisme et extrême-droite sont récents. « Mais les extrêmes droites nationalistes ont investi elles aussi le legs ancestral: des chansons rocks exaltent les Vikings, les Celtes ou les Germains… » (282). Si l’auteur a raison de rappeler que le nationalisme ne se réduit pas à l’exclusion des autres et qu’il a parfois su comprendre et défendre les autres identités nationales, rien ne lui permet pour autant de minorer le fait que la construction de l’identité nationale se fait aussi au détriment des autres identités (les minorités a l’intérieur de la nation et les autres nations).
Dans sa conclusion, l’auteur affirme avec force que l’identité nationale européenne peut être créée car toutes les identités nationales ont été créées. Si l’on peut la suivre sur ce point, sur la possibilité d’une création, d’autres affirmations posent problème. Je cite: « Les Etats européens doivent gérer les conséquences sociales de décisions économiques sur lesquelles ils ont de moins en moins prise. Des droits acquis au travers de luttes et de compromis dans le cadre des Etats-nations s’avèrent caducs: à quoi sert-il de faire grève contre une entreprise qui redéploie sa production au gré de la conjoncture? » Il est dommage qu’une affirmation gratuite, qui ne repose sur aucun élément du livre, vienne gâcher la lecture de cet ouvrage au demeurant très intéressant. La question n’est pas en effet de savoir si l’auteur a raison ou non; une telle phrase n’a rien a faire dans un livre d’histoire car elle n’est pas historique. Au mieux elle procède d’une volonté de justifier la création d’une Europe politique et nationale. Au pire, elle relève d’un lieu commun banal.
Mais cela n’enlève rien à l’intérêt que l’on prend à lire ce livre, clair et précis, qui donne envie de redécouvrir le patrimoine européen avec un autre oeil et qui nous rappelle (ou nous apprend?) que notre identité nationale est l’aboutissement d’un processus vieux de deux siècles. En cela, il est une mise en garde contre tous les naturalismes, les exaltations du sol et du sang.
STRUCTURE
L’Europe des Nations
Le point de départ: la formation des identités nationales s’est faite selon le même modèle.
L’auteur rappelle qu’il ne faut pas confondre État et nation. « La véritable naissance d’une nation, c’est le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et entreprend de le prouver » (11). La proclamation de son existence suppose la reconnaissance d’un patrimoine commun, objet du « plébiscite de tous les jours » (Renan). Mais cet héritage n’est pas fixé au départ. Il faut l’inventer. Chaque nation européenne s’est mise à la tâche, en surveillant ce que faisait les autres (les Russes citaient en exemple l’exhumation par les Allemands de leur patrimoine historique). Les thèmes sont à chaque fois les mêmes mais ils sont combinés de façon différente: langue, religion, paysages, lieux, folklore… L’émergence des nations est à mettre en relation avec les mutations économiques que connaît l’Europe au XIXes. Pourtant ces dernières ne débouchent pas nécessairement sur un sentiment d’identité. En revanche, il est certain que par la stabilité qu’elle assure, la nation a facilité les transformations radicales de l’Europe. En créant une solidarité, elle permet de dépasser les intérêts liés à certaines identités (sociale ou sexuelle par exemple) sans les détruire. Seul le nationalisme intégral fustige les partis, les syndicats et autres divisions de la nation. Dans le modèle de la nation, par le dépassement des divisions que celle-ci offre, l’auteur semble voir un exemple pour l’Europe. « Et si les Pères de l’Europe l’avaientinstituée en oubliant de la construire ? » (18).
Première partie: L’identification desancêtres
Chapitre 1: Révolution esthétique
La légitimité culturelle est modifiée au XVIIIe s., au niveau historique, au niveau géographique et au niveau social. « Une nouvelle théorie de la culture est formulée, qui permet de poser le national comme principe créateur dela modernité » (23).
L’Iliade calédonienne
L’auteur rappelle le « travail » de MacPhersonqui fut chargé par des nobles écossais d’Édimbourg de retrouver et de transcrire les vieilles légendes celtes pour en faire une Iliade celte. Cela donne d’abord Fingal puis Temora, chants épiques d’Ossian, traduit par MacPherson. Cette œuvre a un retentissement important car elle prouve à l’Europe entière que l’Antiquité gréco-latine n’est pas la seule source de la culture européenne ; la modernité se fonde sur une autre source que le Peuple a su préserver et que la tradition classique occultait jusque là. En même temps, cette nouvelle tradition sert à critiquer les formes traditionnelles du pouvoir politique; on oppose la théorie des constitutions à la liberté,à l’enthousiasme et à l’indépendance des guerriers.
L’offensive contre la Culture unique
La redécouverte d’Ossian est également un moyen de lutter contre la culture unique du XVIIIe s., la Culture française à laquelle s’oppose désormais la Nature: la chaumière contre le salon. Bien entendu, le camps de la Nature est également celui de l’avant-garde intellectuelle qui s’affirme contre la culture classique.
Le chants des nations
Le philosophe de langue allemande Herder(1744-1803) théorise cette résistance à un modèle hégémonique. Pour lui, l’enjeu est d’importance : créer un sentiment d’unité parmi les Allemands. Ce qui fait la valeur d’une culture n’est pas sa proximité avec un modèle dominant mais au contraire son authenticité. Auparavant, Leibnitz avait déjà affirmé qu' »il vaut mieux être un original d’Allemand qu’une copie de Français » (cité par Thiesse 1999, 36). Mais il ne donnait pas de direction pour fonder l’esprit national allemand. Herder bénéficie lui du changement de légitimité culturelle : la culture ne peut être que celle du peuple. Dès lors, la question de la langue ne peut qu’être essentielle dans cette pensée. Mais cette langue doit être pure non entachée par les influences extérieures, c’est pourquoi il faut collecter les chants populaires.
Il est important de préciser que la réflexion d’Herder ne débouche pas sur une quelconque hiérarchie des cultures qu’au contraire il condamne par avance. Pour lui, la différence ne signifie pas infériorité ou supériorité. Il condamne l’impérialisme et l’intolérance: il critique les Croisades et s’intéresse aux hérésies. Son œuvre s’inscrit pleinement dans les nouveaux courants d’idées du XVIIIe s.: « lutte contre le monolithisme culturel et le despotisme politique, les aspirations au bonheur et à la liberté, le rejet des séparations entre ordres sociaux, l’élan vers le progrès et la redécouverte de la nature et de la tradition » (42).
L’éclosion des bardes
Dans tout le continent, des chants de bardes sont publiés. Mais leur authenticité n’est pas clairement établie. Par exemple, en 1769 paraît La bataille d’Arminius, du nom du vainqueur de Varus et de ses troupes romaines en 9 p.C. A.-M. Thiesse parle d’une « célébration anticlassique » (45). La découverte du Moyen-Âge s’inscrit dans le même mouvement. Cette période avait l’avantage sur l’Antiquité de pouvoir fournir des manuscrits qui étaient considérés comme des mises par écrit de traditions orales populaires plus anciennes.
La fille aînée des Celtes
En France, les révolutionnaires trouvaient leurs références dans l’Antiquité grecque et latine. Mais certaines voix se faisaient entendre pour encourager les recherches à se tourner vers le passé celte, dans un souci d’unification. On choisit d’élire les Gaulois ancêtre de la nation, retrouvant ainsi la vieille thèse nobiliaire selon laquelle la noblesse française descendrait des conquérants francs, le droit de conquête fondant leurs privilèges.
En 1805, une Académie celtique est fondée dans le but de retrouver tous les vestiges de ce passé.
La nation au secours de la patrie
La prise de conscience de l’unité culturelle est pensée comme un moyen de défense et de résistance, notamment contre les troupes françaises. La gymnastique doit former les corps de la jeunesse pour en faire des individus capables le jour venu de défendre leur nation.
Cosmopolitisme du national
L’exemple des frères Grimm montre que la découverte de la culture nationale, la culture allemande en l’occurrence, ne se traduit pas par un repli sur soi. Au contraire, tous les deux s’intéressent aux autres cultures qu’ils considèrent comme des branches d’un même arbre, d’une même mythologie.
Chapitre 2: Une nation, une langue
A la fin du XVIIIe s., les populations se distinguent plus par leur appartenance à une couche sociale déterminée qu’à une langue parlée et les maîtres des domaines n’entendent pas parler la langue de leurs paysans.
Fabrication des langues nationales
La plupart des langues nationales européennes sont des inventions récentes. Selon B. Anderson, « la diffusion d’une langue vernaculaire standardisée par l’imprimé [aété] un des éléments majeurs de l’éveil du sentiment national » (Thiesse 1999, 69). Celle-ci aurait été développée par les imprimeurs en mal de lectorat, les érudits latinisants n’étant pas un marché extensible. A.-M. Thiesse ne rejette pas cette thèse mais elle rappelle que le développement de documents imprimés en langue vernaculaire n’a pas été généralisé en Europe.
De façon générale, la langue est pensée comme un facteur d’unité nationale car sa pratique permet aux personnes de différentes régions et de différentes couches sociales de communiquer entre elles. Le développement de ces langues dépend ensuite de la situation des pays. En Allemagne, il fallait convaincre les élites que l’allemand était une langue de culture. En France, l’essentiel de l’effort fut mis sur l’enseignement. Dans d’autres pays, il fallut enrichir une langue ancienne figée et discréditée avec le parler populaire: cas de l’italien avec le toscan. La réussite de l’opération supposait que les couches supérieures acceptent de parler cette langue. Pour cela, cette dernière devait être la langue de l’enseignement secondaire car la bourgeoisie n’entendait pas parler un idiome paysan.
Chapitre 3 : Parrainage international d’une culture nationale
Le cosmopolitisme intellectuel se traduit par l’aide aux nations émergentes.
Les descendants d’Homère
Un érudit français Cl. Fauriel publie en 1824 des Chants populaires de la Grèce. Dans son introduction, il explique que ce recueil exprime l’identité grecque. Concernant la valeur des textes, il n’hésite pas à affirmer que certains remontent à la plus haute Antiquité ce qui lui permet d’établir une continuité entre Homère et les rhapsodes contemporains qui habitent des villages occupés par les Ottomans. Le lien entre les deux périodes s’établit autour de la figure du klephte, le brigand grec, qui combat contre l’occupant et pour la liberté. La langue utilisée pour mettre par écrit ces chants, la katharevoussa (la langue pure), facilite l’impression de continuité car elle est épurée des apports turcs.
De la tradition à la libérationnationale
La Russie favorise l’émergence d’un sentiment national bulgare, certes par intérêt géopolitique, mais aussi simplement par soutien à des frères slaves sous dominationottomane. Comme ailleurs, on collecte la tradition populaire, on élabore une langue nationale…
Chapitre 4: Un État, des nations
L’empire austro-hongrois ne se réduit pas à une hostilité envers les nationalités car il avait besoin de connaître ces dernières pour administrer son territoire et en même temps il n’était pas hostile au principe « diviser pour régner ».
L’éveil national dans l’Empire
Même phénomène qu’ailleurs : chants épiques, grands ancêtres… Fraternité des peuples et minorités nationales 1848 a montré les intérêts convergents et divergents des nationalités. Par exemple, les Tchèques soutiennent les Allemands en Bohème. Mais lorsque la Diète de Frankfort voit le jour, ils comprennent que le but est la formation d’une communauté germanique, ce qui les mettrait en minorité. La question de la coexistence entre les différentes nationalités ne se posent pas de la même façon dans un Empire et dans un État-nation. Plus généralement, les différents acteurs prennent conscience qu’ils n’ont pas tous la même définition de la nation et qu’ils ne poursuivent pas tous les mêmes intérêts: démocratie,égalité…
Chapitre 5: Épopées fondamentales
Les identités nationales s’appuient sur des textes fondateurs, proclamés par leurs découvreurs authentiques, mais dont les originaux ont opportunément disparu. Selon l’importance que l’épopée occupe dans le roman national, son authenticité fut ou non attaquée et elle demeura ou non au cœur des cultures nationales.
La Terre des héros
Rattachée à la Russie, le grand-duché de Finlande jouit d’une certaine autonomie. Mais il ne possède pas de culture propre ; ses élites sont suédophones. Les paysans qui sont pour la plupart analphabètes utilisent le finnois. Il n’y a donc pas ici de manuscrits à retrouver. Un jeune médecin recueille (ou dit recueillir) auprès de bardes les traditions populaires et il les publie. Sous son impulsion, une Société de littérature finnoise est créée. Sa grande œuvre demeure le Kalevala, dont le sous-titre révèle la nature : « vieilles chansons caréliennes des temps antiques du peuple finnois ». Dès sa sortie, ce texte remporta un grand succès et il fut traduit dans toute l’Europe. Il fonde la culture nationale finnoise car il fournit de nombreux thèmes aux artistes. Aussi, les érudits n’émirent que de faibles critiques sur l’authenticité du contenu. Au début au moins, la Russie encourage l’émergence de cette identité finnoise car cette dernière constitue une protection efficace contre les éventuelles menées suédoises pour récupérer la Finlande.
L’épopée armoricaine
En France, la publication de chants populaires bretons, le Barzaz Breiz, rencontre un franc succès. Mais, ce recueil ne parvient pas à prendre une place dans l’identité nationale car d’autres textes composent l’épopée nationale, comme la Chanson de Roland. En même temps, l’identité nationale française repose déjà à cette époque sur la permanence du combat pour la liberté et pour la souveraineté, en bref sur l’histoire et non sur la culture. Dès la troisième édition du Barzaz Breiz, des doutes sont émis sur l’authenticité des textes, ce qu’une thèse récente est venue confirmer. Aujourd’hui, ce recueil est une référence pour le mouvement breton.
Chapitre 6: Histoires nationales
Le roman national
L’histoire nationale s’inspire du roman. Elle s’inscrit dans un récit. Le travail de W. Scott en est un bon exemple. A l’intérieur de ses textes, il n’est pas rare de voir le récit s’interrompre et l’auteur donnait des gages de la fiabilité de ce qu’il raconte et des indications sur les sources qu’il autilisées. Il fit l’admiration d’A. Thierry. De plus, un très grand nombre de romanciers reconnaissent s’inspirer très directement des romans historiques de Scott. Enfin, par rapport à Ossian, le lectorat s’est diversifié; d’autres couches sociales sont touchées. Des lecteurs non érudits acquièrent ainsi une culture nationale qui jusque là leur était inaccessible.
Scènes nationales
Les mêmes innovations se rencontrent au théâtre. D’abord, les dramaturges choisissent des épisodes étrangers pour illustrer le thème de la lutte pour la liberté. On peut invoquer la prudence des auteurs mais aussi l’absence de références dans une histoire nationale balbutiante (V. Hugo, Marie Tudor par exemple). Puis, des événements nationaux sont choisis (Boris Godounov).
Monuments historiques
La notion de Patrimoine voit le jour. C’est en effet à la fin du XVIIIe s. que l’abbé Grégoire forge le mot « vandalisme ». Cependant, le souci des bâtiments anciens ne va pas sans des restaurations voire des reconstructions sur la base de ce qu’on imagine être l’original, comme pour la tradition populaire et sa réécriture.
Les diffuseurs de patrimoine
L’auteur reprend le modèle en trois phases de Hroch (découverte de la culture nationale, agitation patriotique et émergence d’un mouvement de masse). Elle ne le conteste pas sur le fond mais elle critique les restrictions sociologiques de la phase B. L’idée nationale n’est pas restreinte à de petits groupes de couches aisées ou supérieures ; elle se diffuse dans l’ensemble de la société dès la phase B par le biais duthéâtre, des romans, des monuments nationaux, de la peinture…
Deuxième partie: Folklore
Au début du processus de création des identités nationales, le Peuple paysan est pensé comme gardien des vestiges de la tradition ancienne. Puis, il finit par symboliser la pérennité de la nation, son caractère immuable. Les folkloristes décrivent les paysans comme des hommes libres et heureux, plein de sagesse, par opposition au prolétariat urbain.
On passe du recueil des chants populaires à celui des tradition, sans s’interdire de recourir à l’invention.
Chapitre 1: Recensions
La découverte de populations exotiques au XVIIIe s. au cours des explorations fournit en retour un modèle pour l’observation des populations rurales européennes. Certains gouvernements lancent des enquêtes pour mieux connaître ces dernières.
Enquêtes Dans l’Italie du Nord occupée par la France, les fonctionnaires français sont requis de relever des informations sur les populations: dialectes, plans de maison, dessins de bijoux… Mais l’enquête reste pauvre sur les coutumes. Les observateurs ne distinguent pas de grandes différences. Ils ne savent pas encore ce qu’ils doivent remarquer pas plus que les observés ne savent mettre en avant leurs spécificités. En quelques dizaines d’années, les coutumes rurales sont développées et chacune participe de la singularité de la nation.
Les grandes collectes de contes
Un mouvement général de publications des contes et des chansons populaires se développe en Europe. En France,il a la particularité d’être organisé par la puissance publique ; mais il n’aboutit pas. Cette dernière prend en compte les textes en dialecte car ceux-ci appartiennent au patrimoine européen. Cette conception se rattache à une définition de la nation de type »allemande » et elle coexiste avec la tradition révolutionnaire, la nation comme communauté de citoyens.
Le national dans l’indo-européen
Au XVIIIe s., la colonisation britannique en Inde fait découvrir le sanscrit et des savants affirment que cette langue appartient à la même famille que la grecque, la latine, la persane… Cela est expliqué par une origine commune: les Indo-européens. Mais cette origine constitue également un facteur de différences pour certains qui émettent des théories racistes. L’insistance première sur les analogies n’est pas surprenante car il s’agissait avant tout de faire prendre conscience à une population de ses origines communes. De même, le critère linguistique demeure souple car ces langues n’existent pas réellement au départ. Le virage raciste s’explique lorsque la nation est devenue une communauté politique et lorsque se posent les rapports de pouvoir à l’intérieur de la nation et entre les individus. Cependant, les approches coexistent entre elles: le mot « race » a un sens équivoque à la fin du XIXe s.; il ne se réduit pas à son acception biologique, il est aussi synonyme de nation.
Mélodies populaires
De grands musiciens comme Bartók puisent leur inspiration dans les traditions musicales paysannes pour fonder une musique nationale.
Chapitre 2: La nation illustrée
Paysages
On peint une nature vierge, aux paysages grandioses. Progressivement, se met en place un paysage national ou dans le cas de la France une série de paysages régionaux. Cela ne doit pas surprendre car de la France du XIXe s. on exalte la diversité, la richesse naturelle, « une sorte de résumé idéal de l’Europe » (188).
Les paysans ne sont pas représentés dans ces paysages; les peintres nous les montrent dans des scènes de la vie rustique, au marché, au champs…
Costumes traditionnels
Ce n’est qu’au XIXe s. qu’apparaissent les costumes traditionnels. Auparavant, les vêtements étaient plus ternes. Désormais, ils sont l’affirmation d’une identité, une revendication. Toutefois, ils ne se portent que les jours de fêtes d’où le contraste entre les scènes de la vie rurale aux vêtements ternes et les scènes de fêtes villageoises aux couleurs vives des étoffes. L’auteur développe l’exemple du kilt (194s.).
Exhibitions identitaires
La nation montre ses grandes réalisations, les raisons de sa fierté ou bien simplement son identité (exposition de costumes nationaux) au cours des expositions universelles.
Musées patriotiques
Les ouvertures de musées ethnographiques nationaux se multiplient dans toute l’Europe, par exemple au Trocadéro à Paris (1884: ouverture d’une salle à l’intérieur du Musée, dite « Salle de France », qui présente un intérieur breton, des mannequins costumés). Ces établissements permettent de renforcer le patriotisme, de collecter des informations au sens large permettant une étude scientifique des populations et enfin de donner des modèles et des motifs aux artisans.
L’Art populaire
L’artisanat textile ou mobilier connaît un développement important car il argue de son authenticité. Le concept d’art populaire fait son apparition. Ce mouvement s’oppose au machinisme en s’instituant comme contre-modèle: la création contre la répétition… En même temps, cet artisanat est considéré comme un élément important de l’art national. Des attitudes identiques envers la tradition orale populaire se développent. Il faut sauver ces productions artisanales qui seraient en voie de disparition.
De l’épopée au timbre-poste
La création des États obligent les nouveaux pays à se doter d’un art décoratif national pour les billets de banque et les pièces de monnaie, les timbres…
A la fin du XIXe s., « les grands ancêtres sont identifiés, la langue nationale fixée, l’histoire nationale écrite et illustrée, le paysage national décrit et peint, le folklore muséographié, les musiques nationales composées »(224).
Troisième partie : Culture de masse
Les grandes institutions internationales duXXe s., SDN et ONU, ne parviennent pas à empêcher des conflits sanglants entre les nations. Le problème se résume ainsi : « la nation est un principe, l’État une réalité concrète » (227). La définition de la nation ne dit rien des frontières de l’État.
Chapitre 1: La nation comme horizon
Nationaliser l’État
Plusieurs exemples de nationalisation de l’État peuvent être cités, dont les modalités sont différentes : Alexandre III en Russie; en France, cette « nationalisation » ne s’est pas traduit par une négation des particularités.
L’éducation au national
Le processus de nationalisation de la population suppose un recours à l’école, qui apprend la langue, l’histoire et la géographie de la nation. Mais cette éducation ne se réduit pas à des disciplines. Elle affecte toutes les dimensions de la personnalités des enfants pour construire des hommes et des femmes dignes de leur patrie. Cependant, l’école ne suffit pas.
Le corps patriotique
Les associations de gymnastique diffusent également le sentiment national, en partie à des populations qui n’étaient que peu ou pas touchées. La devise de l’Union des sociétés de gymnastique de France (USGF) proclame: « Patrie, courage, moralité ». Plus généralement, le sport permet l’identification : tournoi des cinq nations, Jeux olympiques.
Parcourir la nation
Pour appréhender l’espace national, des sports de déplacement se développent. En 1903, le journal L’Auto organise le premier Tour de France cycliste. C’est l’occasion de décrire les paysages français typiques. Cette volonté de découvrir son pays se trouve dans les associations de cyclotouristes qui fleurissent en cette fin de XIXe s. Pour la jeunesse, on peut citer le mouvement des oiseaux migrateurs en Allemagne (Wandervögel), créé en 1896, qui entend régénérer la jeunesse en la mettant en contact avec la nature. Au cours de ces randonnées, les jeunes gens entonnent des chants patriotiques ; en 1911, on autorise l’exclusion des jeunes Juifs de ce mouvement.
La nature nationale
La nature est pensée comme patrimoine. Aussi, il importe de la défendre. Pour cela, des associations de défense du paysage sont créées. Des zones sont délimitées, à l’intérieur desquelles ils n’est plus possible de faire des aménagements. Il s’agit de préserver leur état naturel. Le concept de nature intègre les lieux menacés par la modernité, c’est-à-dire soumis jusque là à un mode d’exploitation traditionnel (les villages, les quartiers anciens des villes…). Dans cette optique, un bon tourisme,respectueux, est opposé à un mauvais qui dégrade ne serait-ce que parce qu’il suppose des infrastructures.
La consommation identitaire
Pour attirer le touriste et répondre à ses attentes, des fêtes sont inventées, principalement en juillet et en août. Le commerce d’objets artisanaux que les autochtones n’utilisent pas se développe pour permettre à tous les touristes de ramener chez lui un souvenir authentique.
Chapitre 2: La nation par la joie
L’adhésion du prolétariat à l’idée nationale n’allait pas de soi à la fin du XIXe s. d’autant que celui-ci est travaillé par l’internationalisme.
L’éducation prolétarienne par le folklore
Pour la jeune fille, le port de la tenue »traditionnelle » est un garant de vertu et de bons comportements.
Il faut également encadrer le temps libre des travailleurs pour éviter qu’ils ne tombent dans l’alcoolisme ou dans la sédition. Ce temps doit permettre d’éduquer les masses populaires en leur transmettant une culture dite authentiquement populaire, folklorique, afin de lutter contre l’influence néfaste de la ville.
Folklore totalitaire
Dans les démocraties, cet encadrement seconstruit sur la base du volontariat. En revanche, il en va tout autrement dans les dictatures. En Italie, de grandes fêtes en costumesnéo-médiévaux sont organisées. En Allemagne, on profite des voyages organisés pour le prolétariat pour diffuser l’idéologie national-socialiste : par exemple, on insiste sur la germanité de l’Autriche et des Sudètes. Le folklore sert ici à magnifier l’unité nationale restaurée par les nouveaux régimes. Sous Vichy, le même développement du folklore s’observe, dans le but d’exalter la France rurale et non la modernité comme en Allemagne ou en Italie.
National-communisme
Jusqu’au milieu des années 30, le gouvernement soviétique insiste sur la rupture avec le monde ancien. Mais les tensions naissantes amènent à une révision du passé russe. L’art populaire, les églises, l’artisanat jouissent d’une image plus favorable. Dans l’ensemble des pays communistes d’Europe, le patrimoine identitaire est utilisé par le pouvoir. Après la chute du communisme, le sentiment national aurait pu être mobilisé pour la démocratie alors qu’il a servi surtout aux dirigeants pour conserver leurs positions de pouvoir (cas de Milosevic).
Identité européenne
L’auteur rappelle la vitalité des identités régionales, qu’atteste la vigueur de la musique celtique et l’organisation de festivalsdans lesquels les différentes traditions coexistent. Elle n’ignore pas que ce discours a également été repris par l’extrême-droite. Tous recourent à l’Internet qui est un outil de lutte contre la mondialisation de la culture, ou du moins qui est pensé comme tel. La mondialisation économique serait responsable du dépassement historique de la nation. Mais l’auteur reconnaît qu’une force de cohésion est nécessaire et que de toute façon cela ne signifie pas que la nation soit morte.
La construction européenne qui est une réponse à la mondialisation manque pour l’instant d’une identité collective, comme en témoignent les illustrations des billets de la monnaie unique. Cette identité ne se peut se construire que sur le bonheur et la démocratie, deux idées qui étaient en lien avec la création des nations.
Septembre 1999.