Yves-Marie Bercé, moderniste reconnu, professeur émérite d’histoire moderne à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages (parmi lesquels Croquants et nu-pieds, en 1974, Les monarchies dans l’Europe moderne (XVIe – XVIIIe siècle, en 2016 ou Violences et répression dans la France des temps modernes, 2018) dirige un nouvel ouvrage centré sur la violence dans les campagnes entre le 16ème et le 19ème siècle. Ce thème a donné lieu depuis une trentaine d’années à plusieurs projets de recherches questionnant la croyance en une rudesse plus grande des campagnards dont les mœurs seraient forcément « brutales et cruelles »[1], bien plus que l’auraient été celles des urbains qui, eux, auraient été fins et délicats ou plus que le sont celles de nos contemporains[2].
Sont présentées des violences collectives et des violences individuelles à des moments et dans des régions différentes même si le Quercy et le Bassin parisien sont sur-représentés. Certes avec des contributeurs de qualité (Y.-M. Bercé, Jean-Claude Farcy, Jean-Pierre Jessenne…). Le lecteur montpelliérain regrettera néanmoins, peut-être par chauvinisme, l’absence du Midi provençal ou languedocien dans ce travail. Mais aussi celle de régions frontalières propices à la contrebande. Même si les Flandres donnent lieu, avec la Beauce, à un article sur les violences des plats pays. Signalons cependant un article qui dépasse le cadre régional d’Andrée Corvol, « Les violences en forêt » entre le 17ème et le 19ème siècle qui pourrait intéresser les professeurs de Terminale pour le programme de la spécialité HGGSP. Parmi les violences collectives, le moment révolutionnaire a débouché en Vendée sur des révoltes paysannes, c’est connu. L’article de Alain Gérard présente celle qui eut lieu dans les Deux-Sèvres, à l’été 1792, contre la mainmise sur les terres, les exigences et les « vexations de la bourgeoisie révolutionnaire » des villes, préfiguration de la guerre de Vendée[3].
On retiendra dans ce compte-rendu quelques thèmes évoqués dans ces contributions et qui nous semblent mériter l’attention. En premier lieu, nous l’avons dit, le lieu commun qui attribue aux ruraux une plus grande propension à la violence, le préjugé qui mérite réflexion et réexamen, est déconstruit. De plus, plusieurs communications évoquent la question des sources. Les « sources narratives, chroniques et mémoires » sont « rares et ponctuelles ». Les archives judiciaires sont abondantes mais biaisées, elles ne traitent que de « la criminalité connue », c’est-à-dire les affaires que les législateurs ont à un moment considéré comme relevant du droit pénal. Elles traitent rarement des violences au quotidien, des petites affaires qui, pour beaucoup, ont donné lieu à un arrangement, un accommodement sous l’égide d’un notable ou d’un quelconque arbitre. Par ailleurs, plusieurs auteurs (Benoît Garnot, J.-P. Jessenne, J.-C. Farcy) proposent dans leur contribution une typologie des actes violents. B. Garnot les présente clairement : violences verbales (injures, menaces), violences physiques (coups, homicide, meurtre prémédité) et insiste sur leur traitement extra-judiciaire. J. P. Jessenne présente les violences intimes, le plus souvent cachées, les violences dérivées de la délinquance, celles qui renvoient à des rivalités entre villages et qui opposent souvent les jeunes hommes. Mais aussi, les violences collectives contre les lois du marché ou celles liées aux confrontations révolutionnaires. Les acteurs des violences sont aussi présentés : jeunes hommes célibataires souvent, journaliers, domestiques… Et la diversité des lieux de ces violences est soulignée : cabarets bien sûr mais aussi bordures des villages, ainsi que tous les espaces pouvant donner lieu à contestations : chemins (privés ou non), champs (à cause du glanage, du grappillage), mares… Enfin, les origines de ces violences sont explorées. Le ressort des violences individuelles est souvent lié à la mise en cause de l’honneur, « seul capital dont dispose les plus pauvres ». Les violences collectives, plus rares, s’expliquent par la volonté de la communauté de se protéger, contre des brigands par exemple (article de Philippe Hamon, « Résister à gens de guerre ») ou contre des gens des villes, d’où des marches contre les cités[4].
Un ouvrage que tous ceux qui s’intéressent aux Temps modernes et au 19ème siècle liront avec plaisir. Un livre qui permet de mieux saisir le quotidien des campagnes, les violences qui s ‘y déploient mais aussi de s’interroger sur le rapport aux sources. Enfin, un travail qui donne envie d’en savoir davantage sur ceux qui devaient intervenir et limiter ces violences : gens de justice au plus près des communautés villageoises et gendarmes dont le rôle s’accroît.
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[1] Voir par exemple le 21e colloque annuel de l’Association des ruralistes français (ARF) consacré aux « Violences rurales au quotidien » qui a donné lieu à un ouvrage.
[2] Mœurs qui pour Norbert Elias auraient été, au fil des siècles, civilisées, sauf aurait-on envie d’ajouter, en temps de génocide ou de guerre.
[3] On regrettera cependant que cet article qui entendait dépasser les histoires militantes, pro-vendéenne ou acritique par rapport aux révolutionnaires, penche par trop d’un côté. Dans un des rares passages sur les événements nationaux, Louis XVI, dont l’auteur ne cite pas la fuite en juin 1791 et ses conséquences, est-il présenté comme « tétanisé, incapable d’user de la force pour éviter le glissement vers la violence », le 10 août 1792 (p. 247).
[4] Un petit éclairage sur les résistances au coup d’̏État de décembre 1851 n’aurait-il pas été judicieux ?