Les éditions Dunod publient une réédition retravaillée de l’ouvrage de René Kaës, Professeur émérite de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université de Lyon 2, sur l’idéologie. René Kaës ne propose pas un ouvrage de science politique mais de psychologie. Il analyse l’idéologie comme un « reflet inverse du réel, instrument de la falsification et de l’illusion » (p. XIII). Il décrit le dévoilement réel des institutions comme un des effets de leur décomposition.
René Kaës présente un rappel historique. Au XIXe siècle, l’’idéologie s’impose comme discours nécessaire à la construction d’une identité collective, d’un sentiment d’appartenance et d’une vision collective du monde. L’idéologie s’impose comme une nécessité. Mais, selon la formule de Raymond Aron, l’idéologie a fini par s’identifier aux idées de l’adversaire. Jugée néfaste et manipulatrice, l’idéologie aurait été rejetée et serait, aujourd’hui, disparue. Contre cette affirmation, René Kaës affirme que l’idéologie existe toujours : les contenus se sont désintégrés, les formes se sont émiettées mais l’idéologie continue d’exister. En effet, du point de vue analytique, l’existence de tout groupe repose nécessairement sur une idéologie.
René Kaës définit l’idéologie comme un discours construit par les membres d’un groupe pour construire le groupe. L’idéologie a d’abord une fonction organisatrice. Elle a pour fonction de rassembler, de créer une unité entre les membres du groupe. Mais elle est aussi un principe de défense contre les menaces de destruction interne et externe à la fois des individus et du groupe. Elle est un donc instrument à la fois inclusif et exclusif, structurante et clôturante. Mais René Kaës souligne que l’idéologie est un « faux savoir ». Elle ne permet pas une élaboration individuelle du réel en imposant un pré non pensé du réel. Elle produit de l’impensé. Cet impensé repose sur l’adhésion à une vérité idolâtrée qui est un ordre souverain auquel il est nécessaire d’adhérer. La fonction de l’impensé est essentielle puisqu’il permet de préserver l’existence du groupe. Les individus y adhèrent car elle permet de préserver l’omnipotence narcissique à laquelle ils devraient nécessairement renoncer avec la disparition du groupe. L’existence de l’idéologie est permanente car elle est, du point de vue psychanalytique, une position mentale davantage qu’un discours.
René Kaës souligne l’idéologie peut créer un lien tyrannique entre les membres et imposer un leader dictatorial. Reposant sur un désir, à savoir celui de faire partie du groupe, l’idéologie devient violence envers celui qui en est exclu. Dans une situation extrême, elle aliène les uns et persécute les autres. Le fonctionnement des États totalitaires l’atteste.
L’ouvrage est dense, nourri de nombreuses études essentielles pour la compréhension des groupes, comme celles de W. R. Bion ou de H. Arendt. Il permet de réfléchir à ce qu’est véritablement une idéologie, à savoir « une ‘pensée‘ contre le penser » (p. 188). Un ouvrage très utile pour celles et ceux qui enseignent sur le sujet.

Jean-Marc Goglin