Cet ouvrage collectif a pour ambition d’être une référence pour les étudiants et les professionnels: forestiers, écologues, géographes… dans un domaine de recherche assez récent: la dendroécologie.
L’intérêt grandissant pour l’arbre et la forêt a incité l’Université de Laval, Québec, à réunir une équipe de contributeurs variés tant sur les fondements théoriques et méthodologiques que sur les applications possibles de cette étude très biologique du couvert forestier. Que nous apprennent les relations spatio-temporelles des arbres avec leur habitat?
Avec des exemples pris sur différents continents, l’étude fine des cernes annuels des troncs mais aussi de la structure microscopique du bois permet de dater et évaluer les variations du milieu aux quels les arbres ont été confrontés mais aussi de prévoir les réactions des végétaux aux changements climatiques actuels et à venir.

Anatomie, morphologie et génétique des arbres

Alexis Achim et Alain Cloutier donnent les clés pour identifier les familles, genres et espèces à partir de l’examen visuel d’un échantillon de bois associé à une clé d’identification microscopique. La recherche s’appuie sur des études conduites au Nord-Est du continent nord-américain mais est transposable à la plupart des régions tempérées. Un rappel des données de base de la description macroscopique (un cerne annuel apparaît du fait de l’arrêt de croissance automnal) est complété de la description microscopique chez différents gymnospermes (plantes à semence nue, en particulier les conifères) puis angiospermes (plantes à fleurs, et donc nombre de feuillus).

Si les premières observations de l’anatomie des bois datent, comme le rappellent Holger Gärtner et Ingo Heinrich, de l’antiquité (Théophraste, Pline) l’invention du microscope au XVII ème a permis de grand progrès. La dendrochronologie permet à l’archéologie de dater et reconstituer les climats anciens; reste un domaine à approfondir: la détermination du moment précis où un arbre réagit à un événement, connaissance aujourd’hui cruciale face au réchauffement climatique. Au-delà de la simple observation des cernes, il convient d’identifier les variations anatomiques du bois. Les deux auteurs décrivent les techniques adéquates de préparation des échantillons quand on cherche à connaître la croissance secondaire interannuelle. Les études déjà conduites (Sibérie, Scandinavie) donnent des informations sur le rôle des températures moyennes en été, de la disponibilité et eau et de la lumière.
Dans la zone intertropicale, en particulier dans les régions à saisonalité climatique les variations de la durée du jour semble jouer un rôle majeur.

Quatre chercheurs de l’Université de Québec à Chicoutimi( A. Deslauriers, S. Rossi, H. Morin, C. Krause) présentent l’historique des techniques de mesure de la croissance intra-annuelle, micro-échantillons: préparations qui permettent d’analyser la formation du xylène et utilisation du dendromètre pour évaluer la variation radicale du tronc. Le traitement des données permet une mise en relation des observations et des variations climatiques.

Cornela Krause consacre le chapitre 4 au système racinaire. Les racines, fondamentales par l’apport d’eau et d’éléments nutritifs à l’arbre, évoluent dans leurs formes et densité. Les radicelles sont un bon indicateur des conditions environnementales: froid hivernal, sécheresse, problèmes écologiques des sols…
L’auteur dresse le bilan des études disponibles sur l’anatomie des racines, leur architecture et l’interaction racine-tige.

Jeanne Millet s’intéresse à l’architecture des arbres: nature et agencement des diverses parties, évolution dans le temps en fonction de l’espèce et des conditions du milieu. Des études des années 60-70 ont mis en évidence des modèles structuraux pour les arbres de la zone tropicale, le même travail est en cours pour la zone tempérée avec dans les deux cas un outil important: le dessin, de nombreux croquis illustrent ce chapitre.

Ce sont les facteurs génétiques des espèces arborescentes nordiques qu’étudient Jean Beaulieu et Jean Bousquet dans leur contribution. Leur étude porte sur la variation au sein d’une même espèce, mise en place de tests génécologiques et sur les conclusions possibles pour évaluer le potentiel d’adaptation aux évolutions climatiques, notamment l’allongement de la période de croissance sans que l’on puisse pour l’instant mesurer la contribution de chaque gène à ces évolutions.

Méthodes d’analyse dendroécologique

Après un tour d’horizon des diverses techniques d’échantillonnage, avantages et limites, Ann Delwaide et Louise Filion précisent les étapes de la préparation: carottage de sonde et section transversale. Dans un second temps l’article pose les questions de datation, cernes diagnostiques, et validation statistique.

Antoine Nicault, Yves Bégin et Joël Guiot traitent de la standardisation des séries dendrochronologiques dans le but d’obtenir des valeurs moyennes aux différents ages de l’arbre. Les cernes informent sur quantité de facteurs environnementaux rendant la lecture difficile et rendent indispensables des références fiables obtenues sur de grandes séries. Les différentes méthodes de calcul de la croissance des arbres sont présentées et analysées.

A partir des travaux de Fritts dans les années 70, on a une assez bonne représentation des relations entre séries dendrochronologiques et évolution climatique, ce qui permet de faire des hypothèses prédictives. Par contre, pour Antoine Nicault et Joël Guiot, il semble plus difficile de reconstituer un climat, cela nécessite un réseau de références qui puisse définir un signal régional. L’objectif de cet article est de faire le point sur les méthodes utilisées pour comprendre les réponses de l’arbre aux changements climatiques en appui sur un exemple pris en zone méditerranéenne.

Pour analyser la croissance des ligneux (arbre ou arbuste) on analyse les cernes annuels à différentes hauteurs de la tige, ce qui restitue en quelque sorte son histoire. Serge Payette et Ann Delwade établissent ainsi les “patrons de croissance”: en hauteur, entre deux noeuds, en diamètre et les corrélations entre les diverses données. Ces études sont très utilisées en foresterie.

Luc Cournoyer propose d’aller au-delà des études habituelles grâce aux techniques de l’imagerie numérique. Après des considérations techniques sur l’acquisition de ces images, l’auteur présente les systèmes de mesure automatique des cernes, analyse les variations et surtout montre la gamme étendue d’informations disponibles sur l’influence des précipitations, l’exposition ou l’enfouissement racinaire. La mesure de la densité du bois intéresse non seulement le chercheur mais aussi le forestier et l’industriel.

C’est une équipe des universités de Rennes, Montpellier et Québec qui signe la contribution dédiée à la dendroanthracologie. On sait combien les préhistoriens ont appris de l’étude des charbons de bois trouvés dans les foyers fouillés, une analyse plus fine est désormais possible qui permet par exemple l’étude des micro-charbons décelés dans les lames d’étude des pollens évoquant ainsi des niveaux d’incendie. Une étude poussée permet de déterminer les essences et par les modifications subies les conditions de la carbonisation. Suit un exposé très technique des méthodes utilisées qui débouche sur une meilleure connaissance des paléo-environnements, décrits dans deux situations: la France atlantique et l’histoire de l’olivier en Méditerranée.

Applications de la dendroécologie

Dans un long chapitre très documenté, Serge Payette traite de la structure d’une population forestière, ses évolutions liées aux variations écologiques mais aussi de la démographie des espaces forestiers naturels ou plantés. Il analyse les perturbations des écosystèmes à différentes échelles spatiales (régionale, locale) et temporelles.

Hubert Morin, Yves Jardon et Sonia Simard présentent l’étude pointue d’un cas particulier de parasite: la tordeuse qui entraîne une défoliation de l’épinette mais aussi du sapin baumier au Canada sur un cycle de 20 ans, repéré dans l’étude des cernes.

Louise Filion, Conrad Cloutier et Luc Cournoyer s’intéressent à un autre ravageur: la tenthrède du mélèze. Outre la description de l’insecte et de son comportement, l’article montre l’intérêt de l’étude des cernes dans deux enquêtes en zone arctique et subarctique de l’Est du Canada, régions pour lesquelles on ne dispose pas d’études entomologiques.

Yves Bergeron et Danielle Charron présentent le concept d’un aménagement des forêts qui vise à se rapprocher de la dynamique naturelle; Ce qui suppose une bonne connaissance des écosystèmes naturels encore présents en Abitibi Témiscamingue, ce que permet l’étude de la forêt du lac Duparquet, et ses réponses aux perturbations: feux naturels, tordeuse de l’épinette.

Mais les forêts ont à souffrir d’autres atteintes, celles des mammifères qui retiennent l’attention de Stéphane Boudreau dans son article. Il présente l’impact des grands herbivores (orignal, caribou, cerf de Virginie) mais aussi du porc-épic, des campagnols et lemmings.

Avec André Billamboz, nous revenons sur le vieux continent et plus spécialement vers les habitas palafittiques du Sud-Ouest de l’Allemagne. Si la dendroarchéologie s’est développée dans le dernier quart du XX ème siècle avec la datation des vestiges, aujourd’hui, en s’appuyant sur de longues séries, on peut reconstituer le cadre géo-climatique d’un site.

La contribution suivante, de Louise Filion et Holger Gärtner, est consacrée à la dendrogéomorphologie, en quoi l’étude des cernes du bois peut-elle nous renseigner sur l’évolution des formes de terrain? Après une étude de la corrélation entre croissance de l’arbre et modification de surface du sol due à l’érosion, on aborde maintenant le domaine des risques naturels. Les principes de cette analyse sont exposés en détail ainsi que les champs d’application: activité de versant, activité lacustre et fluviale, glaciaire mais aussi sismique ou éolienne.

Dans les régions éloignées comme le milieu boréal, seule l’analyse des cernes permet de connaître les épisodes de crues ainsi que le comportement des écoulements de pente apportant une meilleure connaissance du régime hydrologique annuel comme le montre la contribution d’Etienne Boucher, Yves Bégin et Dominique Arseneault.

Yves Bégin applique ces techniques à la neige, parlant alors de dendronivologie pour mieux comprendre les conséquences des inégalités de couverture neigeuse en zone forestière: effets de la charge nivale (rupture, déformations), effet du contact air/neige pour la période actuelle mais aussi pour les temps historiques depuis le XVI ème siècle.

Christian Bégin, Martine Savard, Joëlle Marion et Michel Parent relient les distorsions repérées sur les cernes à des phénomènes de pollution atmosphérique, c’est la dendrogéochimie. L’analyse de la composition chimique des cernes rappelle l’exposition aux rejets industriels (SO2, NO2, métaux lourds). Les auteurs étayent leurs conclusions par un exemple: l’étude des métaux rejetés par deux fonderies canadiennes de la région de Rouyn-Noranda.

Nous quittons le froid canadien pour l’hémisphère sud, le climat change, il a déjà connu de grandes variations dans le temps et les longues séries dendrochronologiques sont donc très intéressantes. Une équipe nombreuse et multinationale tente un bilan des connaissances de ces séries pour l’hémisphère Sud: répartitions des sites, espèces étudiées, période concernée et regroupements possibles.

Lucien Teissier et Jean-louis Edouard nous ramènent dans les Alpes avec un regard sur la limite supérieure des forêts; mélèze, pin cembro, pin à crochets et occasionnellement épinette de Norvège sont de bons indicateurs pour lesquels on dispose de longues séries qui permettent une reconstitution chronologique du dernier millénaire. Les bois fossiles nous renseignent sur la période qui précède l’an mille et en particulier l’holocène.

Un détour par la Laponie aux côté de Samuli Helama, Matti Eronen et Mauri Timonene pour une étude des bois fossiles trouvés dans les petits lacs autour de la station météorologique de Karajosk. Elle a permis de mieux comprendre le développement historique de l’écotone du pin, limite entre arbres isolés et forêt.

Enfin retour sur le continent américain avec la présentation de trois longues séries: épinette noire, Thuya et Pin blanc par Dominique Arseneault. Ces séries permettent de connaître les évolutions climatiques depuis 1500 ap. J-C et en particulier dans les zones limites en altitudes ou en latitudes entre deux domaines écologiques.

En conclusion Louise Filion revient sur l’ambition de ce livre: faire le point sur les divers sujets et par les exemples présentés être un ouvrage pédagogique à destination des étudiants. Il se veut une référence pour les chercheurs et les professionnels de l’environnement.

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