Présentation

Vincent Samson est né à Rouen en 1966. Devenu officier de cavalerie breveté de l’Ecole de Guerre, il a par la suite étudié l’histoire médiévale, ainsi que la philologie scandinave ancienne à l’École pratique des Hautes Études. Il est l’auteur d’une thèse d’histoire médiévale intitulée « De furore Berserkico », les guerriers-fauves dans la Scandinavie ancienne : de l’âge de Vendel aux Vikings, soutenue en 2008 à l’Université de Lille, consacrée au compagnonnage guerrier dans le monde nordique ancien. Ainsi publié, ce travail constitue la première thèse en France sur le sujet, développant une importante réflexion critique à l’aide des nombreuses sources médiévales que sont les chroniques, poèmes, sagas ou encore les documents épigraphiques, onomastiques et archéologiques. L’auteur s’appuie également sur les recherches et interprétations proposées par d’autres spécialistes, scandinaves, allemands et anglo-saxons depuis plus de deux siècles qu’il analyse de manière objective avec ses propres données. Cet ouvrage, à travers ses neuf chapitres étalés sur 437 pages, déploie une approche pluridisciplinaire associant témoignages historiques, mythologie et philologie, et cherche à donner une vision historique de la figure mythique du berserker à travers ses traditions et son caractère sacré, en tant que modèle du compagnonnage militaire mais aussi dans la vision stéréotypée et déformée des auteurs postérieurs. L’œuvre de Vincent Samson nous plonge directement dans l’atmosphère des récits et mythes scandinaves du VIe au XIe siècles. Dès une riche introduction qui présente efficacement le cadre d’étude de l’auteur, les visions différentes partagées sur le sujet et ses démarches d’analyses sur ses sources principales sont abordées. L’auteur fait appel à un riche et vaste éventail de sources classées par ordre alphabétique, langues et types de documents en fin de livre. La bibliographie dispose notamment d’une page d’introduction renseignant le lecteur sur cette organisation et le guidant vers de possibles pistes pour satisfaire sa curiosité sur le sujet ou pour trouver quelques traductions d’ouvrages cités.

 Résumé

Le premier chapitre retrace l’ensemble des deux siècles de recherche qui ont été menés sur les berserkir. Vincent Samson y distingue trois temps : Le temps des pionniers entre le XVIIIe et le XIXe siècle se référant principalement à des auteurs postérieurs à l’Âge de Vendel, à l’image de Snorri Sturluson qui forme les premières collections de sources sur le sujet. Le second temps voit la recherche progresser drastiquement en termes de domaines et méthodes, les chercheurs s’intéressant à la transe du berserker et sa dimension littéraire. Le troisième temps correspond à l’ère des controverses ou sont publiées de nombreuses recherches aux approches originales, telles que celle de Lily Weiser mêlant histoire et ethnologie, mais aussi d’autres auteurs qui réfutent et proposent leur propre théorie. L’auteur retient toutes ces démarches et met en avant toute la fascination que provoque le berserker auprès des historiens, encore aujourd’hui objet de mystères et de débats, invitant à prendre certaines précautions sur ses propres informations.

Le deuxième chapitre est une étude étymologique et philologique dans laquelle l’auteur se penche sur la sémantique relative à la figure du berserker. Il met en avant deux appellatifs désignant ce personnage. Le premier, ulfheðinn, « pelisse de loup », rattache le berserker au loup et sa métamorphose et traduit un accoutrement, une capacité à revêtir l’animalité à travers des masques ou encore un comportement d’une extrême férocité au combat. Le terme est assez répandu au Xe siècle en Islande et en Suède dans les sagas ou sur des supports de pierre, tels que la Pierre d’Igelsta, et a sans doute une origine germanique. En revanche, le deuxième terme, berserker se veut un peu plus ambigu, l’auteur met en avant l’importante controverse relative au sens du mot parmi les chercheurs. Certains, à l’image d’E. Noreen, soutiennent que l’étymon ber correspond à nudus en latin, soit un « guerrier combattant nu » ou « sans armure » traduisant une caractéristique bestiale. En revanche, d’autres pensent que l’étymon berr correspondrait à ursus, soit un « guerrier ours » ou « revêtu d’une peau d’ours », élément sur lequel l’auteur semble s’accorder. Toutefois, Vincent Samson n’exclut pas la possibilité d’un glissement sémantique du terme nordique désignant l’ours vers le guerrier nu des auteurs de sagas postérieurs aux époques des berserkir, notamment en Islande chez Snorri Sturluson au XIIIe siècle, vivant à une époque très largement influencée par le christianisme, loin des cultes païens auxquels se rattache le berserker du IXe siècle. Ainsi, Georges Dumézil propose de les nommer objectivement « guerriers-fauves », terme réemployé par l’auteur qui renvoie toujours à un lien fort entre ces personnages et l’animal.

Dans le troisième chapitre, Vincent Samson s’interroge sur l’existence du berserker, en s’appuyant sur les œuvres scaldiques ou eddiques (poèmes et sagas entre des IX-XIIIe siècles) car l’appellatif apparaît dans les poèmes mais aucune rune n’existe pour le désigner. Ce sont les seules sources écrites qui nous soient parvenues sous formes de fragments indépendants évoquant les guerriers-fauves durant la bataille de Hafrsfjord (872) au sud de la Norvège qui oppose le roi Harald à la Belle Chevelure et Kiotvi le Riche dans les sagas islandaises. Le Fragment du corbeau place les berserkir auprès du roi Harald, en tant que figures du compagnonnage militaire porteuses d’anneaux et d’épées, preuves du statut éminent de ces guerriers d’élite dont sont vantés les hauts faits. Le Fragment du Hafrsfjord témoigne, quant à lui, d’une tradition martiale forte et de l’ardeur bestiale déployée par ces combattants dans ses descriptions. Ils grognent, portent des sarraus en peaux de loup en guise de broigne et sont désignés en tant que « chemises d’ours ». Le Texte de la Heimskringla témoigne de la fidélité des guerriers et de leur rang social car ils sont placés à la proue du navire royal. Enfin, le texte de la Flateyjabork (XIVe siècle), en plus de dizaines d’autres œuvres, reprend tous les topoi déployés par ses prédécesseurs qui mentionnent le même comportement et la même tenue chez les guerriers-fauves, suggérant de nombreux emprunts mais attestant également dans son emploi métaphorique du caractère ancien de l’appellatif berserker antérieur à la Norvège du IXe siècle qu’il décrit.

Le quatrième chapitre traite de la vision des berserkir à l’époque de la bataille du Hafrsfjord. On peut notamment voir que ces guerriers occupaient une place importante auprès du chef à l’endroit le plus exposé et que les textes attestent de la présence d’une aristocratie berserker dans la Norvège du IXe siècle. La transe du guerrier-fauve, appelée Berserkangr, témoigne d’une rage intense aux perceptions différentes. Considérée comme une marque de puissance à l’Âge de Vendel, la figure du berserker se dégrade à mesure que le christianisme poursuit son expansion en Scandinavie. Au XIe siècle, la transe du berserker apparait chez de nombreux auteurs comme tare dans l’expression bestiale de la fureur du guerrier, dépeint comme un invulnérable brigand et duelliste, figure malfaisante et sanguinaire vivant du vol et des meurtres, défait par le héros vertueux ou la figure chrétienne d’un évêque. Les pratiques et traditions sont également perçues comme de la sorcellerie auxquels participent les Lapons, et les guerriers-fauve sont assimilés aux trolls. On observe aussi un glissement sémantique dans les écrits du XIIIe siècle avec l’appellatif berr.

L’auteur s’intéresse dans ce cinquième chapitre aux manifestations physiques de la transe du guerrier-fauve et son rapport à la métamorphose. Traduite par le terme « hamask », terme renvoyant à un changement de peau, à l’idée d’une âme mobile dans la littérature norroise, elle apparait comme involontaire, héréditaire et innée, presque pathologique affaiblissant fortement le guerrier quand elle prend fin. Il n’est fait mention d’aucun élément déclencheur de cette rage et l’auteur écarte la théorie de la consommation de champignons hallucinogènes lapons, sans résultat avec les expériences actuelles. Le berserker conserve un lien mystique avec la métamorphose, le phénomène se produisant à la tombée du jour dans l’Egils Saga en plus de l’anthroponyme d’un des personnages « Loup du soir », rapprochant le berserker du lycanthrope. Les vertus magiques de certaines peaux étroitement liées au paganisme transforment le berserker en personnage trafiquant avec la sorcellerie, ce qui sert l’interpretario christiana. Néanmoins, Vincent Samson met en relation les pratiques mimétiques du revêtement des peaux de bêtes avec les parades martiales germaniques décrites par Tacite avec le barditum auquel peut s’apparenter la morsure au bouclier du guerrier-fauve, extériorisant un être second et manifestant sa sauvagerie. On en retrouve des exemples épigraphiques à travers les matrices de Torslunda, les figurines d’Ekhammar ou encore la tapisserie Oseberg.

Dans ce sixième chapitre, l’auteur met en avant la relation forte que partagent les guerriers-fauves avec Odin, ajoutant au compagnonnage martial une dimension religieuse propre aux traditions de l’ancien Nord. Comme les berserkir, Odin est un dieu métamorphe capable de prendre une apparence effrayante ou de prendre possession du corps d’animaux. De nombreux et glorieux guerriers tombés au combat accompagnent le dieu borgne, désignés sous le glissement sémantique du XIIIe siècle comme des « guerriers nus », témoignant des sources lacunaires orales dont disposait l’auteur à son temps. Odin exalte autour de lui le « furor » auquel s’apparente son autre nom : Wotan, dérivé de Wodan signifiant furieux dans la langue germanique. Les guerriers-fauves sont les protégés d’Odin auquel ils rendent hommage par le port de fourrures et parfois de sacrifices dans certains textes. La fête de Jól, célébrant le solstice d’hiver sous l’égide d’Odin est d’ailleurs un topos propice à l’apparition des berserkir dans les sagas. Ainsi, le berserker a une place importante dans les traditions martiales de l’Ancien Nord, la mythologie et les cultes païens, cependant il n’occupe pas la même place en Islande ne possédant pas la même structure sociale.

Dans le septième chapitre, Vincent Samson reprend l’entièreté des topoi relatifs aux berserkir notamment au travers de leurs déformations au fil du temps. Comme vu précédemment, les guerriers-fauves forment une élite du compagnonnage auprès des puissants dans l’Ancien Nord, pouvant notamment choisir leur maître, leurs troupes apparaissant souvent au nombre de 12, voire 16. Tout le contraire de l’Islande qui les méprise et les considère comme de vulgaires brigands archaïques. Ce qui se retrouve dans Eyrbyggja saga mettant en parallèle la relation des berserkir avec Harkon Sigurdarson, souverain nordique païen de Lade, et l’Islandais Vermundr qui les met simplement en terre comme pour les brigands après les avoir tués, traduisant son mépris. La fin du IXe siècle voit l’apparition de terme « vikingr » et montre une expansion par les raids. Cependant l’An Mil transforme cette figure sous l’influence du christianisme, renvoyant le berserker à un bretteur sans foi ni loi, ni patrimoine, à un voleur meurtrier. Par ailleurs, de vraies gardes royales se forment, excluant définitivement l’archaïsme païen des guerriers-fauves des cours des souverains gagnés par le christianisme. Le terme berserker évolue vers une forme d’exotisme péjoratif et stéréotypé associant ce dernier à la noirceur de Hel ou Helheim, déesse des morts nordiques ou aux Trolls dans les sagas courtoises. Il subit sa déformation la plus extrême au XIIIe siècle dans la Barlaams ok Josaphats saga en tant que cognomen de vertu et de foi, décrivant notamment St Antoine comme « berserker du Christ ». Enfin, on retrouve toute la sauvagerie classique du guerrier, hurlant et mordant son bouclier dans une exaltation décuplant sa force qui le rend invulnérable au fer et au feu avant de s’écrouler d’un épuisement pathologique une fois le combat achevé. S’y ajoute la croyance de pouvoirs dans la consommation de certaines viandes et du sang humain, si bien qu’au XIIIe siècle des codes de loi dans la Jonbok condamnent le fait de mordre les gens.

Thorir le chien et sa troupe de 12 guerriers au XIe siècle constituent la dernière apparition de la figure du berserker en Scandinavie. S’opposent les élites du Halogaland dont sont issus Thorir et les Finnois commandés par Olaf Haraldsson, conflit situé historiquement en 1030. La saga opère une véritable fusion des genres, mêlant biographie royale, littérature religieuse et hagiographique ainsi que les poèmes scaldiques. Thorir a recours à la sorcellerie des Lapons auxquels ils commandent des peaux de renne, tue Saint Olaf, a une révélation et part en pèlerinage en Terre Sainte ou il meurt. L’auteur de ce texte, un certain Sigvatr, offre une vision méprisable des guerriers-fauves, bien qu’il a recours à de nombreux topoï, son œuvre est marquée par un changement de vision avec une empreinte forte du catholicisme témoignant à travers ce récit de la fin des berserkir.

Enfin, le neuvième chapitre met en relation les écrits avec les données archéologiques attestant de l’existence des berserkir. L’auteur met en avant différentes influences sur cette culture, notamment avec des données romaines, telles que la colonne Trajane ou figurent des Germains en peaux de bêtes ou encore les premiers masques apparaissant entre 700 et 900 en Suède. Les tombes témoignent, quant à elles, de l’héritage d’une culture franque avec les armes et ornements des chevaux, l’épée à anneau à l’origine franque occupe une place importante à tel point qu’au VIIe siècle, elles ne sont plus produites qu’en Scandinavie. Ces épées à anneau symbolisent le rang mais aussi l’union entre le souverain et le fidèle compagnon, une consécration odinique. Les figurines de bronze, tentures ou pierres runiques où sont inscrits des anthroponymes sont aussi des preuves majeures, bien qu’objet perçus de manière stéréotypée avec l’arrivée du christianisme.

Appréciations

L’ouvrage de Vincent Samson possède une véritable richesse historique, fortement détaillée. La thèse est déployée avec une grande finesse qui, à travers ces neuf chapitres, nous offre une vision d’ensemble sur les différents aspects de la figure du berserker et son évolution de l’Âge de Vendel jusqu’à sa déconstruction et sa déformation par le christianisme à partir du XIe siècle en Scandinavie et en Islande en une approche chrono-thématique. Cette thèse, malgré sa complexité, sa richesse et sa longueur, est accessible à tous car l’auteur retrace l’ensemble des recherches et développe chaque élément qu’il emploie de manière fortement explicite. Néanmoins, la connaissance de l’anglais, du latin, du norrois et parfois de l’allemand peut être utile pour profiter des nombreuses sources et citations mises en avant par ce dernier, bien qu’elles soient majoritairement traduites. On peut également mettre en avant la fiabilité et la diversité des sources employées par Vincent Samson qui s’étendent sur une large bibliographie de plus de 80 pages dans de nombreuses langues et offre des pistes pour approfondir le sujet aux lecteurs les plus curieux. Enfant, j’ai découvert cette figure du berserker à travers des légendes et dans des jeux de rôle sous les traits de la classe du barbare, élément que s’est très largement réapproprié l’heroic fantasy dans ses codes. Cependant, très peu de sources fiables et d’études ont été menées sur cette figure assez méconnue et stéréotypée à laquelle Vincent Samson apporte énormément de réponses tout en soulevant d’autres questions. J’ai énormément apprécié les démarches de l’auteur dans sa recherche sur les berserkir, notamment grâce à la pluralité des domaines qui sont employés, en particulier l’approche philologique à la fois didactique et passionnante des runes et de l’étymologie norroise, accompagnée d’une quantité impressionnante de notes en bas de pages. Bien qu’assez abstraite au premier abord, sa démarche analytique basée majoritairement sur des textes, seules sources plus ou moins fiables aujourd’hui, se révèle particulièrement efficace et pertinente. L’objectivité de l’auteur est tout à fait louable puisqu’elle invite les lecteurs à une intense réflexion tout en gardant un certain recul sur des questions encore débattues. Ce livre est à recommander à toute personne s’intéressant à la culture scandinave médiévale.

 

Compte rendu réalisé par Gabriel Siwiec, étudiant en hypokhâgne (2021-2022) au Lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.