La rubrique « Passeur d’histoire » propose un très court entretien avec le sergent Beraki, Érythréen enrôlé en 1932 dans l’armée royale italienne et devenu un Ascaro, tirailleur indigène. Son souvenir « le plus plaisant » reste probablement la campagne d’Éthiopie. « Après la victoire, je me souviens que le Duce en personne est arrivé en Éthiopie pour nous féliciter. Nous étions tous orgueilleux de ce que nous avions accompli »…

Une double thématique compose ce numéro (dont le nombre de pages a encore été réduit, diminuant de 16 pages en deux numéros) qui a pour cadre les mois de mars et d’avril 1941 : l’une concerne des acteurs de l’histoire, l’autre l’évolution des situations militaires et diplomatiques.

François Kersaudy dresse le portrait de George VI, « Le roi malgré lui » auquel le film « Le Discours d’un roi » vient de redonner la célébrité. Un encart rappelle à ce propos que le film « apparaît comme un monument somptueux érigé sur un socle historique vacillant ». Churchill y conspire pour amener Edouard VIII à abdiquer alors qu’il fit en réalité tout pour l’en dissuader ; Chamberlain est absent alors qu’il fut Premier ministre de mai 1937 à mai 1940 ; George VI s’y montre résolument hostile au nazisme menaçant alors qu’il fut un munichois convaincu ; il n’est d’ailleurs jamais question de Munich dans le film !

Chétif, maladif, affecté d’un bégaiement tenace, le duc d’York n’était pas préparé à régner. Il y fut contraint par l’abdication de son frère le 10 décembre 1936. Il n’éprouve aucune sympathie pour le régime nazi, mais il soutient résolument la politique d’« appeasment » de N. Chamberlain. En juin 1939, il rencontre le président Roosevelt qui se dit convaincu d’une guerre prochaine et qui lui confie ce qu’il espère pouvoir faire alors pour venir en aide au Royaume Uni. Le 3 septembre 1939, il annonce au pays, au Commonwealth, à l’Empire et au monde que la Grande Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

Durant la « drôle de guerre », il exige d’être informé de tout, n’hésite pas à donner son avis, écrit régulièrement au président Roosevelt, correspond avec les monarques de Bulgarie, Roumanie, Yougoslavie, Grèce, Pays-Bas, Belgique et Norvège « pour les encourager à résister aux avances et aux menaces d’Hitler ». C’est « à regret et par défaut » qu’il nomme Churchill Premier ministre : il lui aurait préféré Halifax. « Churchill va témoigner à George VI un respect, une fidélité et une confiance qui auront tôt fait de désarmer les préventions du monarque ». Durant l’été 1940, il inspecte les camps militaires, les aérodromes, les unités navales ; il accueille au palais les monarques des pays envahis ; il rencontre les représentants des autorités en exil. Quand les bombes pleuvent sur Londres, le couple royal refuse de quitter le palais ; on verra souvent le roi au milieu des quartiers dévastés, cherchant toujours à réconforter les victimes. Début février 1941, fait exceptionnel, il accueille en personne le nouvel ambassadeur des États-Unis

Xavier Tracol fait le portrait d’Erwin Rommel au printemps 1941. « Stratège génial selon les uns, dangereux trompe-la-mort pour les autres, le « renard du désert » fascine encore de nos jours. On sait maintenant que l’image policée de l’officier « ayant seulement fait son devoir » – un mythe nourri à l’Ouest pendant les années de guerre froide – ne correspond pas tout à fait à ce qu’il fit, à ce qu’il fut. » Arrivé en Afrique du Nord à la tête de l’Afrikakorps, il désobéit à ses supérieurs italiens, « mais ses succès plaident pour lui » et Hitler le couvre. Ce sont les officiers britanniques et Churchill lui-même qui ont forgé sa légende pour justifier leurs revers en Afrique. Rommel surestime ses forces et doit se replier en novembre 1941 sans avoir pu pénétrer en Egypte.

Le « Magazine » publie quelques « bonnes pages » de l’ouvrage de Vincent Nouzille, L’espionne. Virginia Hall. Une Américaine dans la guerre, (Fayard, 2010). Elle fut l’un des meilleurs agents de renseignement du SOE (réseau Buckmaster) et de l’OSS, « grâce à ses volontés d’organisatrice, à sa connaissance du français, à une volonté de fer et à une chance insolente. »

François Delpla développe quelques réflexions au sujet de l’ouvrage récent d’Alexandre Jardin, Des gens très bien (Grasset, 2011) et des critiques qui ont accompagné sa sortie. Jean Jardin (1904-1976) fut le chef de cabinet de Pierre Laval. Pascal Jardin, son fils aîné et Alexandre Jardin, son petit fils ont publié des ouvrages minimisant grandement ses responsabilités de collaborateur. Dans cet ouvrage, pour la première fois, Alexandre Jardin admet que son grand père ne put rien ignorer des tractations de Laval, Bousquet et Oberg à propos de la rafle du Vel-d’Hiv. Or les critiques ont largement tendance à le lui reprocher de rompre avec « une omerta sinistre » qui gouvernait la famille.

Les autres articles traitent de questions militaires et diplomatiques. David Zambo analyse la progressive déroute italienne en Afrique, « De la guerre parallèle à la guerre subalterne ». L’arrivée de des troupes de Rommel et sa stratégie offensive permettent la reconquête de la Cyrénaïque, mais l’offensive échoue devant Tobrouk en avril 1941. Rommel fera « endosser la responsabilité de ses échecs à ses alliés latins ». Dans la nuit du 28 au 29 mars 1941, les Britanniques coulent trois croiseurs lourds et deux unités mineures au large du cap Matapan (2305 morts et 1411 prisonniers). Ce désastre accroît le complexe d’infériorité des Italiens vis-à-vis des Britanniques. En Grèce, ce sont les Allemands qui obtiennent la victoire et ce n’est d’ailleurs qu’à eux que les Grecs entendent se rendre. C’est Hitler qui impose au gouvernement grec la signature d’un acte identique avec l’Italie, le 23 avril 1941. Enfin, les offensives britanniques mettent fin à l’empire éthiopien de Mussolini. La bataille de Keren (mars 1941) met 50 000 hommes hors de combat en 56 jours et ouvre la route de la capitale. Le 6 avril 1941, les troupes de Cunningham pénètrent dans Addis-Abeba et, le 5 mai, le Négus y fait une entrée triomphale. Il proclame la nécessité de « respecter la vie et les biens des Italiens » ; 30 000 civils au moins vivent alors dans la capitale et cet engagement lui permet « de maintenir le fonctionnement des infrastructures locales et de conserver un moyen de pression sur les Britanniques dont il refuse le joug potentiel ».

Deux articles sont rassemblés dans un dossier qui a pour titre : « Hitler frappe les Balkans ». L’opération allemande contre la Grèce pour soutenir les Italiens battus à l’automne 1940, convenue avec Mussolini en janvier 1941, se complique finalement d’une guerre-éclair contre la Yougoslavie. Une nouvelle victoire porte le prestige militaire de l’Allemagne à son zénith et permet de leurrer Staline qui peut (et qui veut) croire que l’URSS ne sera pas attaquée si Hitler se tourne vers la Méditerranée.

Matthieu Boisdron consacre un article à la Yougoslavie de 1918 à 1941. Il analyse l’évolution politique qui conduit « de la monarchie parlementaire à la dictature royale » et l’évolution diplomatique qui se caractérise par « le glissement de la Yougoslavie en direction de l’Axe ».

Sous le titre « Tonnerre dans les Balkans », Yann Mahé raconte comment « la Wehrmacht envahit la Yougoslavie et la Grèce« . Le 25 mars 1941, Hitler a obligé le prince Paul, régent de Yougoslavie en attendant la majorité du jeune roi Pierre II (alors âgé de 17 ans), à adhérer au pacte tripartite. Soutenus par l’opinion publique serbe, un groupe d’officiers proclame la majorité de Pierre II, dépose le conseil de régence, et nomme un nouveau gouvernement qui dénonce officiellement le pacte. Furieux, Hitler fait immédiatement modifier les plans d’invasion de la Grèce en préparation, pour y intégrer, sous le nom de code « Opération Châtiment », l’invasion de la Yougoslavie.

Elle est attaquée depuis l’Allemagne, l’Italie, la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie. Alors que la guerre n’a pas été déclarée, Belgrade est écrasée sous 360 tonnes de bombes. Les centres névralgiques du pays sont détruits, tandis que les Italiens entrent en Croatie où ils sont accueillis en libérateurs par la population. Le 17 avril, la Yougoslavie capitule ; le roi Pierre II s’envole pour la Grèce, puis pour Londres. La Yougoslavie est démantelée ; Allemagne, Hongrie, Italie et Bulgarie se partagent les dépouilles, tandis que la Croatie est érigée en État indépendant qui inclut la Bosnie-Herzégovine, sur lequel Ante Pavelic établit la dictature fasciste des Oustachis. Il s’agit en réalité d’un État fantoche, inféodé à l’Allemagne et à l’Italie. Les Oustachis massacrent avec une sauvagerie extrême plus de 260 000 Juifs, Tziganes et Serbes entre 1941 et 1945. Réfugié en Argentine en 1945, Pavelic s’éteindra paisiblement dans l’Espagne franquiste, en 1959.

La Grèce est attaquée le 6 avril 1941 à l’aube. Les Panzers entrent dans Thessalonique le 10 avril et dans Athènes le 27 avril. Le roi Georges et le gouvernement gagnent Le Caire. Le corps expéditionnaire anglais doit être évacué en catastrophe. Un gouvernement collaborateur s’installe en Grèce, divisée en trois zones d’occupation, allemande, italienne et bulgare.

François Delpla consacre une étude approfondie aux projets diplomatiques du ministre japonais des affaires étrangères du gouvernement Konoye, Yosuke Matsuoka, artisan du pacte tripartite signé par le Japon, l’Allemagne et l’Italie, le 27 septembre 1940. L’article, intitulé « Le périple capital d’un Japonais entreprenant », analyse les projets du ministre, qui entreprend en mars 1941 un voyage qui le conduit par le transsibérien, de la colonie japonaise du Mandchoukouo à Rome, via Moscou et Berlin ; il revient par le même itinéraire. Matsuoka voudrait « constituer un axe Tokyo-Moscou- Berlin-Rome qui permette au Japon de tarir l’aide soviétique à Mao afin de concentrer ses efforts militaires au sud, de couper Tchang de ses soutiens anglo-saxons (…) et d’amener en fin la Chine à composition ». Il veut aussi chasser les Britanniques du Pacifique en évitant une guerre contre les Etats-Unis. Il voudrait donc tourner l’Allemagne contre l’Angleterre qui serait coupée de ses approvisionnements énergétiques si elle perdait le Moyen Orient ; mais il ignore qu’à cette époque Hitler a choisi d’attaquer l’URSS et donc de ménager l’Angleterre s’il ne parvient pas à la vaincre au printemps 1941. Matsuoka obtient de Staline un pacte de non-agression, signé le 13 avril 1941 et valable pour une durée de cinq ans, ce qui devrait inciter Hitler à négocier avec l’URSS plutôt que de l’attaquer, sachant qu’elle ne le sera pas sur deux fronts. Tous ces efforts ne produiront aucun effet car Matsuoka n’avait pas pris en compte la dimension raciste des projets hitlériens. Quand il constatera que l’Allemagne envahit l’URSS, Matsuoka changera totalement sa politique et s’apprêtera à dénoncer le pacte pour attaquer l’URSS. Informé de ce revirement Roosevelt haussera le ton et Konoye demandera à Matsuoka sa démission.

François Delpla signe un autre article consacré au « Parti Communiste Français au début de l’Occupation ». Il rappelle d’abord que les partis communistes sont alors étroitement contrôlés par la IIIe Internationale, elle-même inféodée au Parti Communiste de l’Union Soviétique et donc à Staline. Il rappelle ensuite que Staline a imposé à l’Internationale une interprétation de la guerre qualifiée d’ « impérialiste » qui conduit à ne pas faire de différence entre l’Allemagne hitlérienne et la démocratie britannique. Il souligne enfin que le Parti Communiste Français applique cette politique. Il se réfère aux ouvrages les plus récents qui traitent du PCF à cette époque : celui de Jean-Pierre Besse et de Claude Pennetier, Juin 1940, La négociation secrète (Editions ouvrières 2006) et celui de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, L’Affaire Guy Mocquet (Larousse 2009). Mais il se montre très en retrait par rapport à ce que ces deux ouvrages nous révèlent de la politique du parti communiste en 1940. Il qualifie de « tragicomique » la demande de reparution légale de L’Humanité faite par Jacques Duclos aux autorités allemandes ; il n’en présente ni les modalités, ni les enjeux mais l’explique par un souci « d’autoconservation » du parti et l’interprète curieusement comme une stratégie nazie de compromission. François Delpla insiste sur le fait que l’histoire du PCF est encore mal connue (et non sur le fait qu’on la connaît de mieux en mieux), et sur la complexité dont il faut tenir compte. Il accorde une grande importance aux actions de l’Union des étudiants communistes dès la rentrée universitaire de 1940 et sur la répression dont ses dirigeants font l’objet dès novembre 1940. S’il admet que les tracts découverts chez Guy Môquet n’appellent pas à la résistance à l’occupant, il ajoute aussitôt que les « premiers mouvements de résistance (…) comptent dans leurs rangs beaucoup de communistes (…) et que le parti ne fait rien (…) pour les en dissuader » ce qui est une affirmation qui demanderait à être étayée et que contredit assez nettement la récente thèse de Julien Blanc sur les débuts de la Résistance.

Cet article m’a laissé une impression de gêne. Je me suis reporté au « Petit dictionnaire énervé de la Seconde Guerre mondiale » dont François Delpla est l’auteur et qui est lui ouvertement subjectif, dans l’esprit de la collection. J’y ai découvert que Jean-Marc Berlière y est accusé « d’aveuglement idéologique » et que François Delpla estime échapper pour sa part au « manichéisme ». J’avais la confirmation du fait que cet article est engagé dans le débat historiographique. C’est évidemment tout à fait acceptable mais ce n’est pas l’habitude des articles informatifs de cette revue. Il faudrait le dire au lecteur ou proposer à côté de celle-ci une autre analyse.

© Joël Drogland