Pierre Allorant et Jacques Resal : une collaboration familiale fructueuse

L’ouvrage, La demeure de l’ambition : L’ascension d’une famille bourgeoise vue à travers les lettres des femmes (1814-1914), publié en 2017 sous la direction de Pierre Allorant et Jacques Resal, constitue leur dernière collaboration en date avec une parution aux Presses Universitaires de Limoges (Pulim), dans la collection « Matières à Histoire ». Chez le même éditeur et dans la même collection, Pierre Allorant et Jacques Resal ont également publié en 2016 En toutes lettres. Lignée de femmes à l’écritoire au XIXe siècle, PU Limoges, 2016.
Pierre Allorant et Jacques Resal ont édité ensemble Un médecin dans le sillage de la Grande Armée. Correspondance de Jean-Jacques Ballard avec son épouse Ursule demeurée en France (1805-1812), L’Harmattan, 2012 ; Femmes sur le pied de guerre. Chronique d’une famille bourgeoise 1914-1918, Septentrion, 2014 ; Lignes du front de l’arrière. Correspondance du directeur de la compagnie des tramways de Bordeaux avec son fils artilleur. 1914-1918, PU Bordeaux, 2015 puis, aux éditions Encrage dans la collection « Vécus », en 2014 La Grande Guerre à tire-d’ailes. Correspondance de deux frères dans l’aviation (1915-1918) (Vécus N° 5), en 2015 La République au défi de la guerre. Lettres et carnets de l’Année terrible (1870-1871) (Vécus N° 7) ; en 2016 Le Génie de l’Orient. Lettres de guerre d’un officier du génie de l’Algérie à la Crimée (1831-1856) (Vécus N° 9), Les amants de Bonaparte : Roman par lettres et chronique conjugale (1798-1803) (Vécus N° 10) et Des médecins au service du progrès (Lettres d’une famille de médecins au XIXe siècle, de Louis XVIII à Gambetta) (Vécus N° 11).
Jacques Resal est le cousin issu de germain de l’historien Pierre Allorant. Ils ont édité ensemble pas moins 9 ouvrages à ce jour.
Pierre Allorant est professeur en Histoire du droit et des institutions à l’université d’Orléans (POLEN EA 4710). Au sein du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes), Pierre Allorant est membre de la branche CEPOC (Centre d’Études Politiques Contemporaines), dont le professeur des universités Jean Garrigues est l’actuel directeur. La spécificité du CEPOC est d’appliquer en priorité les questionnements du laboratoire POLEN au champ des pouvoirs, institutionnels et autres, mais aussi des contre-pouvoirs, des marges et des dissidences politiques, sociales et culturelles. Il regroupe des historiens du politique et de la littérature, des linguistes, des civilisationnistes et des historiens du droit. Sa spécificité, à l’échelle nationale, est notamment d’être la seule équipe d’historiens français travaillant sur la vie parlementaire. Les problématiques et les travaux du CEPOC sont centrés sur la période contemporaine (XIXe-XXIe siècles) mais également ouverts aux autres périodes historiques, de l’Antiquité à la période moderne. Ils mettent l’accent sur la dimension internationale et comparatiste des questionnements étudiés. Un autre point fort du CEPOC est l’étude de l’écriture du discours mémoriel, qui reste un champ encore insuffisamment exploré et qui correspond aux compétences exprimées dans l’équipe du CEPOC, tant chez les historiens que chez les littéraires et les linguistes. La perspective est donc historique, concernant les politiques de la mémoire (commémorations, discours politiques, mémoires de l’événement et lieux de mémoire). Les thèmes de recherche de Pierre Allorant sont l’apport des sources non-officielles à l’histoire de l’administration : fonds privés, épistolaire et écrits du for privé, littérature et caricature. Depuis le 17 novembre 2016, Pierre Allorant est devenu Doyen de la faculté de Droit, d’Économie et de Gestion de l’université d’Orléans.

La demeure de l’ambition  : une saga épistolaire sur un siècle vue au travers du prisme de 4 femmes

L’ambition de cet ouvrage, conçu à partir d’une sélection de 778 lettres, est de relater la vie quotidienne d’une famille bourgeoise française et à travers les lettres de femmes sur 4 générations, en France ainsi qu’à l’étranger, de 1814 à 1904.
Si le mode de vie des familles bourgeoises a su attirer l’attention des historiens, l’originalité consiste ici à saisir l’ascension d’une lignée de médecins et d’ingénieurs du Morvan au XIXe siècle. À partir d’un corpus exceptionnel de lettres de femmes, un miroir est tendu à l’ambition de ces femmes qui portent l’ambition scolaire, intellectuelle et professionnelle de leurs époux, fils et frères, tout en assumant la gestion de la demeure. Contribution à l’histoire de la conjugalité, de la maternité et de la sororité, ce recueil de correspondance intime exprime les sentiments de ces femmes, leurs frustrations, leurs déceptions, leurs peines, mais aussi leurs affections et leurs loisirs, leurs plaisirs et leurs jours en Bourgogne, de Louis XVIII à Clemenceau.
Un cousin de Pierre Allorant (Jacques Resal) a retrouvé plusieurs centaines de lettres dans un coffret en bois oublié dans le grenier de la maison de famille. De ce matériau épistolaire familial, les deux auteurs en ont tiré la substantifique moelle. L’ouvrage est composé d’une préface de Geneviève Haroche-Bouzinac (Professeur de Littérature française de l’Âge classique à l’université d’Orléans-Laboratoire POLEN) intitulée « Portrait de groupe » (p. 9-17), d’une longue présentation de la part des auteurs « Une saga épistolaire vue du côté des femmes » (p. 19-42), d’un utile arbre généalogique de la famille Ballard-Berthot-Resal (p. 43), des repères chronologiques allant de 1814-1914) (p. 45-53). Outre les quatre parties « I-Ursule ou l’amour médecin » (p. 57-148) et « II-Louise ou l’émancipation par procuration » (p. 149-228), « III-Gabrielle, Polytechnique oblige » (p. 229-364) et « IV-Julie et les siens La Belle Époque à Bordeaux » (p. 365-419), le livre se termine par des annexes (p. 420-433) au nombre de 6, de deux indispensables index des noms de lieux (p. 435-439) et de personnes (p. 440-444) et, enfin, d’une table des matières (p. 445).
La première partie, consacrée aux « I-Ursule ou l’amour médecin » (p. 57-148), couvre la période allant d’août 1814 au 22 juillet 1841, avec un corpus de 143 lettres. Ursule Ballard (1778-1846) est l’épouse de Jean-Jacques Ballard et la mère de 5 enfants : James (1800-1880), Ernest (1807-1892), Louise (1808-1879), Ivane (1815-1884) et Charles (1817-1868). Durant ces 27 ans d’échanges épistolaires, Ursule Ballard écrit abondamment à son mari Jean-Jacques et son fils aîné James. Le tempérament passionné d’Ursule s’accommode mal d’être si souvent éloignée de son époux, Jean-Jacques. Elle a passé sa vie à attendre son retour et, avec lui, la promesse d’une sécurité, voire d’une aisance maté­rielle. Les dangers des guerres napoléoniennes, les incertitudes politiques l’ont rendue amère. Ses deux dernières grossesses n’ont pas été désirées (Ivane et Charles). Malgré sa vocation maternelle et son attachement à ses enfants, la jeune femme est usée par des séparations de plusieurs années. Seule, elle a dû faire face à la gestion des affaires familiales et aux tâches éducatives. Son rêve de fusion s’est évanoui et ce n’est plus la jeune femme gaie, mais une mère digne et fatiguée. L’expérience d’Ursule est largement partagée par la génération féminine qui l’entoure, épuisée par les guerres de l’Empire. Contrairement à sa sœur Nadine, Ursule cherche en elle-même des ressources. Son isolement la renforce. Ursule, mère attentive, ménage la sensibilité de ses enfants, et particulièrement celle de sa fille Louise, dont elle connaît la vulnérabilité et la détermination.
La deuxième partie, « II-Louise ou l’émancipation par procuration » (p. 149-228), va du 15 septembre 1843 au 26 avril 1876, en 193 lettres. Louise Ballard-Berthot (1808-1879) est la fille d’Ursule Ballard et l’épouse d’Eugène Berthot (1800-1878) ainsi que la mère de 3 enfants : Lydie (1830-1911), Pol (1832-1906) et Gabrielle (1836-1911). Durant ces 23 ans d’échanges épistolaires, Louise Ballard-Berthot écrit beaucoup à son mari Eugène et à son frère cadet Ernest. Comme sa mère en effet, Louise a tenu à choisir elle-même son mari. Malgré de sérieuses préventions en la défaveur du candidat (Eugène Berthot était père d’un enfant né hors mariage et entretenait une liaison qu’il avait promis de quitter), elle décide de l’épouser. Contre toute attente, la jeune femme s’épanouit dans cette union. Capable de superviser la gestion de deux domaines, le sien et celui de ses parents appartenant désormais à son frère (« Chaumes »), l’énergique Louise a le sens des négociations. Ses proches réclament sa présence pour conclure l‘achat de meubles ou d’une voiture, elle conseille même ses frères sur leurs placements financiers. Sensible à quelques vanités mondaines, elle n’est pas sans profondeur et s’intéresse à l‘actualité et à l’Histoire. Ses lettres affectueuses et allègres offrent peu de place à des états d’âme mélancoliques. Sportive, elle apprécie de s’adonner à ce qu’elle appelle « sa course pédestre », qui la défatigue. Sensible, elle paraît douée pour le bonheur qu’elle débusque dans les aspects les plus microscopiques de sa vie.
La troisième partie, « III-Gabrielle, Polytechnique oblige » (p. 229-364), couvre la période allant du 13 avril 1887 au 21 mars 1911, en 303 lettres. Gabrielle Berthot-Resal (1836-1911) est la petite-fille d’Ursule Ballard, la fille de Louise Ballard-Berthot et est l’épouse d’Henry Resal ainsi que la mère de 2 fils : Jean (1854-1919) et Eugène (1859-1938). Durant ces 24 ans d’échanges épistolaires, Gabrielle Berthot-Resal écrit abondamment à son fils cadet Eugène et, à partir de juillet 1908, à son petit-fils Younès. L’allégresse de Louise vient en héritage à sa fille Gabrielle. Elle aussi croque la vie à pleines dents. L’été, elle aime se baigner dans les rivières et dans la mer. Levée tôt, couchée tôt, elle profite de chaque instant du jour. L’hiver, à la campagne, elle étudie des « airs anodins » au piano pour pouvoir jouer à quatre mains avec sa petite-fille Mériem. Elle adore les jeux de cartes et avoue une faiblesse pour le poker. La lecture des classiques français l’enchante, elle lit et relit le théâtre de Molière et de Racine. Elle s’intéresse, comme sa mère Louise, à l’Histoire (elle dévore l’œuvre de Jules Michelet) et à l’actualité, sur laquelle elle fait des réflexions : elle prône la création d’États-Unis d’Europe. Pour intéresser ses destinataires, Gabrielle collectionne les anecdotes : elle évoque l’accident de la locomotive à la gare Montparnasse ou encore le tragique incendie du Bazar de la Charité, en 1897. L’âge venant, la belle humeur de cette indépendante ne s’altère pas. Comme sa grand-mère Ursule, lorsqu’elle est isolée par la force des circonstances ou par son propre choix, elle ne souffre pas de la mélancolie de l’isolement. Puis, lorsque les infirmités de la vieillesse la contraignent à séjourner longuement au soleil de Tamaris-sur-Mer (dans le Var), cette femme aimable en profite pour se remettre à l’anglais.
La quatrième partie, « IV-Julie et les siens La Belle Époque à Bordeaux » (p. 365-419), va du 14 septembre 1907 au 19 juin 1914, en 139 lettres. Julie Gratiot (1867-1931) est la belle-fille (ou la bru) de Gabrielle Berthot-Resal et l’épouse d’Eugène Resal ainsi que la mère de 6 enfants (4 garçons et 2 filles) : Mériem (1888-1976), Salem (1889-1960), Henri Yoannes dit Younès (1891-1914), Chérifa (1892-1947) Paul (1894-1983) et Louis (1895-1925). Durant ces 7 ans d’échanges épistolaires, Julie Gratiot écrit surtout à ses 2 fils Salem et Younès. À l’aube de sa vie conjugale et familiale, les lettres de Julie détendues et gaies emboîtent le pas de celles de ses aînées. Cette mère de six enfants fait le récit des fêtes costumées auxquelles elle est invitée, de bondissants quadrilles. Excellente couturière, elle accepte avec grâce de sacrifier son temps à la fantaisie de ses 2 filles et confectionne robes et chapeaux, tout en se gaussant de la mode des robes étroites qui limitent les mouvements. Mais Julie n’est pas pour autant ennemie de la modernité, avec enthousiasme, elle salue les débuts de l’hydroplane. Elle narre la mémorable anecdote du vol de la Joconde. Sans nul doute, Julie excelle comme chroniqueuse.

La demeure de l’ambition  : L’ascension d’une famille bourgeoise française durant un siècle (1814-1914)

En guise de conclusion provisoire concernant l’ouvrage La demeure de l’ambition : L’ascension d’une famille bourgeoise vue à travers les lettres des femmes (1814-1914), ce dernier (présenté, établi et annoté par Jacques Resal et Pierre Allorant) a le mérite d’exister et d’avoir été mis en perspective sur le plan historique par l’historien Pierre Allorant et son cousin Jacques Resal.
Ces 4 générations de femmes aux destins si différents sont en revanche porteuses de valeurs communes : la générosité envers autrui, la solidarité entre membre de la fratrie, le bonheur durable dans le couple (« se plaire sans passion »), la parcimonie économique et, enfin, persuader les enfants plutôt que de les contraindre ou éduquer avec constance et fermeté. Bref, comme l’écrit la préfacière Geneviève Haroche-Bouzinac : « Ces correspondances révèlent leur façon d’accepter les contraintes et de respecter les normes imposées par leur condition. La lettre leur permet de vivre de façon interposée, à travers leurs fils et leur petits-fils, l’ambition professionnelle qui leur est refusée. Ainsi, la vie de ces quatre générations, fondée sur l’exercice de la volonté, apparaît-elle comme un perpétuel aménagement et une négociation entre des impératifs intériorisés ».
Grâce à cette initiative des Presses Universitaires de Limoge, cet ouvrage s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à de nouveaux champs historiques qu’à ceux férus de la vie quotidienne des Français sous le Restauration jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale sans oublier les érudits locaux et les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2 voire de thèse.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)